Transcription par une ARN Polymerase
Mécanisme de la transcription et structure de l’ARN polymérase de T7
L’objet de ce chapitre est tout d’abord de rappeler les ́étapes clefs du processus de transcription en g én éral puis plus spécifiquement pour l’ARN polymérase du bactériophage T7 (ARN T7) (cf. annexe 9.1 pour des notes concernant le phage T7). Après avoir décrit la synthèse des acides nucléiques, on rappellera succinctement les connaissances actuelles sur le mécanisme de la transcription chez l’ARNPT7. Les résultats des études concernant la structure de la protéine, ou des comparaisons de séquences de différentes polymérases seront également présentés. Enfin une description de la structure tridimensionnelle de l’ARN T7 illustre les différentes fonctions que remplit l’enzyme (la lecture de cette description n’est pas indispensable pour la compréhension de la suite).
Description générale de la transcription
L’acide d ́désoxyribonucléique (ADN) est la molécule qui contient l’information g ́ en ́ etique de chaque être vivant. Elle est constituée de deux brins appariés, enroulés en double hélice. Chaque brin résulte d’un assemblage linéaire d’unités élémentaires dénommées nucléotides (cf. figures 2.1 et 2.2). Chaque nucléotide porte une base azotée : l’adénine (A), la thymine (T), la cytosine (C) ou la guanine (G). C’est la séquence de nucléotides qui définit l’information génétique. Une partie de l’information (les gènes) est utilisée notamment pour la synthèse des protéines : on parle de l’expression d’un gène. Un gène est tout d’abord copié sous la forme d’un acide nucléique simple brin, l’acide ribonucléique (ARN) : c’est l’étape de transcription, catalysée par une polymérase. La copie sous forme d’ARN subit éventuellement des transformations (épissage, édition, modifications, transport…) puis est traduite par les ribosomes qui assemblent les acides aminés pour former la protéine : c’est l’étape de traduction. L’ARN codant pour la synthèse des protéines est appelée ARN messager (ARNm) ; les polymérases synth´tisent d’autres ARN : les ARN ribosomaux, les ARN de transfert (ARNt) ou certains ARN catalytiques. Une polymérase désigne plus généralement une protéine qui catalyse l’assemblage de nucléotides tout en se dépla¸cant sur un substrat. Le substrat peut être l’ADN ou l’ARN ; le produit de la réaction est lui aussi un ADN ou un ARN. Dans le cas particulier de la transcription, le substrat est l’ADN et le produit l’ARN : on parle d’ARN polymérase (ARNP) ADN-dépendante. Les ADN polymérases (ADNP) ADN-dépendantes sont impliquées dans le mécanisme de réplication de l’ADN : lors de la division cellulaire, l’information génétique est dupliquée. Les ADNP ARNdépendantes sont aussi appelées transcriptases inverse (RT1) : ce sont souvent des polymérases virales (comme la RT du Virus de l’Immunodéficience Humaine (VIH)) chez qui l’information est stockée sous forme d’ARN puis est utilisée une fois transcrite en ADN. La transcription se déroule en trois étapes : (i) l’initiation consiste en la reconnaissance, par la polymérase, d’une séquence spécifique appelée promoteur, sur laquelle elle se fixe ; le promoteur marque en quelque sorte le début d’un gène ; (ii) l’élongation, dont on décrit schématiquement le principe sur la figure 2.3 est la phase durant laquelle la polymérase copie l’information génétique sous forme d’ARN ; (iii) la terminaison marque la fin de la transcription : une séquence spécifique arrête la polymérase qui se dissocie de l’ADN et de l’ARN. De fa¸con g én érale pour les ARNP, de nombreuses protéines interviennent au cours de ces trois ́étapes pour agir sur la transcription ; elles sont importantes pour la régulation de l’expression des gènes. L’ARN T7, polymérase du phage, a la particularité de fonctionner sans ces facteurs transcriptionnels . Quelque soit le substrat et le produit, une polymérase catalyse la synthèse d’un acide nucléique. En assemblant chaque partie ́élémentaire de cet acide nucléique, elle consomme de l’énergie. A chaque incorporation d’un nucléotide a lieu une réaction d’hydrolyse qui libère de l´énergie. Le nucléotide est incorporé à la chaˆıne d’ARN, et la réaction