Transport sédimentaire et architecture de barrières littorales silico-bioclastiques

Modèles de production de sédiments mixtes silicoclastiques carbonatés

Le caractère mixte d’un dépôt sédimentaire correspond à une hétérogénéité qui s’exprime au sein même de la composition du sédiment (assemblage de particules de lithologies différentes), et à différentes échelles dans la hiérarchie des unités architecturales (au sens de Miall, 2016), de la lamine correspondant à la migration d’une ride (ordre 1) à la séquence ou super-séquence stratigraphique (ordre 6 et plus). Cette hétérogénéité est le résultat de la variabilité spatiale des environnements de dépôt (variations latérales de faciès), de processus de tri et de ségrégation par les agents hydrodynamiques, ou d’une variabilité temporelle des facteurs qui contrôlent la production biologique et le flux terrigène. Ces facteurs de variabilité temporelle sont, entre autres, les variations du niveau marin, les fluctuations climatiques et la tectonique . Ils produisent une hétérogénéité sédimentaire à l’échelle de la strate ou du groupe de strates, correspondant à des échelles de temps longues (plusieurs dizaines de ka à plusieurs Ma) que nous n’aborderons par dans ce travail. En effet, nous nous intéressons à des échelles de temps allant du processus hydro-sédimentaire (lamine, échelle de la seconde) à l’évolution d’un corps sédimentaire (macro-forme, échelle de l’ordre de plusieurs dizaines à plusieurs centaines d’années). Nous nous focaliserons donc sur les types d’environnement de dépôt propices à la production de sédiments mixtes, silicoclastiques et carbonatés, et aux processus hydro-sédimentaires à l’origine du mélange et/ou de l’hétérogénéité.

Expression du mélange et hétérogénéité dans les environnements sédimentaires mixtes silicobioclastiques

Quel que soit le modèle à l’origine du mélange, les sédiments mixtes silico-bioclastiques sont mobilisés et remaniés par les processus hydrodynamiques (houle, marée) prévalant dans le milieu littoral. Les sédiments transportés dans le domaine subtidal et intertidal par les courants de marée se structurent en dunes ou en bancs, et les sédiments se trouvant dans la zone d’action des houles participent à la construction de barrières littorales. Les différences de forme et de densité entre les particules silicoclastiques et bioclastiques conduisent à des phénomènes de transport sélectif, de ségrégation et de tri, qui s’expriment souvent dans l’enregistrement sédimentaire par une stratification hétérolithique. D’autre part la composition sédimentaire, au travers des modes et longueurs de transport des particules ou de la porosité du sédiment, a une influence certaine sur la morphologie des corps sédimentaires.
Chiarella et Longhitano (2012), Chiarella et al. (2012) et Longhitano et al. (2012) interprètent la stratification hétérolithique bioclastique / silicoclastique de dunes tidales plio-pléistocènes dans le Sud des Apennins (Italie) afin de mieux contraindre les conditions hydrodynamiques de l’environnement de dépôt. Des indices de ségrégation et de rapport silicoclastique / bioclastique permettent de différencier les mi-11 lieux de dépôt en fonction de la profondeur. Pour des profondeurs supérieures à l’action des houles de tempête, les stratifications obliques hétérolitiques correspondant à la migration de dunes sous-marines sont interprétées comme le résultat de l’action d’un courant dont l’intensité est modulée par la marée. En condition de forts courants, les bioclastes offrant par leurs formes aplaties une large portance sont transportés en suspension . En « by-pass », ils ne participent pas à la construction de la dune. Seuls les particules silicoclastiques transportées par charriage viennent s’accumuler sur la face d’avalanche et participent à la préservation de lamines obliques. En conditions de courant décroissantes en intensité, les particules bioclastiques sédimentent et enrichissent la surface des dunes.

La baie du Mont-Saint-Michel : Exemple d’environnement littoral mixte

La baie du Mont-Saint-Michel est située sur la côte sud de la Manche (N.-O. France), au fond du Golfe normand-breton formé par l’angle entre la presqu’île du Cotentin et les côtes bretonnes. La Manche est un exemple de plateforme épicontinentale mixte en domaine tempéré. Les apports terrigènes actuels sont faibles, cantonnés aux zones littorales à proximité des grands estuaires, et dominés par une granulométrie fine. La couverture sédimentaire silicoclastique est caractérisée par un sédiment grossier (des sables aux galets et blocs) hérité du système fluviatile pré-Holocène du fleuve Manche. Ces dépôts forment une couverture sédimentaire de faible épaisseur (quelques mètres), excepté au niveau des paléovallées dont le remplissage peut atteindre plusieurs dizaines de mètres . La présence de courants de marée puissants dans cette zone de faible profondeur (< 100 m), combinée aux tempêtes hivernales, permet le maintien d’une colonne d’eau bien mélangée et riche en nutriments inorganiques tout au long de l’année. Ces conditions sont propices à une production carbonatée importante, dont les assemblages sont représentatifs des eaux tempérées à froides. Foraminifères et mollusques (Foramol) sont caractéristiques des sédiments carbonatés des approches occidentales de la Manche. Au large des côtes bretonnes, l’abondance des bryozoaires permet la mise en place d’un assemblage de type Bryomol. Dans la frange littorale, les mollusques s’associent aux algues rouges (maërl) qui se développent entre 5 et 20 m (parfois 40 m) de profondeur. L’ensemble de ces sédiments mixtes silico-bioclastiques sont remaniés par les puissants courants de marée, et forment un vaste ensemble de bancs tidaux et de lags érosifs. Ainsi, les sédiments de la Manche forment un mélange silico-bioclastique selon un modèle de production in-situ, d’après la terminologie de Mount (1984).

