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Des métabolismes divers, source de nombreuses molécules d’intérêt pour des applications variées
Utilisation de la cellule entière
Les microalgues sont consommées depuis plusieurs siècles en Afrique (autour du Lac Tchad), en Chine et en Amérique du Sud (civilisations précolombiennes). L’industrie agro-alimentaire reste le principal secteur qui les utilise aujourd’hui. En effet, 75% de la production totale de microalgues est transformée en produits destinés à l’alimentation (Pulz & Gross, 2004), et 30% du tonnage total est dédié à l’alimentation animale (Spolaore et al., 2006). Très peu d’espèces de microalgues sont actuellement autorisées pour l’alimentation humaine : Arthrospira platensis (1984), Chlorella vulgaris (2002) et Odontella aurita (2004) sont les seules espèces qui peuvent être consommées entières en France. Dunaliella salina, Dunaliella tertiolecta, Aphanizomenon flos-aquae et Nostoc sp (utilisée en Chine) sont aussi consommées dans le monde (Sathasivam et al., 2019). Les microalgues produites pour l’alimentation humaine sont parfois utilisées entières comme compléments alimentaires, mais elles se présentent plus fréquemment sous forme d’extraits nutraceutiques protéiques, lipidiques, antioxydants, etc.
Pour l’alimentation animale, s’ajoutent Skeletonema sp, Chaetoceros sp, Phaeodactylum sp, Nitzschia sp, Thalassiosira sp, Isochrysis sp, Pavlova sp, Tetraselmis sp et Scenedesmus sp (Sathasivam et al., 2019). Enfin, Dunaliella sp et Haematococcus sp sont utilisées pour leurs teneurs très importantes en β-carotène et astaxanthine. En alimentation animale, les microalgues sont principalement utilisées entières, seules, souvent fraîches, ou incorporées à un régime existant en tant que complément alimentaire. En effet, elles sont indispensables à plusieurs niveaux en aquaculture. Fraîches, elles servent à alimenter les stades larvaires et juvéniles des mollusques et des crevettes, mais également à produire de la nourriture vivante pour les alevins ou certaines huîtres au moment de l’affinage des adultes. Incorporées au régime alimentaire des salmonidés, elles donnent une couleur rose-orangée caractéristique à leur chair. Chez les animaux, (animaux domestiques, aquariophilie, élevage), les microalgues sont plutôt utilisées comme compléments alimentaires dans les rations quotidiennes (apport de vitamines, minéraux, acides gras essentiels, pigments) en vertu de leurs effets bénéfiques sur l’état général des animaux (Pulz & Gross, 2004 ; Sahasivam et al., 2019): couleurs plus vives, poils plus brillants, meilleur fertilité, meilleure régulation de la prise de poids, effets immunostimulants, etc. Elles sont également indispensables pour les élevages de volailles, auxquelles elles procurent les compléments protéiques nécessaires à la bonne formation des œufs (Sathasivam et al., 2019).
Les microalgues ont également démontré un potentiel très intéressantes pour le traitement biologique des eaux usées urbaines ou industrielles. En effet, elles absorbent non seulement l’azote et le phosphore inorganiques (nitrate, nitrite, ammonium, phosphate, etc.), mais également des polluants comme certains métaux lourds (Kumar et al., 2015). Elles pourraient également être valorisées dans le traitement des fumées et la mitigation du CO2 atmosphérique, à condition qu’elles soient valorisées ensuite (Mata et al., 2009). La biomasse ainsi obtenue peut servir à la production d’énergie, soit par combustion directe, soit par transformation en biodiesel, bioéthanol, ou biogaz.
Les pigments
De très nombreux pigments sont produits par les microalgues, dont la nature dépend à la fois des espèces et des conditions de culture, mais qui peuvent être répartis en trois familles distinctes : les chlorophylles, les caroténoïdes et les phycobilines. Certains sont utilisés comme colorants alimentaires naturels, dans les aliments ou dans les cosmétiques (rouges à lèvre, fards à paupière, eyeliner, etc.), d’autres possèdent des propriétés anti-inflammatoires, antioxydantes ou anticancéreuses qui laissent présager des applications cosmétiques, pharmaceutiques et médicales (Le Goff et al., 2019 ; Heydarizadeh et al., 2013).