peut être décrite de la manière suivante : (NMP)n ARN + NTP → (NMP)n+1 ARN + PPi Le nucléotide est dégradé et le résidu H4P2O7 est appelé pyrophosphate (PPi). La variation d’énergie libre lors de cette réaction peut s’écrire sous la forme : ∆G = ∆G0 + RT ln [PPi] [NTP] Le terme ∆G0 est déterminé dans des conditions standards (1M [PPi] et 1M [NTP]). Il vaut ∼ -2 kcal/mol [5]. Les PPi et les NTP déplacent l’équilibre de la réaction : la présence de PPi favorise la pyrophosphorylation, i.e. la dépolymérisation de la chaˆıne d’ARN, celle des NTP favorise la polymérisation. Dans les conditions des expériences présentées (cf. pages 85 et 100) la concentration en NTP est très largement supérieure à celle des PPi (1000 fois environ), et la variation totale d’énergie libre est comprise entre -6 et -7 kcal/mol, ce qui représente un gain de 10 à 12 kT à chaque incorporation. 1On note par la suite RT pour transcriptase inverse (”reverse transcriptase”) 2mis à part le Lysosyme de T7 que l’on évoque par la suite. Fig. 2.1 – Un nucléotide est composé d’une base, d’un sucre et d’une partie tri-, di-, ou monophosphate.(a) : représentation de l’adénosine monophosphate (AMP), nucléotide monophosphate dont la base est l’adénine. (b) : une différence entre les ribonucléotides (NTP) formant l’ARN et les désoxyribonucléotides (dNTP) formant l’ADN ; les NTP portent un ribose, avec un groupement OH sur le carbone 2’ (à gauche), les dNTP portent un désoxyribose o`u le groupe OH n’est pas présent. La tymine de l’ADN est remplacée par l’uracile chez l’ARN : ce sont les seules différences entre la composition chimique de l’ADN et celle de l’ARN. Fig. 2.2 – Schématisation de l’hybridation de deux brins d’ADN. Les brins sont orientés ; on repère le sens par le carbone se trouvant à l’extrémité du brin (3’ ou 5’). Les nucléotides de chaque brin sont assemblés par une liaison phosphodiester. Les brins sont appariés par les bases : A avec T et C avec G. Ces liaisons sont faibles (de l’ordre de kT) comparées aux liaisons covalentes joignant les nucléotides de chaque brin. Plus spécifiquement, les liaisons CG sont plus fortes que les liaisons AT (3 liaisons hydrogènes pour CG contre deux pour AT). Sans contrainte extérieure, l’ADN double brin adopte une conformation en hélice (qui n’est pas symbolisée sur la figure) appelée ADN-B dont les caractéristiques sont : rayon moyen de 2 nm, 10.5 bases par tour, 3 bases par nanomètre. tel-00011391, version 1 – 16 Jan 2006 2. La polymérase avance sur l’ADN à la manière d’un train sur des rails. A chaque pas, la polymérase incorpore un nucléotide provenant de la solution dans la chaˆıne d’ARN qu’elle synthétise. Pour cela, elle ouvre partiellement la double hélice d’ADN (formation de la bulle de transcription) ; l’ordre d’incorporation est basée sur l’appariement des paires de bases : les nucléotides incorporés sont complémentaires du brin d’ADN copié (brin du bas sur le schéma). Lors de l’incorporation, la partie triphosphate de NTP (sch ́ matis ́ ee par trois points) est clivée dans une réaction chimique dégageant de l’énergie (voir texte) et lib érant du pyrophosphate (PPi).
Enzymologie
Le type de réaction, dans laquelle on distingue deux étapes principales : fixation d’un substrat par une seule entr ée puis catalyse, est d écrit par le schéma réactionnel suivant : E + S ↔ k1 k−1 ES k →cat E + P o`u E repr ésente l’enzyme, S le substrat et P le produit de la réaction. Dans le cas de la transcription, E désigne l’enzyme complex ée à l’ADN et `à l’ARN naissant 3 ; S et P désignent respectivement : le NTP et le pyrophosphate. k 、1 et kcat sont des constantes dites du premier ordre (en s−1) et k1 est une constante du second ordre (en s−1 M−1). La seconde étape, indépendante de la concentration en substrat, constitue la catalyse de la réaction. Si la réaction a atteint l’état stationnaire (les concentrations [E], [S] et [ES] n’évoluent plus en fonction du temps) et que la réaction inverse : E + P → ES n’est pas permise, dans la mesure o`u la concentration [P] est considérée comme quasi nulle, 3On suppose implicitement que la réaction est infiniment processive, i.e. que la dissociation du complexe ADN/polymérase est négligeable. tel-00011391, version 1 – 16 Jan 2006 14 Chapitre 2. Mécanisme de la transcription et structure de l’ARN polymérase de T7 la vitesse de réaction est donnée par V = kcat.