Transport méridien de chaleur et circulation méridienne moyenne dans l’océan
Les flux radiatifs solaires sont la principale source d’énergie pour le système océan-atmosphère. Une partie des flux reçus est directement réfléchie (environ 30%), le reste est absorbé par l’océan et l’atmosphère et réémis sous forme de rayonnement infrarouge . La somme des flux émis est inferieure à celle des flux reçus à basse latitude et supérieure à haute latitude. Cela signifie que les processus radiatifs du système océan-atmosphère agissent continuellement pour refroidir les hautes latitudes et réchauffer les basses latitudes. Seul un transport de chaleur de l’équateur vers les pôles peut compenser cet effet. Ce transport méridien de chaleur est réalisé par l’atmosphère et l’océan. D’après Trenberth et Caron (2001), le transport océanique de chaleur est maximum vers 20◦N et égal à 2 PW (Petawatts = 1015 W), ce qui est du même ordre de grandeur que la contribution atmosphérique à cette latitude.
Dans cette étude, le transport méridien de chaleur par l’océan est calculé à partir du transport méridien de chaleur par l’atmosphère, comme le résidu requis pour équilibrer le bilan radiatif terrestre. Wunsch (2005) souligne l’imprécision de cette méthode, due à l’incertitude de l’estimation du transport de chaleur dans l’atmosphère. Ganachaud et Wunsch (2000) estiment le transport méridien de chaleur par l’océan directement à partir des observations, et obtiennent 1.8 PW pour le transport de chaleur océanique à 30◦N. Cette estimation est cohérente avec les résultats de Trenberth et Caron (2001), et confirme que l’océan transporte une part significative de chaleur vers les pôles. Trenberth et Caron (2001) montrent aussi que le transport océanique de chaleur dans l’hémisphère nord est essentiellement réalisé dans l’Océan Atlantique , ce qui est également cohérent avec les résultats de Ganachaud et Wunsch (2000).
La MOC dans l’Océan Atlantique Nord
L’eau profonde formée dans l’Atlantique Nord est transportée vers le sud par le courant profond de bord ouest, ou Deep Western Boundary Current (noté DWBC dans la suite), qui constitue la branche profonde de la MOC . Le DWBC est formé en aval des seuils entre le Groenland et l’Ecosse puis s’écoule en profondeur le long de la topographie autour des mers d’Irminger et du Labrador, puis vers le sud le long du bord ouest de l’Océan Atlantique. Dans les courants de bord de la gyre subpolaire, la circulation est quasi-barotrope (le cisaillement vertical est unidirectionnel), ce qui est probablement dû à l’influence de la topographie. Le DWBC est donc fortement couplé aux courants de bord en surface autour de la mer d’Irminger et de la mer du Labrador. Cela suggère que la MOC dans l’Atlantique Nord est étroitement liée à la circulation horizontale dans la gyre subpolaire.
La branche supérieure de la MOC dans l’Atlantique Nord est essentiellement constituée par le Gulf Stream et la dérive Nord Atlantique, qui transportent des masses d’eau subtropicales, chaudes et salées, vers le nord . Une partie de ces masses d’eau traverse les seuils entre l’Islande et l’Ecosse en direction des Mers Nordiques, tandis que le reste est transporté par le courant d’Irminger vers le nord de la mer d’Irminger . Les masses d’eau subtropicales sont ensuite transportées vers le sud le long du Groenland par le courant du Groenland Est. Elles restent distinctes des masses d’eau froides et peu salées présentes le long de côte du Groenland, qui proviennent des Mers Nordiques et de la fonte des glaces du Groenland . Au sud du Groenland, le courant tourne vers le nord ouest et devient le courant du Groenland Ouest, qui transporte les masses d’eau subtropicales et les masses d’eau froide et peu salées vers le nord de la mer du Labrador. Le front est cependant beaucoup moins marqué , et de l’eau douce pénètre en surface au dessus du courant d’eau chaude et salée , ce qui est probablement dû au mélange turbulent horizontal intense observé dans cette région . Dans l’intérieur de la mer du Labrador et de la mer d’Irminger, les masses d’eau sont plus froides et moins salées. Le courant du Labrador suit la topographie au sud de la mer du Labrador et transporte vers le sud des masses d’eau froide et peu salée en provenance de l’Archipel Canadien au nord ouest du Groenland.
La MOC et le climat terrestre
La dernière période glaciaire (de -10 000 ans à -120 000 ans environ) a été interrompue par des périodes relativement courtes de climat plus tempéré. Les observations suggèrent que ces fluctuations rapides du climat correspondent à des états différents de la MOC, faible pendant les périodes les plus froides et proche de son état actuel pendant les périodes tempérées intermédiaires. Les intervalles glaciaires auraient été caractérisées par la présence d’eau douce aux hautes latitudes de l’Atlantique Nord, ayant un effet stabilisateur sur la stratification, ce qui aurait empêché la formation d’eau profonde et induit une faible circulation en profondeur, donc une faible MOC . Les études numériques à partir de modèles couplés océan-atmosphère et de modèles de complexité intermédiaire confirment l’existence de deux états d’équilibres pour la MOC, l’un proche de l’état actuel, l’autre caractérisé par une MOC très faible et la présence d’eau douce aux hautes latitudes de l’Atlantique Nord.
Les transitions d’un état d’équilibre de la MOC à l’autre sont encore mal comprises. Rahm-storf (2000) insiste sur le caractère non linéaire de la sensibilité de la MOC aux flux d’eau douce aux hautes latitudes de l’Atlantique Nord. Cela suggère l’existence de seuils à franchir pour passer d’un état d’équilibre à l’autre. Cependant, cela a été reproduit uniquement dans des simulations numériques de modèles couplés océan-atmosphère de complexité intermédiaire.