Les chlorophylles sont les principaux pigments des microalgues, de par leur rôle dans la photosynthèse oxygénique. Elles absorbent principalement les lumières bleue et rouge. Présentes chez toutes les espèces, elles sont responsables de la couleur verte caractéristique du phylum Chlorophyta par exemple, et sont majoritairement utilisées pour leur pouvoir colorant.
Les caroténoïdes, qui se subdivisent en deux sous-groupes, les carotènes et les xanthophylles, sont des pigments dits « secondaires » de la photosynthèse, puisqu’ils transmettent l’énergie lumineuse qu’ils captent à la chlorophylle et en dissipent les excès pour la prémunir de la photodégradation. Seules quelques molécules de caroténoïde parmi les 400 connues sont utilisées aujourd’hui : le β-carotène (produit par Dunaliella salina, jusqu’à 14% de matière sèche), l’astaxanthine (produit par Haematococcus pluvialis (Boussiba et al., 1999), et dans une moindre mesure la lutéine, la zéaxanthine, le lycopène et la bixine (Vilchez et al., 2011). Elles sont utilisées pour leur pouvoir colorant (alimentation des salmonidés, coloration des œufs de volailles), mais présentent également un intérêt significatif en cosmétique et nutraceutique. En effet, le β-carotène est aussi connu sous sa dénomination de provitamine A, qui est d’une importance vitale pour la synthèse des composés rétiniens chez l’homme, tandis que l’astaxanthine, considérée actuellement comme l’un des antioxydants naturels les plus puissants (Vilchez et al., 2011), est utilisée dans de nombreuses préparations cosmétiques pour la peau et les cheveux, pour lutter par exemple contre la photo-oxydation de la peau par les UV (Koller et al., 2014). La bixine est également utilisée régulièrement pour la coloration de produits laitiers. Les caroténoïdes entrent enfin dans la composition des autobronzants et les préparations solaires (Koller et al., 2014).
Les phycobilines sont produites principalement par les cyanophyta et les rhodophyta. On distingue la phycocyanine (bleue) de la phycoérythrine (rouge). Principalement utilisées comme colorants alimentaires et en cosmétique, elles présentent également un grand intérêt pour l’industrie ainsi que pour les recherches fondamentale et clinique qui utilisent des techniques d’immunofluorescence. En effet, ces molécules sont utilisées comme marqueurs biocompatibles, seuls ou associés à différents anticorps, en cytométrie, microscopie, marquages immunitaires, etc. (Manirafasha et al., 2016).
Les vitamines
Bien que de nombreuses microalgues soient auxotrophes vis-à-vis des vitamines, certaines espèces sont capables d’en produire (Sathasivam et al., 2019). Entre autres, Dunaliella salina, outre la provitamine A, synthétise la thiamine (vitamine B1), la riboflavine (vitamine B2), la pyridoxine (vitamine B6), la biotine (vitamine B8), les vitamines C et E (tocophérols) (De Jesus Raposo et al., 2013). Porphyridium cruentum est riche en tocophérols. Arthrospira sp, Haematococcus sp, Chlorella sp (Bishop & Zubeck, 2012 ; Spolaore et al., 2006) produisent également la niacine (vitamine B3), l’acide pantothénique (vitamine B5), et l’acide folique (vitamine B9).
