Traductions de l’attention particulière aux îles européennes, émergence de nouveaux concepts en droit et politiques publiques
L’« attention particulière » que l’article 174 TFUE accorde aux îles concerne la politique de cohésion, qui ne contribue, comme on vient de le voir, que par ricochet à la protection de l’environnement. Or, l’insularité influence une large gamme de domaines de priorités européennes. L’effet insulaire exige des dérogations fiscales, une politique migratoire précise, des politiques spécifiques sur l’éducation et la culture et une politique sur la santé publique renforcée. Dans ce cadre, la protection de l’environnement paraît comme une évidence, un standard minimum à garantir aux îliens, confrontés à des multiples difficultés et victimes d’un manque d’attention étatique. Les enjeux environnementaux auxquels font face les îles sont multiples. De nombreuses îles méditerranéennes ont connu une croissance rapide du tourisme, évolution qui bouleverse la manière de gérer l’environnement dans son ensemble. Les besoins en ressources naturelles ont augmenté, la protection de la nature est devenue plus difficile et la production de déchets a connu une augmentation considérable qui nuit aux possibilités de stockage618. En même temps, les îles sont confrontées à diverses problématiques environnementales, souvent relatives à leur taille et leur condition climatique. Les petites îles ont des productions agricoles très réduites619 et se retrouvent dans une situation de dépendance à l’égard d’un petit nombre de produits. Parallèlement, les grandes îles rencontrent principalement des problèmes liés à l’urbanisation de l’espace et l’artificialisation des sols620. En matière d’attractivité, les îles souffrent d’une surfréquentation durant la saison estivale qui change profondément en période hivernale. L’UE détient la compétence dans la majorité des domaines marquant les îles, domaines qui auraient dû être renouvelés dans le cadre de la prise en compte récente de l’insularité.
Cependant, la politique et la législation environnementales sont rarement construites en prenant en compte les particularités de l’insularité. « L’attention particulière » de l’article 174 TFUE n’est pas transposée et appliquée par la politique environnementale, bien que l’article 174, en combinaison avec l’article 191 TFUE, puisse servir de base juridique pour l’adoption des mesures adaptées aux îles. Une exception à cette pratique tacite est le droit de la protection de la nature, qui prévoit certaines mesures pour les contextes insulaires (section 1). En revanche, l’insularité est prise en considération dans les politiques de développement à l’œuvre (section 2). La protection de la biodiversité est le seul domaine du droit de l’environnement en Europe qui prend explicitement en compte l’insularité. Des mesures adaptées sont préconisées dans le cadre du Conseil de l’Europe (§ 1). Le droit de l’UE commence à aborder la fragilité insulaire face aux modifications biologiques, mais les mesures précises restent limitées et mitigées (§ 2). Au regard de l’influence du droit du CdE au droit de l’UE, la protection de la biodiversité peut devenir l’outil juridique principal pour la protection de l’environnement des îles de la Méditerranée.
Le rôle du Conseil de l’Europe dans l’élaboration de la législation européenne est primordial : il agit en tant que think tank, il déclenche des initiatives législatives innovantes et inspire les autres ordres juridiques vers l’adoption de législations contraignantes. Outre son action pour l’élaboration des politiques spécifiques pour les îles, développée à l’initiative de son organe consultatif, le Conseil de l’Europe est à l’origine de plusieurs conventions internationales. Ces conventions offrent un cadre juridique pour la protection de la nature des îles européennes. Bien que la politique environnementale ne figure pas parmi les compétences du CdE, il agit pour la protection de la nature à travers sa politique du patrimoine commun621. La convention de Berne s’inscrit dans ce registre en instituant un cadre pour la protection de la diversité biologique en Europe (A). Le système de Berne s’avère être à l’écoute des évolutions scientifiques, en adoptant une Charte pour la protection des îles européennes (B).