Transplantations hépatiques et rénales séquentielles ou synchrones dans la polykystose hépato-rénale
Introduction
La polykystose hépatorénale autosomique dominante (PKAD) est une pathologie génétique fréquente dont la prévalence est estimée entre 1 /400 et 1/8001 . Deux gènes principaux ont été identifiés : le gène PKD1 présent dans 80% des cas, et le gène PKD2 présent dans 20% des cas. Ces gènes codent pour une protéine, la polycystine, responsable de l’interaction intercellulaires et cellules-matrice extracellulaire2 . La polycystine non fonctionnelle induit une hyperplasie des cellules épithéliales, une hypersécrétion et un remodelage de la matrice extracellulaire. Ces modifications entrainent au niveau rénal une altération de la fonction des cils rénaux et une transformation kystique des cellules tubulaires rénales3 (annexe figure 1). Au niveau hépatique, les conséquences sont : une prolifération anormale de cholangiocytes à partir de reliquats embryonnaires (microhamartome ou complexe de Von Meyenburg), une augmentation de l’activité sécrétoire des cholangiocytes entraînant l’apparition de kystes biliaires, qui, contrairement à leur nom, ne communiquent pas avec les voies bilaires4 (annexe figure 2). L’atteinte hépatique est moins fréquente que l’atteinte rénale. Seuls 70% des patients atteints d’une PKAD développent des kystes hépatiques5 . Ces modifications morphologiques ne sont pas décelables à la naissance, et le nombre et la taille des kystes rénaux et hépatiques augmentent progressivement au cours de la vie (annexe figure 3). Le développement des kystes rénaux est généralement plus précoce, pouvant survenir dès l’adolescence6 , alors que les kystes hépatiques sont rares avant l’âge de 20 ans et apparaissent plutôt entre 30 et 40 ans7 . Si le mécanisme d’apparition des kystes est similaire pour le rein et le foie, le retentissement est différent sur chacun de ces organes. Le développement des kystes rénaux va, par des mécanismes de remodelage vasculaire et de compression mécanique, induire une hypertension artérielle (HTA), une hématurie, des douleurs, l’apparition de calculs, et des infections de type pyélonéphrite8 . L’évolution de la maladie tend vers une insuffisance rénale chronique terminale (IRCT), (iconographie 1) observée chez près de 45% des patients avant l’âge de 60 ans, nécessitant alors un traitement de suppléance rénale9 . La PKAD est 6 une des causes fréquentes de dialyse (10000 personnes en France) 10,11. Ainsi l’atteinte rénale va déterminer le pronostique de la maladie dans la plupart des cas12. La polykystose hépatique entraîne très rarement une insuffisance hépatique 5 . La majorité des symptômes est liée au volume du foie par compression des organes de voisinage. L’estomac est comprimé par les kystes du lobe gauche, entraînant une sensation de satiété précoce et à plus long terme une dénutrition par défaut de réplétion post prandiale. D’autres symptômes en découlent : reflux gastroœsophagien (RGO) par augmentation de la pression intra abdominale, gêne lors de l’antéflexion, douleurs dorsales, dyspnée liée à un syndrome restrictif par compression des bases pulmonaires par le foie. L’ascite (40% des cas) et les œdèmes des membres inferieures (plus rarement observés) peuvent être secondaires à une compression veineuse cave et à une dénutrition. Ces symptômes (présents chez 10 à 20% des patients ayant une atteinte hépatique13) aboutissent à une dénutrition et une altération de la qualité de vie14 (iconographie 2). Des complications fréquentes et communes à l’atteinte des 2 organes, sont les hémorragies intra-kystiques et les infections. La taille, le nombre et la répartition des kystes hépatiques sont très variables d’un individu à l’autre. Une classification radiologique reposant sur la taille, le nombre de kystes et l’étendue de parenchyme hépatique sain, a permis de définir trois stades selon la sévérité de l’atteinte. Il s’agit de la classification de Gigot utilisée pour orienter la prise en charge thérapeutique 15 (annexe figure 4). La prise en charge thérapeutique à chaque étape de la maladie répond à des objectifs différents. A un stade précoce, l’objectif est de réduire l’apparition et la croissance des kystes hépatiques. Plusieurs traitements médicamenteux ont été testés : l’éverolimus® et autres inhibiteurs des mTOR, et les analogues de la somatostatine. Ces traitements ont permis dans plusieurs études une stabilisation de la progression, voire une faible diminution du volume, sans apporter de preuve de leur efficacité sur les symptômes et à long terme 16–21. A un stade plus avancé, l’objectif thérapeutique pour le foie va être de réduire le volume des kystes. Différentes techniques ont été proposées pour agir sur la taille, le nombre et leur contenu. Le traitement par ponction-alcoolisation percutanée peut 7 être proposé s’il existe un kyste prédominant symptomatique volumineux, en général secondaire à une complication aigue : hémorragie intra kystique ou infection spontanée des kystes. Il est souvent difficile de localiser le kyste responsable des symptômes. Le but de ce traitement est uniquement antalgique, car le risque de récidive est proche de 90% 22. La fenestration de