Traveller Prides et Patrimoine

Traveller Prides et Patrimoine

folklores s’est faite en lien avec les idéologies politiques du 20e siècle et au cours du processus de construction de l’État-nation irlandais. Bromberger (1996) mentionne que, de manière un peu caricaturale, on peut dire que c’est surtout en période de crise et de restauration qu’apparaît un intérêt pour les cultures populaires et particularismes régionaux. En Irlande, cet intérêt s’est principalement focalisé sur les traditions orales associées au gaëlique. Les études étaient souvent réalisées sous l’influence d’un certain nationalisme et cherchaient à faire la promotion d’une image de l’Irlande, en particulier rurale et gaëlique (Lambert, 1985). En 1930, le folklore s’institutionnalise avec la création du Irish Folklore Institute (IFI). Des divergences concernant l’orientation des recherches surgissent rapidement au sein de l’institut entre ceux qui envisagent le travail de récolte pour permettre la préservation et perpétuation de la langue , et ceux qui désirent y adjoindre un comparatisme et compléter la démarche avec une portée internationale et scientifique (Briody, 2011). En 1935, l’IFI est fermé pour être remplacé par la Irish Folklore Commission (IFC). L’IFC permit d’accroître la quantité et qualité des données récoltées ainsi que de constituer une documentation contextualisée. La Commission était chapeautée par le gouvernement qui refusait de laisser la tutelle à l’université de Dublin (UCD)103(Briody, 2011). McGréine initie une récolte importante de matériaux sur les Travellers qu’il envisage comme des « repositories of Irish oral tradition » (Ó hAodha, 2011a). Une section Travelling People sera alors incluse dans les archives de l’IFC en 1937. McGréine fait partie de ces auteurs qui ont participé à l’élaboration d’une image des Travellers comme symboles des temps celtiques et gaëliques, les vouant ainsi à disparaître (Helleiner, 2000). Dans les années 1950, McGrath collecte une grande quantité de données sur le shelta et jouera un rôle conséquent dans  l’adoption de la théorie des drop-outs dans les discours publics et officiels des années 1960 (Ó hAodha, 2011a). Les histoires que McGréine et McGrath collectent vont généralement porter sur les origines des Travellers. Il ya aussi des histoires familiales ou à valeur plus collectives, certaines similaires à celles des ruraux, d’autres qui les renversent (Helleiner, 2000). En fait, jusque dans les années 1960, l’IFC n’avait pas l’intention de faire d’études systématiques sur la vie des Travellers ni de collecter leur folklore (Court, 1985). Les similitudes avec la population rurale de même que leur rattachement à un temps mythique et celtique participe largement de l’intérêt qui leur est porté. Comme le note Okely (1997) au sujet des English Gypsies, les chercheurs se sont obstinés à chercher, à attribuer et à légitimer ces populations en reconstituant et rattachant leur culture à des lieux et temps spécifiques. Fixés sur un territoire et dans un passé mythique, tout est ensuite perçu comme altération ou corruption. Dans les années 1970, on parlait beaucoup d’acculturation, voire parfois de déculturation. Toute tradition peut être construite et exploitée par des individus ou « partis d’intérêts », même de manière non-délibérée.

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La tradition, comme l’histoire ou l’identité, est toujours liée à un processus politique et social dans une société (Finnegan, 1991). Lenclud (2007) souligne, en se référant à Pouillon, qu’on peut considérer la tradition comme une interprétation du passé en fonction de critères contemporains, sa vérité tient dans sa cohérence. Depuis les années 1970, beaucoup dénoncent et décrivent une sous-représentation des Travellers dans les collections de l’IFC (Court, 1985; Gmelch, 1972; NíFhloinn, 2002). Certains notent que les travaux portant sur le folklore traveller sont peu nombreux en comparaison à ce qui a pu être fait auprès d’autres groupes, à l’instar des Scottish Travellers (Munnelly, 1999). De façon générale, dans le développement de la « tsiganologie » associé à celui du folklore en tant discipline, c’est davantage aux Gypsies qu’était attribué le rôle de compositeurs et disséminateurs d’histoires et contes indo-européens (Court, 1985). Comme le dit Noelle, les Gypsies étaient le « gold standard ». Certains trouvent surprenant que si peu d’intérêt ait été consacré aux Travellers car ceux-ci avaient la réputation d’être des conteurs de qualité et auraient conservé un certain nombre de contes et histoires disparus à l’extérieur de la communauté. Gmelch (1972) impute cette sous-représentation à plusieurs facteurs. Les collecteurs se seraient concentrés sur les régions de la Gaeltacht et celles où la pratique de l’irlandais était en déclin, et peu de Travellers parlaient irlandais. Par ailleurs, les Travellers étaient difficiles à contacter et à rejoindre du fait de leurs déplacements réguliers. Selon l’auteur, les causes seraient donc liées à de simples raisons pratiques et de priorités. Mais il omet de prendre en compte le contexte politique et social de l’époque qui explique aussi cettedisparité. Les Travellers ne correspondaient pas à l’image que le nouvel État essayait à donner de lui-même : un travail de récolte intensif aurait en outre signifié de mettre en valeur et donner une légitimité aux savoirs travellers. Préservation et héritage sont devenus centraux aux travaux de collectes. Les chercheurs avaient l’objectif de « sauver » ce qui peut encore exister des traditions orales et musicales travellers. Ilss’interrogent sur les raisons de la « disparition » de ces pratiques. Certains l’attribuent à l’arrivée des nouveaux médias (télévision, radio, etc.) (NíFhloinn, 2002), d’autres à l’urbanisation et aux changements économiques et sociaux qui ont eu lieu depuis le début du siècle (Gmelch, 1972). L’idée de préservation et d’héritage s’est également développée dans les communautés travellers avec MTW ou encore des initiatives de Pavee Point. Pour autant, cette image d’une culture et de traditions en perte de vitesse n’a pas forcément bénéficié aux Travellers.

 

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