Contexte hydrodynamique et morpho-sédimentaire

La baie est caractérisée par un régime mégatidal, avec un marnage qui atteint environ 15 mètres lors des marées de vives-eaux équinoxiales. La zone intertidale possède une surface de 250 km². Les courants de marée de type alternatifs dans la partie centrale de la baie peuvent atteindre 3 m s−1 mais s’atténuent vers l’ouest (inférieur à 0,6 m s−1) où ils deviennent giratoires. Le régime de houle est relativement faible. Les houles les plus importantes sont souvent de secteur Nord-Ouest et possèdent au large des hauteurs significatives pouvant atteindre, voire dépasser 3 mètres (Weill, 2010). Cependant, la houle est réfractée lorsqu’elle entre dans la baie et perd de l’énergie au cours de sa propagation sur le large estran dans des profondeurs d’eau faibles. Son action est amortie à l’ouest alors qu’elle est significative au centre de la baie.
Trois fleuves se jettent dans la partie est de la baie : le Couesnon, la Sée et la Sélune. Ces cours d’eau possèdent de faibles débits, en moyenne de 8 à 15 m3 s−1. La charge solide est pratiquement négligeable. On estime que le volume total annuel provenant du système fluvial ne dépasse pas la moitié du volume sédimentaire remobilisé lors d’un seul cycle de marée.
L’influence de la marée, de la houle et des fleuves, variables dans l’espace, contrôle l’organisation morpho-sédimentaire de la baie du Mont Saint-Michel. Trois environnements sont distincts dans la baie :
L’estuaire de la Sée-Sélune-Couesnon : la rencontre des trois fleuves à l’est de la baie forme un large système estuarien dominé par les courants de marée. Cet environnement sableux à silteux évolue au grès de la dynamique de migration des chenaux tidaux. Les silts et les sables fins sont composés à plus de 50 % de carbonates (débris de coquilles et foraminifères). Ils forment un sédiment aux propriétés rhéologiques bien particulières, la tangue qui présente des caractéristiques de cohésion mécanique en raison de la forme et de l’arrangement des particules sédimentaires, et en l’absence de minéraux argileux. La tangue est ainsi un sédiment mixte silico-bioclastique, qui présente une hétérogénéité compositionnelle.
Le Nord-Est de la baie : une barrière littorale sableuse est présente à la transition entre le domaine marin ouvert et la marge nord de l’estuaire. Cette zone est exposée à la houle qui induit une dérive littorale orientée vers le Sud et la construction de flèches sableuses.
Le Sud-Ouest de la baie (ou fond de baie) : Il est caractérisé par un estran très large à pente faible à modérée (2 à 5 %). Protégé des houles les plus fortes par la péninsule de Saint-Malo, ce domaine est propice à une sédimentation fine, présentant un gradient granulométrique croissant d’ouest en est. La baie de Cancale correspond au milieu le plus calme avec la présence de vasières. En se rapprochant de la transition avec l’estuaire, l’agitation et la vitesse des courants de marée augmentent et les sédiments s’enrichissent en silts et en sables. L’estran silto-sableux est le siège d’une intense production carbonatée in-situ, au travers du développement d’espèces de mollusques intertidales. A l’est de la baie au sens strict, à la transition avec le domaine estuarien, s’étend un vaste récif d’hermelles, bioconstruction associée à une colonie d’annélides polychètes (Sabellaria alveolata), dont les tubes sont composés de débris bioclastiques millimétriques collés entre eux.

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Composition faunistique de la barrière littorale le long de la partie occidentale de la baie

