Applications et apports hydrogéologiques des Matières Organiques Dissoutes au traçage spatial et temporel
L’objectif principal de ce chapitre est de caractériser un traceur hydrogéologique à partir de l’analyse des Matrices d’Excitation-Emission (MEE) et des spectres de Résonance Paramagnétique Electronique (RPE), en prenant en compte les observations faites dans la partie III.3. Puis, nous essaierons de montrer en quoi ce nouveau traceur apporte une information nouvelle en terme de traçage hydrogéologique, mais aussi en terme de dynamique et cinétique d’évolution de la MOD au sein d’un aquifère karstique. L’idée du traçage spatial est de repérer une signature particulière d’une surface donnée, de réussir à la retrouver au niveau d’un écoulement, et ainsi en déduire si cette surface marquée appartient bien au bassin d’alimentation de cet écoulement. Ces surfaces caractérisées peuvent être un sol naturel, une zone polluée ou encore des eaux de surface (dans le cas, par exemple, des systèmes binaires).
Un traçage spatial
Depuis leur première utilisation par Coble et al. (1990) pour l’étude des matières organiques des eaux marines, les MEE n’ont cessé de susciter un fort intérêt dans le domaine de l’environnement. En effet, cette technique analytique a été appliquée à de nombreux types d’échantillons (MOD marines, des estuaires, des eaux douces de surface, des eaux souterraines, des sédiments, en sortie de Station de Traitement des Eaux Polluées (STEP), …). D’autre part, durant la dernière décennie, elle a été utilisée comme un moyen pour déterminer les différentes origines des eaux de surface et souterraines [Katsuzama & Ohte (2002) ; Stedmon et al. (2003) ; Alberts & Takacs (2004) ; Sierra et al. (2005) ; Mariot et al. (2007)] et suivre une contamination organique [Jiji et al. (1999) ; Parlanti et al. (2000) ; Baker & Curry (2004) ; Baker (2005)].
Pour qu’un traçage spatial soit possible, les sources de MOD mobilisable doivent chacune être caractérisées par une signature de fluorescence bien particulière. Nous avons donc examiné les MEE des lixiviats des différents types de sol présents sur le secteur du LSBB (Figure IV-1). Nous pouvons remarquer que les massifs de fluorescence identifiés dans les lixiviats (dans notre exemple : les massifs α, α’ et αe (cf. Figure III-17)) ne permettent pas de différencier le lithosol de la rendzine, puisque ces massifs sont présents dans les MEEs des trois extraits de sol. Il s’avère donc, pour les écoulements du LSBB, que cette technique ne peut nous aider à déterminer si l’une ou l’autre zone de sol appartient bien au bassin d’alimentation des écoulements étudiés.
Cependant, nous savons que le site présente l’intérêt de se situer dans une région où il n’y a pas d’activité humaine susceptible d’introduire une espèce fluorescente anthropique. En effet, les seules origines des MOD présentes dans les écoulements souterrains du LSBB sont les deux types de sol naturellement présents sur le site. Contrairement à cet exemple, la surface du bassin d’alimentation de la Fontaine de Vaucluse est occupée à 15.8 % par des terrains agricoles ou urbanisés (cf. II.1.4). La comparaison des eaux souterraines prélevées dans la galerie du LSBB et celles de la Fontaine de Vaucluse vont pouvoir nous indiquer si cette dernière est réellement impactée par les activités humaines. La Figure IV-2 nous permet d’identifier un massif δ plus important pour l’échantillon de Fontaine de Vaucluse, et un autre massif fluorescent de longueurs d’onde d’excitation (220 nm – 240 nm) et d’émission (335 nm – 365 nm) qui n’est présent que dans ce dernier. D’après la nomenclature résumée dans le Tableau III-4, ce massif correspond à des composés protéiniques anthropiques, montrant ainsi que le bassin d’alimentation de la Fontaine de Vaucluse contient des zones impactées par l’activité humaine. Bien qu’elles ne permettent pas de différencier les sols de notre secteur d’étude, les MEE peuvent mettre en évidence une pollution anthropique.
Application au secteur du LSBB
Nous avons donc appliqué cette technique sur le secteur d’étude du LSBB (Figure IV-3). En examinant l’allure générale des spectres RPE, nous avons constaté, dans la partie III.3.2.1, que celui du sol SE2 était très différent de ceux des sols SE1 et SA. De la même manière, nous pouvons remarquer que l’allure générale du spectre RPE de l’écoulement A (en bleu sur la figure) est très similaire à ceux obtenus pour ces deux échantillons de lithosol (SA et SE1), mais reste très différente comparativement à celle de la rendzine (SE2). Nous pouvons donc a priori émettre des doutes sur l’appartenance du sol SE2, malgré sa position à l’aplomb de l’écoulement, au bassin d’alimentation de A. Cette hypothèse peut être corroborée par l’étude de la fracturation du secteur d’étude. En effet, la matrice calcaire étant quasi imperméable, les écoulements karstiques se font au travers de fractures ouvertes, qui s’élargissent par dissolution. La carte nous montrent bien que le réseau de fractures responsable de l’écoulement A atteint la surface essentiellement à travers la zone décrite par les sols de type SA et SE1 [Pépin-Donat et al. (2010)].
La RPE nous a aussi permis d’obtenir des informations sur le bassin relatif à l’écoulement A. En effet, la présence d’une espèce paramagnétique stable et hydrosoluble à la fois dans les sols SA, SE1 et dans l’eau souterraine nous indique que la surface décrite par ces deux types de sol appartient bien à l’impluvium de A. Cependant, l’exclusion, hors du bassin d’alimentation, de la surface décrite par le sol SE2 ne peut pas être réellement envisagée à la vue des résultats obtenus. L’espèce π, malgré sa présence dans les sols SA et SE1, identifiés comme faisant partie de l’impluvium, n’apparaît pas à l’exutoire ; ce qui nous indique qu’elle ne possède pas les caractéristiques d’un bon marqueur, à savoir la stabilité, le faible potentiel à l’adsorption et la solubilité. Etant la seule espèce caractérisée dans le sol SE2, son absence au niveau de l’écoulement A ne peut valider de façon formelle l’exclusion de la zone décrite par le sol SE2 hors du bassin d’alimentation.