TRAITE D’ECONOMIE MARXISTE
L’Homme seul, de toutes les espèces, ne peut survivre en s’adaptant au milieu naturel, mais doit s’efforcer de plier ce milieu à ses propres exigences (1). Le travail, activité à la fois consciente et sociale née de la possibilité de communication et d’entraide spontanée entre les membres de cette espèce, constitue le moyen par lequel l’homme agit sur son milieu naturel. Les autres espèces animales s’adaptent au milieu naturel déterminé, grâce au développement d’organes spécialisés. Les organes spécialisés de l’homme, la main au pouce libre et le système nerveux développé, ne lui permettent pas de se procurer directement sa nourriture dans un milieu naturel déterminé. Mais ils permettent l’utilisation d’instruments de travail et, grâce au développement du langage, l’esquisse d’une organisation sociale gui assure la survie du genre humain dans un nombre indéterminé de milieux naturels ((). Le travail, l’organisation sociale, le langage, la conscience sont ainsi les caractéristiques propres de l’homme, inséparablement liées les unes aux autres et qui se déterminent mutuellement. Les instruments de travail sans lesquels l’homme ne peut produire, c’est-à-dire avant tout se procurer la nourriture nécessaire à la survie de l’espèce, apparaissent d’abord comme une prolongation artificielle de ses organes naturels. « L’homme a besoin d’instruments de travail pour suppléer à l’insuffisance de son équipement physiologique (3) ».
A l’aube de l’humanité, ces instruments de travail sont fort rudimentaires: des, bâtons, des pierres taillées, des morceaux d’os et de cornes pointus. En fait, la préhistoire et l’ethnologie classent les peuples primitifs d’après les matières premières avec lesquels ils fabriquent leurs principaux instruments de travail. Cette classification commence en général avec l’âge de !a pierre taillée, bien que chez les habitants préhistoriques de l’Amérique du Nord, un âge de l’os semble avoir précédé l’âge de la pierre proprement dit. Progressivement, des techniques productives se dégagent de la répétition continuelle de gestes de travail identiques. La découverte technique la plus importante dans la préhistoire humaine fut sans doute celle de la production et de la conservation du feu. Bien qu’il ne subsiste plus de tribu primitive qui ait ignoré le feu avant son contact avec la civilisation étrangère(), d’innombrables mythes et légendes témoignent d’un âge sans feu, suivi d’une époque pendant laquelle l’homme ne savait pas encore le conserver. Sir James George Frazer a rassemblé des mythes sur l’origine du feu chez près de deux cents peuples primitif. Tous ces mythes indiquent l’importance capitale que joue à l’aube de l’existence humaine la découverte d’une technique de production et de conservation du feu (5).
Le produit nécessaire
C’est par le travail que Ies hommes satisfont leurs besoins fondamentaux. Manger, boire, se reposer, se protéger contre Ies intempéries et les excès du froid ou de la chaleur, assurer la survie de l’espèce par la procréation, exercer les muscles du corps: voilà les besoins les plus élémentaires d’après l’ethnologue Malinovski. Tous ces besoins sont satisfaits .socialement, c’est-à-dire non par une activité purement physiologique, par un duel entre l’individu et les forces de la nature, mais par une activité qui résulte des rapports mutuels établis entre les membres d’un groupe humain Plus un peuple est primitif, et plus large est la partie de son travail, et, en fait, de toute son existence, occupée par la recherche et la production de la nourriture (7). Les méthodes les plus primitives de production de nourriture sont la cueillette de fruits sauvages, la capture de petits animaux inoffensifs, ainsi que les formes élémentaires de chasse et de pêche. Un peuple qui vit à ce stade primitif, par exemple les aborigènes d’Australie ou, mieux encore, les habitants primitifs de Tasmanie, complètement disparus depuis 3/4 de siècle, ne connaît ni habitations permanentes, ni animaux domestiques (sauf quelques fois le chien), ni tissage de vêtements, ni fabrication de récipient pour la nourriture. Il doit parcourir un territoire fort large pour rassembler suffisamment de vivres. Seuls, les vieillards physiquement incapables de se mouvoir sans cesse peuvent être en partie libérés de la collecte immédiate de nourriture, pour s’occuper de la fabrication d’instruments de travail.
La plupart des peuplades les plus arriérées qui survivent encore aujourd’hui, tels les habitants des îles Andaman dans l’océan Indien, les Fuagiens et Botocudos de l’Amérique latine, les Pygmées en Afrique centrale et en Indonésie, les Kubu sauvages en Malaisie, mènent une vie comparable à celle des Australiens aborigènes. Si l’on admet que l’humanité existe depuis un millions d’années, elle vécut pendant au moins 980.000 ans dans un état d’indigence extrême. La famine était une menace permanente pour la survie de l’espèce. La production moyenne de nourriture était insuffisante pour couvrir les besoins moyens de consommation. La conservation de réserves de nourriture était inconnue. De rares périodes d’abondance et de bonne fortune conduisaient à un gaspillage considérable de la nourriture. « Les Boschimans, Ies Australiens, les Veddas du Ceylan et Fuégiens ne constituent pour ainsi dire jamais de réserves pour l’avenir. Les habitants de l’Australie centrale désirent toute leur nourriture en une fois, afin Ide bien pouvoir s’en gorger. Ensuite, ils se résignent à avoir grand-faim… Lorsqu’ils se déplacent, ils abandonnent leurs instruments de pierre. S’ils en ont besoin à nouveau, ils en fabriquent d’autres. Un seul instrument suffit à un Papou jusqu’à ce qu’il soit usé; il n’a pas l’idée d’en fabriquer un à l’avance pour remplacer l’ancien… L’insécurité a empêché la constitution de réserves dans les temps primitifs. Les périodes d’abondance et de semi-famine se succèdent régulièrement (9). » Cette « imprévoyance » n’est pas due à des déficiences intellectuelles de l’homme primitif. Elle résulte plutôt de millénaires d’insécurité et de famine endémique, qui incitaient à se rassasier au maximum chaque fois que l’occasion en était donnée, et qui ne permettaient pas l’élaboration d’une technique de la conservation des vivres. L’ensemble de la production fournit le produit nécessaire, c’est-à-dire la nourriture, les vêtements, I’habitat de la communauté et un stock plus ou moins stable d’instruments de travail qui servent à produire ces biens. Il n’existe aucun surplus permanent.