La contribution des différentes espèces de mollusques à la production de particules bioclastiques composant les bancs coquilliers qui forment la barrière littorale le long de la côte sud de la baie du Mont-Saint-Michel a été déterminée. Des prélèvements ont été effectués, complétés par une analyse photographique de la surface des bancs. Entre 30 et 80 kg de coquilles entières ont été échantillonnées au niveau des dépôts de laisses ou au sommet de trois bancs distincts (Saint-Benoît-des-Ondes, Le Vivier-sur-Mer et La Laronnière ). Les espèces ont ensuite été déterminées puis pesées pour obtenir la composition massique des bancs. Les pourcentages obtenus représentent une moyenne de la composition de surface et de sub-surface (10 à 20 cm en-dessous de la surface). La composition de surface pouvant être hétérogène spatialement, les échantillonnages ont été effectués sur une zone assez large (200 m²) afin de caractériser au mieux la composition globale des bancs. Une photographie, caractéristique de l’hétérogénéité globale du sédiment, a été prise sur le banc du Vivier-sur-Mer  et quatre au niveau de La Laronnière (hétérogénéité spatiale plus prononcée). Les photographies ont été réalisées à environ 1 mètre du sol avec une résolution de 300 ppp. L’analyse d’image (AI) a été réalisée à l’aide du logiciel JMicrovision . Le logiciel détermine des points de façon aléatoire sur le cliché, et l’opérateur détermine l’espèce pour chaque point. Si le point se situe au niveau d’un débris ou d’une coquille, l’espèce est reconnue, mais si l’un des points suivants se retrouve au niveau d’un fragment déjà déterminé, celui-ci est ignoré. Entre 500 et 600 débris coquilliers et coquilles entières (pluri-millimétriques à pluri-centimétriques) ont été déterminés sur chaque image. Généralement, les proportions sont relativement proches quelle que soit la méthode utilisée. Cependant, il existe parfois des différences significatives pour certaines espèces. Les proportions ne sont pas toujours les mêmes entre la surface et la sub-surface.

Table des matières

Introduction générale 
I Environnements mixtes silicoclastiques carbonatés 
I.1 Introduction
I.2 Modèles de production de sédiments mixtes silicoclastiques carbonatés
I.3 Expression du mélange et hétérogénéité dans les environnements sédimentaires mixtes silico-bioclastiques
I.4 La baie du Mont-Saint-Michel : Exemple d’environnement littoral mixte
I.4.1 Cadre général
I.4.2 Contexte hydrodynamique et morpho-sédimentaire
I.4.3 Composition faunistique de la barrière littorale le long de la partie occidentale de la baie
I.4.4 Composition mixte silico-bioclastique
I.5 Conclusion et rappel de la problématique de l’étude
II Comportement hydrodynamique de débris bioclastiques 
II.1 Introduction
II.2 Matériel sédimentaire
II.2.1 Échantillonnage des sédiments coquilliers
II.2.2 Caractérisation de la structure interne des coquilles
II.2.3 Caractérisation de la densité de chaque espèce
II.3 Comportement de particules bioclastiques mono-spécifiques en chute libre dans un fluide au repos
II.3.1 Protocole expérimental
II.3.2 Vitesse de chute de particules bioclastiques mono-spécifiques
II.3.3 Coefficient de trainée de particules bioclastiques mono-spécifiques
II.4 Comportement de lits bioclastiques mono-spécifiques sous courant unidirectionnel
II.4.1 Théorie de la couche limite
II.4.2 Protocole expérimental
II.4.2.1 Canal à courant unidirectionnel
II.4.2.2 Mise en place de l’expérimentation
II.4.2.3 Vélocimétrie Doppler Acoustique
II.4.3 Profilométrie et contrainte critique de cisaillement
II.4.3.1 Profils de vitesse moyenne et contrainte critique de cisaillement – loi de la paroi
II.4.3.2 Profils de contraintes turbulente et visqueuse
II.4.3.3 Comparaison des deux méthodes d’estimation des contraintes critiques de cisaillement
II.5 Discussion
II.6 Conclusion
III Dynamique et architecture interne des barrières littorales 
III.1 Introduction
III.2 Dispositif expérimental
III.2.1 Composition du matériel sédimentaire
III.2.2 Canal à houle
III.3 Protocole expérimental
III.3.1 Dimensionnement du modèle
III.3.2 Mise en place du sédiment et création du modèle initial
III.3.3 Évolution du niveau d’eau moyen
III.3.4 Suivi de la morphologie de surface
III.3.5 Suivi de l’architecture interne
III.4 Processus hydro-sédimentaires impliqués dans la construction d’une barrière
III.4.1 Zone de déferlement et zone de swash
III.4.1.1 Cas d’une augmentation du niveau d’eau moyen
III.4.1.2 Cas d’une diminution du niveau d’eau moyen
III.4.2 Formation des washovers
III.5 Évolution des barrières modélisées en fonction de la fluctuation du niveau d’eau moyen
III.5.1 Cas du modèle B100
III.5.1.1 Observation de la morphologie de surface
III.5.1.2 Suivi de l’architecture interne
III.5.1.3 Granulométrie de surface de la barrière finale
III.5.2 Cas du modèle B50 S50
III.5.2.1 Suivi de la morphologie de surface
III.5.2.2 Suivi de l’architecture interne
III.5.2.3 Granulométrie de surface de la barrière finale
III.5.3 Cas du modèle B25 S75
III.5.3.1 Suivi de la morphologie de surface
III.5.3.2 Suivi de l’architecture interne
III.5.3.3 Granulométrie de surface de la barrière finale
III.5.4 Comparaison des modèles – Rôle des mélanges silico-bioclastiques
III.6 Conclusion
Conclusion générale 
Bibliographie 
Annexes 
A Article publié dans Sedimentology
B Profils de vitesse moyens obtenus pour chaque diamètre et chaque espèce
C Tableaux des erreurs et des précisions des paramètres expérimentaux au seuil de mise en mouvement

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