Toxicocinétique du bisphénol A
De nombreuses études in vivo et in vitro ont été réalisées dans le but d’évaluer les paramètres TK du BPA. Des études de TK in vivo réalisées chez différentes espèces (rat, souris, singe, porc ou encore brebis dans notre laboratoire) et avec différentes voies d’administrations Etude bibliographique 27 (sous-cutanée, orale, intraveineuse…) ont permis l’évaluation des paramètres d’absorption, de distribution, de métabolisme et d’élimination du BPA. Des études in vitro sur des matrices biologiques humaines et animales ont permis d’évaluer la fraction libre du BPA dans le plasma et de déterminer les principales voies de métabolisation et les clairances intrinsèques associées. Cette partie consiste en une revue des données TK disponibles, principalement chez le rat, au titre de modèle de référence en toxicologie, le singe, qui représente le modèle animal le plus proche de l’homme, et la brebis, qui est l’espèce modèle du laboratoire. Les voies d’administration considérées dans cette partie sont principalement : La voie intraveineuse qui permet l’évaluation de paramètres TK fondamentaux tels que la clairance plasmatique La voie orale considérée comme la voie majeure d’exposition au BPA chez l’Homme. Les données obtenues chez l’Homme, bien que plus rares et fondées uniquement sur des administrations orales, sont également mises en perspectives par rapport aux données animales.
Principes et intérêts de l’évaluation toxicocinétique
La connaissance des paramètres TK permet d’estimer les concentrations plasmatiques en BPA non-conjugué à partir de la dose et de la voie d’exposition externe. En effet, la TK évalue l’action de l’organisme sur la molécule et les déterminants de la relation entre l’exposition externe (la dose) et l’exposition interne. L’exposition interne est le plus souvent évaluée au travers des concentrations plasmatiques car elles reflètent les concentrations tissulaires à l’origine des effets biologiques, et également en raison de la possibilité de suivre leur décours temporel par l’intermédiaire de prélèvements sanguins répétés. En effet, c’est via la circulation sanguine qu’une molécule est distribuée dans l’organisme, ceci est vrai pour les tissus cibles et également pour les organes impliqués dans l’élimination. Les concentrations plasmatiques permettent donc à la fois de suivre la disposition de la molécule dans l’organisme au cours du temps et de prédire l’effet biologique qui en résulte. C’est la raison pour laquelle elles sont systématiquement utilisées dans le développement de médicaments et en toxicologie. En ce qui concerne le BPA, seule sa forme non-conjuguée est biologiquement active, c’est pourquoi l’estimation des concentrations plasmatiques en BPA non-conjugué chez l’Homme est essentielle à l’évaluation du risque. Cependant, à l’heure actuelle, l’évaluation de ces concentrations se heurte à des difficultés méthodologiques liées aux limites de détection des techniques de dosage du BPA et au risque de contamination des échantillons par le BPA omniprésent dans l’environnement. Alternativement, les concentrations plasmatiques en BPA non-conjugué peuvent être prédites à partir des paramètres TK. Cependant, les doses d’exposition environnementales étant plus faibles que celles appliquées habituellement pour l’évaluation TK, l’indépendance de ces paramètres TK vis-à-vis de la dose est un prérequis à l’extrapolation des prédictions TK aux conditions d’expositions environnementales. A ce sujet, les données expérimentales obtenues chez l’animal suggèrent que l’exposition en termes de concentrations plasmatiques en BPA est proportionnelle à la dose (67,68), ce qui atteste du caractère prédictif des modèles TK pour l’estimation de l’exposition humaine interne au BPA. Alors que les paramètres de métabolisme systémique, de distribution et d’élimination sont communs à toutes les voies d’exposition, les paramètres d’absorption et de biodisponibilité sont très dépendants de la voie d’entrée. Ainsi, la source majeure d’exposition externe au BPA n’est pas nécessairement le contributeur principal de l’exposition interne ni des concentrations plasmatiques en BPA non-conjugué reliées aux effets. C’est la raison pour laquelle l’étude approfondie des caractéristiques TK du BPA est importante dans l’évaluation du risque (Figure 4).