Dans les modèles couplés des circulations générales océaniques et atmosphériques, lorsqu’on impose une forte augmentation du flux d’eau douce aux hautes latitudes de l’Atlantique Nord, une halocline se forme en surface qui empêche la formation d’eau profonde et la MOC diminue rapidement . D’après les expériences de sensibilité de Cheng et Rhines (2004) à l’aide d’un modèle de circulation générale océanique, la diminution de la MOC est plus importante si les flux d’eau douce proviennent de la baie de Baffin, plutôt que du détroit de Fram, ce qui suggère une sensibilité particulière de la MOC à la formation d’eau profonde dans la mer du Labrador. Cette diminution de la MOC est associée à une diminution du transport de chaleur vers le nord, ce qui induit une diminution notable de la température dans l’hémisphère nord et une faible augmentation de la température dans l’hémisphère sud (Vellinga et Wood 2002).
Le changement de gradient méridien de température induit un déplacement vers le sud de la zone d’interconvergence tropicale (ITCZ), ce qui tend à réduire (respectivement augmenter) les précipitations dans l’hémisphère nord (sud). Cependant, la diminution de la température de surface dans l’Atlantique Nord tend à réduire la stratification à haute latitude. En outre, le déplacement vers le sud de l’ITCZ favorise la formation d’anomalies positives de salinité aux moyennes latitudes de l’Atlantique Nord, qui sont transportées vers les hautes latitudes par la circulation forcée par le vent. Ces anomalies contribuent à destabiliser la stratification dans l’Atlantique Nord. Finalement, ces différents mécanismes induisent la reprise de la formation d’eau profonde dans l’Atlantique Nord et le rétablissement de la MOC, 120 ans à 200 ans après l’arrêt des anomalies de flux d’eau douce.
Influence de la formation d’eau profonde sur la variabilité de la MOC
Dans les simulations décrites précédemment à l’aide de modèles couplés océan-atmosphère, la variabilité de la MOC est directement influencée par la variabilité de la convection profonde dans la gyre subpolaire ou dans les Mers Nordiques. La variabilité de la convection dans les Mers Nordiques influence la MOC via la densité des masses d’eau qui s’écoulent à travers les seuils entre le Groenland et l’Ecosse. Noter cependant que les masses d’eau qui s’écoulent à travers les seuils sont les eaux intermédiaires des Mers Nordiques, dont les caractéristiques ne sont pas directement liées à la formation d’eau profonde dans les Mers Nordiques. Pour simplifier, on parle uniquement dans la suite de la variabilité du transport d’eau dense à travers les seuils, qui reflète indirectement la variabilité de la convection dans les Mers Nordiques.
Dans des simulations à l’aide de modèles de circulation générale océanique forcés par des flux atmosphériques observés, la climatologie et les flux atmosphériques sont plus réalistes. La résolution est également plus fine, ce qui permet une meilleure représentation de la circulation en profondeur dans l’Atlantique Nord, notamment au travers des seuils entre le Groenland et l’Ecosse. Il est alors possible d’étudier l’influence respective du transport d’eau dense `a travers les seuils et de la convection dans la gyre subpolaire sur la variabilité de la MOC. B¨oning et al. réalisent des expériences de sensibilité à l’aide d’un modèle régional de la circulation dans l’Atlantique Nord forcé par les flux atmosphériques observés. Ils montrent que la quantité de NADW formée est essentiellement déterminée par le transport d’eau dense à travers les seuils entre le Groenland et l’Ecosse.
D’après ces expériences, les flux de chaleur dans la mer d’Irminger et la mer du Labrador ont peu d’influence sur le taux de formation de NADW, même dans le cas extrême où la convection profonde n’a pas lieu. Les auteurs montrent enfin qu’une MOC et un transport méridien de chaleur réalistes peuvent être reproduits, avec un taux de formation de NADW de 15 − 16 Sv, si la résolution horizontale du modèle est suffisante et la paramétrisation du mélange à petite ´échelle adéquate. D¨oscher et Redler utilisent le même modèle pour étudier l’importance relative de la formation de NADW par convection dans la gyre subpolaire ou par écoulement à travers les seuils entre le Groenland et l’Ecosse. Ils montrent que si la représentation du transport d’eau dense à travers les seuils est réaliste, l’intensité de la MOC n’est pas influencée par le taux de formation d’eau profonde par convection dans la gyre subpolaire.
Table des matières
1 Introduction
1.1 Transport méridien de chaleur et circulation méridienne moyenne dans l’océan
1.2 La MOC dans l’Océan Atlantique Nord
1.3 La MOC et le climat terrestre
1.4 Variabilité interannuelle à multidécennale de la MOC
1.5 Influence de la formation d’eau profonde sur la variabilité de la MOC
1.6 Objet de la thèse
2 Variabilité de la MOC induite par la formation d’eau profonde
2.1 Mécanismes de variabilité
2.2 Spectral characteristics of the response of the MOC to deep-water formation
2.3 Résultats et perspectives
3 Formation et exportation d’eau profonde dans l’Atlantique Nord
3.1 Les observations
3.2 Utilisation d’une simulation réaliste de la circulation dans l’Atlantique Nord
3.3 Formation and export of deep water in the Labrador and Irminger Seas in a GCM
3.4 Résultats et perspectives
4 Variabilité de la circulation dans l’Atlantique Nord
4.1 Influence de la variabilité atmosphérique sur la circulation dans l’Atlantique Nord
4.2 Variability of the circulation in the North Atlantic from 1953 to 2003
4.3 Perspective : Variabilité de la gyre subpolaire de 1995 à 2003
Conclusion
Bibliographie