Tordeuse des bourgeons de l’épinette
Les écosystèmes boréaux sont adaptés aux perturbations naturelles. En effet, les espèces ont développé des stratégies pour maintenir le renouvellement des peuplements, la distribution spatiale et l’abondance des espèces (Johnstone et al. 2016). La sévérité, la fréquence et l’intervalle entre les perturbations naturelles peuvent aussi influencer la densité, la composition, la structure ainsi que la résistance des peuplements à d’autres perturbations (McCullough et al. 1998; Peh et al. 2015; Bergeron et al. 2017).
Généralement, le feu est la principale perturbation qui touche la forêt boréale d’Amérique du Nord (National Forestry 2017). En 2018, cette perturbation naturelle a touché 62 529 hectares de la forêt québécoise (National Forestry 2017). Toutefois, les épidémies d’insectes restent la perturbation naturelle causant le plus de ravage sur l’ensemble du territoire (Figure 2) (MacLean 2004; Ressources naturelles Canada 2018b). En 2017, cette perturbation a touché 7,1 millions d’hectares de forêt, pour atteindre 9,6 millions d’hectares en 2019 (MFFP 2019). Généralement, les épidémies de la TBE sont cycliques et surviennent tous les 25 à 40 ans (Royama 1984; Royama et al. 2005; Morin et al. 2008; Navarro et al. 2018a). Toutefois, en Amérique du Nord au courant des derniers siècles, la fréquence, la sévérité ainsi que la répartition spatiale des épidémies de TBE ont été modifiées (MacLean 2004; Navarro et al. 2018b). Ces changements peuvent être expliqués par l’altération de la répartition spatiale d’arbres hôtes, de la fréquence des feux par les changements climatiques (Blais 1983; Morin et al. 2008; Bouchard et Auger 2014; Navarro et al. 2018c).
Les épidémies de TBE sont des acteurs importants dans la dynamique des peuplements (Baskerville 1975). La défoliation grave a pour effet de réduire la croissance des arbres et plusieurs années successives de défoliation peuvent causer la mort des individus (Ressources naturelles Canada 2012; Chabot et al. 2013; Ressources naturelles Canada 2016c). L’augmentation du taux de mortalité des arbres matures, en phase épidémique, permet une ouverture de la canopée ce qui favorise la croissance de la régénération et contribue aux changements de la structure d’âge des peuplements (Kneeshaw et al. 2011; Chabot et al. 2013).
L’intensité et l’impact de la défoliation à l’échelle de l’arbre varient selon certaines caractéristiques en lien avec le peuplement, comme la composition et la densité, mais aussi selon les caractéristiques spécifiques à l’arbre, comme l’espèce, la hauteur, l’emplacement et la proximité des autres arbres (Ruel et al. 2000; Morin et al. 2008; Ressources naturelles Canada 2012; MFFP 2014; Johns et al. 2019; Pureswaran et al. 2019). D’abord, la TBE affecte principalement le sapin baumier (Abies balsamea (L.) Mill), suivi de l’épinette blanche (Picea glauca (Moench) Voss) et finalement l’épinette noire (Picea mariana (Mill.) BSP) (Hennigar et al. 2008). Le sapin baumier est l’espèce hôte principale puisque l’arrivée du feuillage annuel est synchronisée avec l’émergence des larves (Chabot et al. 2013; Fuentealba et al. 2017). Ensuite, la TBE se nourrit principalement d’arbres matures puisque le feuillage des jeunes individus est composé d’une plus forte concentration de certains éléments, comme les tannins, qui réduit leur qualité nutritive (Bauce et al. 1994; Bergeron et al. 1995; Deslauriers et al. 2018). C’est pour ces raisons, en plus d’avoir une plus grande valeur économique, que les efforts en recherche sont principalement axés sur les effets et les conséquences de la TBE sur les arbres matures.
Bien que l’insecte préfère les arbres matures, des études récentes démontrent que la régénération peut aussi être affectée sévèrement lors d’une épidémie (e.g. Cotton-Gagnon 2017; Lavoie et al. 2019; Nie et al. 2019). Malgré le manque de connaissances au sujet des facteurs qui influencent la défoliation de la régénération, quelques études ont confirmé une différence de défoliation selon la hauteur des semis, la composition en essence et la densité du peuplement mature (Ruel et Huot 1993b; Bognounou et al. 2017; Nie et al. 2018). De plus, Swaine (1933) a démontré que les semis en sous-couvert et en condition ombragée ont une moins grande résistance à la défoliation et subissent plus de mortalité.
Les régimes des perturbations naturelles sont complexes, varient à différentes échelles et incluent l’interaction entre plusieurs éléments. L’étude de l’impact de la TBE sur la régénération est encore à son début et beaucoup de questions restent encore à aborder pour mieux comprendre la vulnérabilité des semis aux épidémies. En somme, avec l’importance de la régénération dans la pérennité des écosystèmes forestiers, l’ajout de connaissances dans ce domaine doit faire partie des priorités afin de prédire la réponse de la forêt à cette perturbation, spécialement dans un contexte de changement climatique où les régimes des perturbations naturelles seront modifiés (Gauthier et al. 2014; Gauthier et al. 2015).
CHAPITRE I – INTRODUCTION GÉNÉRALE |