Métabolisme et excrétion
Les deux principales voies d’élimination d’une molécule par l’organisme sont le métabolisme, qui consiste en une transformation par réaction enzymatique, et l’excrétion, qui consiste en une sécrétion de la molécule en dehors de l’organisme (rénale le plus souvent, biliaire, pulmonaire, salivaire…). Chez toutes les espèces étudiées, le BPA est très majoritairement éliminé par métabolisation et plus précisément via des réactions de conjugaison enzymatique de phase II. La glucuronoconjugaison, c’est-à-dire l’ajout d’un acide glucuronique, est la voie de métabolisation majoritaire du BPA, le BPA étant également minoritairement sulfoconjugué (ajout d’un ion sulfate). Ceci a notamment été vérifié chez le singe (69,70), le rat, la souris (71,72) et la brebis (17), et a été observé également chez l’homme (56) après une administration par voie orale. L’importance de la glucuronoconjugaison du BPA a également été évaluée in vitro. Comme pour la plupart des xénobiotiques, le BPA est essentiellement glucuronoconjugué par l’organe métabolique principal, le foie (73), bien qu’une activité de conjugaison ait été également mise en évidence au niveau de l’intestin (74). Des études in vitro ont mis en évidence des valeurs élevées de clairance intrinsèque de glucuronoconjugaison du BPA par des hépatocytes ou des fractions microsomales hépatiques de rat, de souris, de brebis et d’Homme (74–76). L’enzyme majoritairement responsable de la glucuronoconjugaison chez l’Homme a été identifiée (74,77), il s’agit du membre B15 de la famille 2 des UDPGlucuronosyltransferase (UGT2B15). L’ensemble de ces études vont dans le sens de faibles différences interspécifiques du métabolisme du BPA. Cependant, deux différences importantes sont constatées entre les rongeurs et les autres modèles animaux, y compris les primates : -La première concerne le développement des capacités métaboliques de glucuronoconjugaison avec l’âge. Chez le rat, la clairance de glucuronoconjugaison du BPA est plus faible chez le nouveau-né que chez l’adulte alors que ces différences ne sont pas présentes chez le singe rhesus (71). L’immaturité de la clairance métabolique chez le rongeur nouveau-né peut avoir des conséquences importantes sur les effets du BPA en augmentant les concentrations plasmatiques en BPA non-conjugué pour une même dose externe. La deuxième conséquence étant une probable augmentation de la biodisponibilité du BPA par voie orale chez les rats nouveau-nés. -La deuxième concerne l’excrétion du BPA conjugué. Alors que le BPA est principalement éliminé sous forme de BPAG dans les urines chez l’homme, le singe et la brebis (17,33,70), le BPA subit un cycle entéro-hépatique chez le rat (72,78). Il en résulte que le BPAG est excrété dans l’intestin puis y est hydrolysé avant d’être réabsorbé, entrainant des rebonds de concentrations plasmatiques en BPA non-conjugué et un temps de demi-vie plus long comme décrit dans la partie III.D.6 de ce chapitre (79). Chez l’ensemble des espèces étudiées, le BPA est donc éliminé par glucuronoconjugaison hépatique, puis le BPAG formé est éliminé dans les urines chez l’Homme et subit un cycle entéro-hépatique chez le rat conduisant à l’élimination fécale du BPA (Figure 5). Ce métabolisme hépatique efficace aura un impact important sur les paramètres TK de clairance et de biodisponibilité décrits ci-après.
Clairance
La clairance plasmatique ou plus simplement clairance, est le paramètre TK le plus important à considérer car de ce paramètre dépend l’ensemble des concentrations plasmatiques, que cela soit dans les premiers temps ou un long moment après l’exposition, et ce quelle que soit la voie d’exposition. La clairance plasmatique est le paramètre le plus souvent utilisé car il reflète la clairance corporelle totale d’une molécule. Contrairement à ce qui est indiqué couramment, il est préférable de ne pas considérer la clairance plasmatique comme le volume apparent de plasma épuré de la molécule par unité de temps, car le terme « volume apparent » peut porter à confusion. La clairance plasmatique est la constante de proportionnalité.
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