Tourisme et construction identitaire la construction d’un autre regard
Un tourisme en manque de compétitivité : contexte et cadre légal du tourisme au Sénégal
Le tourisme dans ses formes contemporaines implique à la fois des périodes d’oisiveté, de vacances et de déplacements vers des contrées différentes du lieu de vie habituel. Aussitôt après les indépendances, notamment vers les années 1970, les autorités sénégalaises, pour développer le tourisme au Sénégal, ont ouvertement pris l’option de l’orienter vers l’international, en visant un public essentiellement occidental (Diombera, 2012 ; Dehoorne, Diagne, 2008). Ainsi, le Sénégal qui n’était alors qu’un pays inconnu de la carte internationale a été alors investi par des touristes des pays occidentaux. Ces « riches » oisifs fuyaient l’hiver chez eux pour profiter de la douceur du climat et des lieux de plaisir, qui ne tardèrent pas à se multiplier. L’idéologie induisant ces flux nouveaux avait pris naissance après la seconde Guerre Mondiale avec la mode du bronzage et le goût du soleil sur les plages. A partir des années soixante, l’essor du transport aérien par charter a entrainé une globalisation de cette périphérie, en ouvrant la plupart des pays de ce qu’on nommait alors le Tiers Monde a la pénétration d’un tourisme de masse. Se dessine alors une carte du tourisme international sur laquelle se distinguent des pays du tiers monde qui offrent, surtout pendant l’hiver, le soleil, les plages et l’exotisme aux touristes venus des pays industrialisés (Boutillier, Copans, Fieloux, Lallemand, Ormieres, 1978). Ce tourisme d’élites, qui s’est développé dans la moitié du XXe siècle a ainsi contribué à développer un tourisme récepteur par la réalisation d’importants investissements publics qui ont permis la construction de plusieurs établissements hôteliers, de grand standing (PSDT, 2014-2018)47, les plus importants se trouvant au niveau de Dakar, dans la région de Thiès et du Club Méditerranée de cap Skiring.
Les politiques du tourisme au Sénégal : « une navigation à vue » ?
Dans son nouveau rapport émis en 2018, le MTTA signale le manque de données statistiques en provenance des établissements para-hôteliers48. Ajoutons que la plupart des salariés interrogés abondent dans le même sens, en soulignant le manque d’informations permettant de s’orienter en fonction de leurs préférences et attentes touristiques. Ceci est confirmé par les propos tenus par Kara et Bocar, des salariés dans l’administration publique du Sénégal : « Il n’y a pas suffisamment d’informations sur les sites touristiques qui facilitent le déplacement des Sénégalais ». (Kara, 27 ans) « Au Sénégal, je dénonce l’absence d’informations et de promotion du tourisme » (Bocar, 31 ans) On peut noter une absence de relation de confiance de la part des autochtones envers les dispositifs des autorités sénégalaises, (Hammer, 2010). Les expériences des Sénégalais sont peu valorisées par les professionnels du tourisme et sont aussi moins prises en compte dans les dispositifs touristiques. Cependant, ces dispositifs contribuent à influencer la manière dont les Sénégalais se représentent le tourisme, souvent considéré comme l’apanage des étrangers provenant de pays occidentaux, comme le montrent les propos tenus par un des interviewés : « La plupart des Sénégalais, des élèves ne connaissent pas leur pays. On devrait pouvoir mettre sur pied, promouvoir un peu le tourisme interne. Promouvoir le tourisme interne, c’est permettre aux élèves d’aller visiter, d’aller vers les sites à découvrir. Avant de pouvoir vendre un produit, il faut connaître le produit, si vous ne connaissez pas le produit, vous ne pourrez pas le vendre » Ainsi, il conviendrait de valoriser les expériences de mobilités des locaux, et de mettre l’accent sur les socialisations variées en matière de tourisme (Guibert, 2016). C’est l’idée défendue dans le discours tenu ci-dessus par Lakhad, salarié dans l’administration privée. En procédant de la sorte, les socialisations à la mobilité dès le jeune âge favoriseraient un élargissement des modalités de la pratique du tourisme au niveau national, car ces socialisations « structurent les habitudes mentales dès l’enfance et ce tout au long de la vie sociale d’un individu » (Guibert, 216). Il semblerait que l’industrie touristique sénégalaise doive se repenser à travers une politique qui intègre les valeurs et l’image du pays, et non en fonction d’un agenda touristique venu d’ailleurs, une nécessité car, négliger ces valeurs, c’est non seulement donner une vision tronquée du tourisme au Sénégal, mais aussi restreindre le public concerné par le tourisme. Quoi qu’il en soit, c’est en ce sens que semble s’orienter le discours de Mame Mor, un professionnel de l’hôtellerie, qui dénonce un manque d’organisation des autorités étatiques : « Il appartient à l’Etat d’organiser le secteur et actuellement le tourisme n’est pas bien organisé ça je vous le dis. Ça fait 35 ans que je suis au service du tourisme, j’ai fait le monde, j’ai fait pas mal de pays, j’ai vu comment ils fonctionnaient, en Tunisie, au Maroc notamment et je sais comment ils sont organisés. Ce qui est loin d’être le cas au Sénégal. » Par ailleurs, à la suite d’un courriel électronique envoyé à 89 responsables d’agences et d’hébergements touristiques du Sénégal (afin de compléter nos données et de nous enquérir de la manière dont le tourisme est géré et planifié au Sénégal), un des responsables d’hôtels, monsieur Loffroy nous déclare : « Si vous faites référence au ministère du tourisme, en Casamance, il n’ y a pas de planification à ma connaissance, d’ailleurs on ne dispose pas de statistiques fiables. Il faut aussi tenir compte de la part du secteur informel ou semi formel qui n’est pas référencé. Sinon, je pense que vous aurez les mêmes infos. Il n’y a pas de planification, c’est de la navigation à vue. Ensuite bien entendu, les professionnels eux planifient de manière individuelle et parfois via les syndicats ou autres structures collectives professionnelles car sinon on ne peut pas gérer. ».