kystes consiste en la résection du dôme saillant permettant l’évacuation du contenu. La fenestration multiple de kystes permet de diminuer les douleurs et de réduire le volume du foie. Elle est peu efficace en cas de kystes de petite taille et multiples. Les principaux inconvénients de ces techniques sont une ascite post opératoire, un risque de fistule biliaire et une efficacité relative avec plus de 90% de récidive des symptômes à 5 ans 23–25. La résection hépatique peut aussi être utilisée, souvent associée à la fenestration des kystes. Cette résection est difficile en raison du volume du foie, rendant sa mobilisation difficile, et en raison des modifications anatomiques. La morbidité post opératoire est élevée (supérieure à 50%). La mortalité est de 5% et, de même que pour la fenestration, son efficacité en terme de réduction des symptômes reste de courte durée
Matériel et méthode Population
Pour cette étude ont été colligées rétrospectivement les données des patients ayant eu une transplantation hépatique et rénale pour PKAD entre 1991 et 2019 dans les centres hospitaliers universitaires suivants : Marseille, Paris, Lyon, Grenoble, Montpellier, Strasbourg, Rennes, Besançon et Bordeaux. Les critères d’inclusions étaient les suivants : patients porteurs d’une PKAD : PKD1/PKD2, ayant bénéficié d’une transplantation hépatique et rénale. Les patients atteints d’une polykystose hépatique isolée ou hépato-rénale auto autosomique récessive n’ont pas été inclus. Les données des patients transplantés entre 1991 et 2005 ont été colligées à partir d’une base de données multicentrique. Ces données ont été complétées par l’ajout des cas de transplantation pour PKAD entre 2005 et 2019 issus des deux centres : Clichy (Hôpital Beaujon) et Marseille. Trois groupes ont été comparés : TRP (transplantation rénale première suivie d’une transplantation hépatique), TS (transplantation synchrone foie rein), THP (transplantation hépatique première). Données Ont été ainsi colligés : l’âge, le sexe, les co-morbidités, la symptomatologie, l’évolution de la maladie, les traitements antérieurs, les données per opératoires (durée de l’intervention, temps d’ischémie froide du greffon hépatique, fenestration d’exposition, anastomose porto-cave, by-pass veino-veineux, caractéristiques du spécimen), les fonctions rénales et hépatiques dans le temps (J-1, J1, J3, J7, J30, M2, M3, M6, A1, A2, A4, date des dernières nouvelles (DDN)), ainsi que toutes complications en péri et post-opératoire et au cours du suivi. L’état nutritionnel des patients était évalué cliniquement et biologiquement (albuminémie plasmatique). Le débit de filtration glomérulaire (DFG) était calculé à partir de la formule CKD EPI40. L’analyse de l’évolution des taux de créatinine et du DFG dans le temps n’a pas tenu compte des patients dialysés. La fonction rénale était considérée comme normale si le DFG était supérieur à 60mL/min/1,73m2. Le rejet était établi par biopsie systématique pour le greffon rénal, par biopsie et/ou perturbation du bilan 10 hépatique pour le greffon hépatique et devait entrainer une modification du traitement immunosuppresseur. Les complications postopératoires étaient classées selon la classification ClavienDindo 41 . La perte du greffon rénal était définie par la non fonction primaire ou retardée, imposant le recours à une hémofiltration ou à une nouvelle transplantation. La non-fonction primaire (NFP) du greffon hépatique était définie par le décès du receveur ou par une re-transplantation dans les 14 jours. La mortalité postopératoire était définie par un décès survenant avant J30. Le handicap physique correspondait à l’incapacité totale ou partielle à effectuer des taches de la vie courante, le handicap social correspondait à l’incapacité d’effectuer une activité professionnelle à plein temps. Chaque transplantation a été réalisée selon les règles d’attribution des greffons de l’Agence de la Biomédecine. Les indications d’inscription en liste de transplantation ont été effectuées selon les pratiques de chaque centre. Les transplantations ont été réalisées selon les techniques chirurgicales habituelles de chaque centre. En cas de transplantation synchrone, la transplantation hépatique était réalisée en premier puis la transplantation rénale dans un délai < 24h. La compatibilité ABO et les cross match tests n’ont pas été pris en compte. Le protocole d’immunosuppression était effectué à la discrétion de chaque centre, avec une association comprenant le plus souvent un inhibiteur de la synthèse d’ADN, un anti calcineurine 41–43 et une corticothérapie 42,44. Le nombre de molécules utilisées était comparé sans tenir compte des posologies et de leur dosage plasmatique. Analyse statistique Les variables continues étaient exprimées sous forme de moyenne (ESM) ou de médiane (extrêmes), et ont été comparées selon les tests de Student ou le test U Mann-Whitney. Les variables qualitatives ont été comparées selon le test de Chi-2 avec la correction de Yates ou le test exact de Fisher. Les données ont été analysées à l’aide de Prism 8.2.0 GraphPad Software©et BiostatGV . La valeur de p était considérée comme statistiquement significative pour une valeur < 0,05.
RESUME |