Les protéines et les sucres
Les carraghénanes et l’agar sont principalement produits à partir des macroalgues ; les alginates, certains polymères issus de la cellulose, de l’acide poly-lactique et du bio-polyéthylène sont produits par quelques espèces de microalgues (surtout du phylum Cyanophyta) et pourraient être utilisés dans la production de bioplastique (Khanra et al., 2018). Le β-1,3-glucane a des propriétés immunostimulantes, antioxydantes et joue un rôle dans la régulation du cholestérol sanguin chez l’homme. Quelques polysaccharides soufrés pourraient avoir des propriétés antibactériennes, antiadhésives, potentiellement utilisables dans des traitements anti-infectieux (Koller et al., 2014). De plus, les exopolysaccharides (EPS) sont les composés principaux des matrices extracellulaires sécrétées par les microalgues (Xiao & Zheng, 2016). Leurs compositions sont très variables d’une espèce à l’autre. Il s’agit dans l’immense majorité des cas d’hétéropolysaccharides, qui sont souvent ramifiés. De nombreux groupements fonctionnels comme l’acide glucuronique, l’acide uronique, des oses azotés (N-acétylglucosamine), ou des résidus sulfatés peuvent être associés aux hétéropolysaccharides et participent à leur rôle au sein de la matrice extracellulaire (Xiao & Zheng, 2016). Les EPS sont des composés prometteurs comme surfactant, émulsifiant et anti-adhésif biologiques. L’étude des EPS a également montré leur potentiel en tant qu’agents anti-inflammatoires et antibactériens, anti-tumoraux ou immuno-modulateurs (Xiao & Zheng, 2016). Enfin, la digestion et la fermentation des résidus de biomasse riches en sucres peuvent permettre d’obtenir du bioéthanol.
Certaines espèces comme Arthrospira sp (la spiruline) présentent des teneurs protéiques particulièrement élevées. En outre, leur profil en acides aminés est souvent comparable à celui d’autres végétaux (De Jesus Raposo et al., 2013), et constitue une alternative aux compléments alimentaires destinés aux athlètes et aux personnes qui suivent un régime alimentaire non carné. Les extraits protéiques réduiraient également les effets du vieillissement de la peau (Spolaore et al., 2006).
Les lipides, et plus particulièrement les acides gras polyinsaturés
Les lipides des microalgues ont été mondialement mis sur le devant de la scène au moment des crises pétrolières qui avaient entraîné une montée très importante des cours du pétrole, poussant les pays à envisager d’autres sources d’énergie et en particulier d’autres types de carburants, comme les biocarburants de deuxième et troisième génération. L’extraction des huiles et leur transestérification alcaline permet d’obtenir du biodiesel, alors que la digestion anaérobie peut produire du biogaz. Toutefois ces technologies, encore trop coûteuses, ne sont actuellement pas rentables économiquement, compte-tenu du cours du pétrole. Les recherches sur les lipides de microalgues s’intéressent également à leur potentiel de substitution aux huiles de poissons utilisées en industries agro-alimentaire et pharmaceutique en raison de leur richesse en acides gras polyinsaturés à longue chaine (AGPI-LC, plus de 20 carbones). Les huiles de poisson posent en effet des problèmes inhérents à la variabilité de leur qualité au cours de l’année et au fait que ce ne sont pas des ressources durables, car elles contribuent à la surexploitation des stocks halieutiques. En outre, les poissons ne synthétisent pas ou peu d’AGPI-LC, mais les accumulent dans leurs tissus en ingérant du phyto- et/ou du zooplancton qui en contiennent.
Les espèces de microalgues présentent des teneurs très variables en acides gras (1-50% de leur matière sèche, et jusqu’à 85% en conditions de stress (Santo-Sanchez et al., 2016, voir tableau 3) avec différents profils. Certaines possèdent de grandes quantités d’AGPI, en particulier dans leurs membranes (Santo-Sanchez et al., 2016), ainsi que des acides gras essentiels, principalement les acides eicosapentaénoïque (EPA), docosahexaénoïque (DHA) (deux acides gras dits ω3), l’acide arachidonique et l’acide ϒ-linolénique (deux acides gras dit ω6). Or, les organismes du règne animal ne disposent pas des enzymes leur permettant de synthétiser de novo les AGPI (même s’ils sont capables de transformer partiellement les chaînes carbonées) et doivent donc se procurer certains d’entre eux, appelés acides gras essentiels, dans leur alimentation (De Jesus Raposo 2013).
L’EPA joue un rôle essentiel chez l’homme puisqu’il est le point de départ de la voie de synthèse des eicosanoïdes, nécessaires à différentes fonctions du système immunitaire et cicatriciel, mais également à la prévention d’un certain nombre de maladies coronariennes (régulation de l’hypertension, thromboses, athérosclérose). Adjoint à une thérapie, l’EPA peut également atténuer certains troubles psychologiques (anxiété, dépression, schizophrénie) (Koller et al., 2014).
