Topologie de l’organisation du sens dans la maladie d’Alzheimer

Topologie de l’organisation du sens dans la maladie d’Alzheimer

Tout au long de ce travail enrichi d’observations cliniques, une topologie de la maladie d’Alzheimer se dessine en fonction des capacités résiduelles des malades à symboliser le réel. Nous reprendrons cette topologie à travers quatre sous chapitres : les dysfonctionnements de la mémoire, les conséquences tensives pour le malade, l’impact sur ses formes de vie et enfin les difficultés induites par la maladie sur le discours. Nous proposons cinq stades évolutifs selon l’organisation du sens trouvé par le malade, chacun s’installant progressivement, avec des transitions plus ou moins nettes. De façon approximative, nous les associerons avec le schéma de l’histoire naturelle de la maladie et ses niveaux d’altération cognitive évaluée par le score au test de Folstein (MMSE) : formes de début (MMSE >24), formes modérées à évoluées (MMSE 24–18), formes évoluées (MMSE 17–10), formes très évoluées (MMSE 10–5) et formes terminales, en termes cognitifs et non forcément en prenant en considération la fin de vie (MMSE < 5). Le patient va parcourir bien involontairement ces positions dans son évolution clinique. Dans un second temps, nous reprendrons les hypothèses initiales proposées en introduction pour les valider, les infirmer ou les reformuler éventuellement. Nous terminerons par des propositions thérapeutiques et quelques remarques générales.

La phase de début de la maladie d’Alzheimer est insidieuse et n’est pas toujours reconnue par la famille, de plus les troubles sont souvent déniés ou banalisés par le malade. Il cherche parfois à les cacher à ses proches. Pour ces raisons un retard du diagnostic est fréquent. Certains troubles passant inaperçus sont déjà installés de longue date : troubles mnésiques précoces dès l’âge de 50 ans (343), troubles du langage installés dès la fin de l’adolescence (340) encore peu étudiés médicalement. À ce stade, le malade fait des efforts pour retrouver les souvenirs qui se dérobent à lui. Il lutte pour maintenir à flot sa mémoire épisodique et sémantique. Les traces Gist marquées sur le plan affects et émotions prédominent sur les traces Verbatim et les oublis portent plus fréquemment sur ces derniers. Les tris axiologiques et les catégorisations* perceptives se fragilisent peu à peu. Les nouveaux événements perçus sont plus difficiles à mémoriser qu’auparavant, et les anciens souvenirs se déforment et s’enrichissent avec le temps, pas toujours à bon escient (loi de Ribot)(37). Les efforts du malade sont tournés vers le passé qui se dérobe. Il perçoit les risques de marginalisation pour sa vie en société. Aux difficultés des aidants pour la prendre en charge évoquées en consultation devant elle, une patiente prend la parole pour dire : « – Je n’ai plus les mots pour dire cela. Je me tais. J’ai trop besoin de ma famille maintenant ».

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Des tensions naissent entre les situations du passé, non encore oubliées et le présent, ce qui est source d’anxiété pour le malade conscient des troubles, une anxiété pas toujours partagée avec l’entourage. Les raisonnements concessifs sont ici encore possibles. L’accommodation des pratiques et des formes de vie garde une place pour des ajustements possibles, même si le patient tend de plus en plus à privilégier les mécanismes de programmation : « j’ai toujours fait ainsi ! ». Les situations trop complexes sont évitées, des erreurs se produisent de temps à autre. La persévérance dans les entreprises est encore possible, mais limitée lorsque celles-ci deviennent trop difficiles à appréhender et trop complexes à mettre en œuvre. Le malade interrompt alors ses tâches et passe à autre chose en trouvant de fausses excuses ou des mots échappatoires convenus. Il reste dans un régime de quête de découverte ou de redécouverte de ce qu’il est encore possible de faire. Des objectifs distants de son horizon habituel persistent, le désir et l’élan vital ne sont pas éteints. Tant que le malade a accès à des processus d’ajustement, il peut continuer certaines pratiques et assumer ses conflits internes. Les mécanismes de défense psychologiques lui sont alors accessibles.

 

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