[ES] ; la vitesse maximale VM est obtenue quand toutes les enzymes présentes réagissent : VM = kcat.[E]tot, avec [E]tot = [E]+[ES]. Dans ce cas, la vitesse de réaction (i.e. la vitesse d’un cycle d’incorporation d’un NTP) est donnée par l’équation de Michaelis-Menten : V = d.Etot kcat 1 + kcat+k−1 k1 [S] = VM 1 + Km [S] (2.2.1) o`u d est le pas de l’enzyme, Etot la concentration totale d’enzyme, VM est la vitesse maximale de réaction, correspondant à la limite de V quand [S] tend vers l’infini, et Km est la constante de Michaelis qui vérifie : V (Km) = VM/2. Le Km est relié à l’affinité du substrat pour le site actif de l’enzyme. Notamment, si kcat k−1, i.e. si l’étape de catalyse est lente devant la dissociation enzyme-substrat, Km ≈ k−1/k1 = KD, i.e. la constante de dissociation du complexe ES. 4 L’équation de Michaelis-Menten est obtenue par un raisonnement sur la réaction d’un ensemble d’enzyme et de substrat. On peut aboutir au même résultat par un autre raisonnement, (développé par Ninio [76]) en considérant une seule enzyme. C’est une approche plus intuitive du fonctionnement de l’enzyme. Les hypothèses sont les suivantes [77] : 1. le processus est probabiliste
les réarrangements dus aux changements d’état ont une dur ée négligeable
Une constante k du premier ordre d écrit la fréquence de transition (i.e. la probabilité de transition par unité de temps) 3. lors d’une transition dont la constante de réaction associée est k, la probabilité de transition pendant l’intervalle de temps dt est k.dt. Dans le cas d’une réaction à une entrée, dans laquelle la catalyse est irréversible : E + S ↔ k1 k−1 ES k →cat E + P k1 correspond à la fréquence d’association par unité de concentration de substrat. Si on définit ta comme le temps moyen d’attente de l’enzyme avant que le substrat n’arrive, on a simplement : ta=1/(k1[S]). On désigne ensuite par tr le temps moyen que l’enzyme passe avec son substrat (i.e. dans l’état ES) avant d’être de nouveau libre, et par p la probabilité que la réaction de catalyse ait lieu (1-p est alors la probabilité que le complexe ES se dissocie). Le temps moyen d’un cycle association-dissociation (avec une probabilité p d’aboutir au produit) est donc la somme ta +tr. Soit θ le temps moyen pris par l’enzyme pour transformer le substrat (association + catalyse) ; s’il n’y a pas de dissociation, le temps total est ta +tr, s’il y a dissociation, le temps total est ta + tr + θ ; en pondérant chacun des termes par leur probabilité, on tire : θ = p(ta + tr) + (1 − p)(ta + tr + θ) Soit : 4 On trouve parfois les notations kb ou KA pour la constante d’association ; par définition : kb = KA = K−1 D . tel-00011391, version 1 – 16 Jan 2006
Mécanisme de la transcription de l’ARN polymérase de T7 15 θ = ta + tr p
En notant que la vitesse moyenne de l’enzyme est donnée par 1/θ, on ´établit : V = p/tr 1+1/(k 1 tr[S]) Avec p = tr.kcat, (1 − p) = tr.k−1, conformément à la troisième hypothèse. On identifie les constantes VM et Km : VM = p/tr, Km = 1/k1tr. De nombreux schémas conduisent à une cinétique Michaelienne. Quelques uns sont énumérés ci-dessous : E + S ↔ (ES)1 ↔ (ES)2 ↔ … ↔ (ES)n → E + P (1) E + S ↔ ES → E + P (ES)∗ (2) E + S ↔ ES → E + P (ES)∗ (3) E1 + S ↔ E1S → E1 + P E2 + S ↔ E2S → E2 + P (4) E1 + S ↔ E1S → E1 + P E2 + S ↔ E2S → E2 + P (5) On peut par exemple ajouter autant d’étapes que l’on veut entre la formation du complexe ES et la catalyse (schéma (1)). Si on ajoute un embranchement sur une des étapes (schémas réactionnels (2) et (3)), le VM et le Km sont modifiés, mais la cinétique reste Michaelienne. Dans le cas de la transcription, la présence de trois espèces de ”mauvais” nucléotides à chaque incorporation n’affecte pas la cinétique : elle reste Michaelienne [76]. La réaction peut être d écrite par le sch éma (3) o`u l’entr ée d’un mauvais NTP fait passer l’enzyme vers l’ ́état (ES)∗ incompétent. De m ̂eme les sch ̀emas 4 et 5 mènent à une cinétique Michaelienne.
Remerciements 5 |