Le DHA est crucial pour le développement du fœtus, du nourrisson et de l’enfant, tout comme pour la santé de l’adulte : c’est en effet un composant structural majeur de nombreux organes (cerveau, yeux, testicules, systèmes nerveux et cardiovasculaire) (De Jesus Raposo 2013). Il aurait également des effets anticancéreux (Sun et al., 2013).
L’acide arachidonique, principalement incorporé dans les phospholipides membranaires, joue un rôle vasodilatateur et anti-inflammatoire (De Jesus Raposo 2013). Il est également nécessaire au développement des tissus musculaires (Koller et al., 2014).
Enfin, l’acide ϒ-linolénique, précurseur des prostaglandines, est couramment utilisé dans le traitement des maladies auto-immunes, du diabète, de l’obésité, de l’hypertension, des allergies cutanées, de certaines arthrites et plus récemment dans les thérapies anti-cancéreuses, de par sa capacité à inhiber la croissance des tumeurs et des métastases (Sathasivam et al., 2019).
Grâce à leurs propriétés variées, les extraits lipidiques de microalgues sont utilisés comme ingrédients sur le marché des produits de beauté, et en particulier dans les soins de la peau et des cheveux : crèmes anti-âge, produits régénérant et émollients (Spolaore et al., 2006), etc. Des extraits plus complexes sont également capables de stimuler la production de collagène par la peau (diminution des rides, Koller et al. 2016 ; Spolaore et al., 2006) ou la prolifération cellulaire dans l’épiderme (Spolaore et al., 2006). De manière générale, deux espèces occupent plus particulièrement le marché de la cosmétique : Arthrospira sp et Chlorella sp. Toutefois Haematococcus sp et Dunaliella sp sont aussi utilisées.
De plus, comme ils sont riches en acides gras polyinsaturés essentiels, ces mêmes extraits lipidiques peuvent avantageusement remplacer les huiles de poisson : dépourvues d’odeur ou de goût prononcés, leur utilisation est facilitée dans diverses préparations. A ce titre, les microalgues sont aussi entre les mains de l’industrie agro-alimentaire, puisqu’elles constituent des ingrédients de plus en plus utilisés pour élaborer des aliments « fonctionnels » (biscuits, pâtes, pain, yaourts, boissons, bonbons, etc.) (Pulz & Gross, 2004).
Structure générale
Les lipides sont des macromolécules hydrophobes de grande taille, solubles dans des solvants organiques. Elles se répartissent en 3 classes selon leur polarité et leur structure : les lipides neutres, qui eux-mêmes se subdivisent en différentes familles (principalement les hydrocarbures, les cires, les stérolesters, les cholestérols et dérivés, les acides gras libres, et les glycérides (mono-, di- et triglycérides)), les glycéroglycolipides (ou glycolipides) et les glycérophospholipides (ou phospholipides), qui sont des lipides dits polaires.
Les glycérolipides ont la même structure de base : une molécule de glycérol sur laquelle sont greffés deux acides gras (par des liaisons esters) et un groupement polaire dans le cas des phospholipides et des glycolipides, et trois acides gras dans le cas des triglycérides.
Les acides gras (Cuvelier et al., 2004) sont des acides carboxyliques aliphatiques dont la chaine carbonée comporte classiquement 12 à 24 atomes de carbone, même si de très longues chaines (jusqu’à 36 carbones) ont été identifiées chez certaines microalgues, le plus souvent en nombre paire de carbone. Dans le monde marin, les acides gras de plus de 20 atomes de carbone et 4 insaturations sont fréquents, contrairement à ceux des règnes animal et végétal. On distingue les acides gras saturés, c’est-à-dire ne comportant pas de double liaison carbone-carbone, et les acides gras insaturés, qui en comportent une (mono-insaturés) ou plusieurs (polyinsaturés) (Fig. 4). Les doubles liaisons C=C ont la particularité de couder la chaine aliphatique, ce qui peut jouer un rôle biologique important. En effet, les chaînes coudées prennent plus de place dans la membrane que les chaînes non coudées, ce qui fait qu’il y a plus d’espace entre les molécules. Une zone de la membrane riche en lipides contenant des acides gras polyinsaturés est donc plus fluide et plus souple, se déforme davantage et permet aux molécules de diffuser plus facilement à travers la membrane.
Plusieurs nomenclatures sont usitées pour ces molécules : la nomenclature ∆, principalement utilisée en chimie, la nomenclature ω, principalement utilisée en biologie et qui est celle que j’utiliserai dans ce document, et la nomenclature d’usage (acide palmitique, acide linoléique…).
Lipides de structure
Les lipides de structure sont les glycolipides et les phospholipides : comportant un groupement polaire, ils s’assemblent spontanément en bicouches lipidiques et forment ainsi la base de toutes les membranes biologiques dans lesquelles s’insèrent différents composés tels que les protéines membranaires (Fig. 5).
Le groupement polaire des phospholipides est composé d’un groupement phosphate, sur lequel est fixé un alcool : choline, sérine, éthanolamine, inositol principalement (Figure 6). Il dépend de l’espèce étudiée et de la membrane dans laquelle sera inséré le phospholipide. Les phospholipides sont donc très polaires et entrent dans la composition de toutes les membranes plasmiques, c’est-à-dire celles qui isolent la cellule du milieu extérieur, et celles qui sont invaginées dans la cellule.
Le groupement polaire des glycolipides est un assemblage de sucres plus ou moins complexes, souvent le galactose chez les microalgues (monogalactosyldiacylglycerol (MGDG), digalactosyldiacylglycerol (DGDG)). Les membranes des chloroplastes sont principalement constituées de MGDG qui forment des structures particulières hexagonales (Latowski et al., 2002 ; Goss et al., 2005), ainsi que de DGDG et de sulfoquinovosyldiacylglycerol (SQDG), qui s’assemblent en bicouche et forment donc la base des membranes chloroplastiques. L’enveloppe externe des chloroplastes contient aussi des phospholipides (phosphatidylglycérol et phosphatidylcholine) (Mühlroth et al., 2013).
Lipides de réserve
Les lipides de réserve constituent un stockage d’énergie et de carbone extrêmement optimisé : en effet, de par leur nature hydrophobe, ils ne piègent pas d’eau et ont donc des valeurs énergétiques proches de 40 KJ/g, contre moins de 20 KJ/g pour les sucres, par exemple (Zhu et al., 2016).
Les principaux lipides de réserve sont les triglycérides et les cires. Les cires sont des réserves énergétiques de long terme, produites par des organismes soumis à d’importantes variations de leurs ressources alimentaires, tandis que les triglycérides sont des réserves énergétiques de routine, synthétisées par des organismes qui s’alimentent régulièrement. Ils sont métabolisés par β-oxydation, ce qui permet de produire de l’ATP par respiration ainsi que des molécules réductrices utilisables dans d’autres voies métaboliques.
Quelques études (Guschina & Harwood, 2006 ; Garnier et al., 2016 ; Huang et al., 2019) suggèrent que les synthèses des triglycérides et des lipides polaires sont partiellement couplées. Ainsi, les triglycérides peuvent aussi servir d’intermédiaires pour la synthèse de lipides polaires, permettant des modifications membranaires très rapides lorsque les cellules sont confrontées à des variations brutales de leur environnement. Par ailleurs, les lipides polaires peuvent être partiellement dégradés et réincorporés dans les triglycérides quand les cultures sont en phase stationnaire.
Métabolisme et voies de synthèse
De nombreuses synthèses et travaux chez des microalgues modèles comme Phaeodactylum tricornutum (Mühlroth et al., 2013) ou Chlamydomonas reinhardtii (Guschina & Harwood, 2006 ; Fan et al., 2011 ; Yang et al., 2018), ainsi que la production de données génomiques, et en particulier l’édition du génome complet de 7 microalgues (Harwood & Guschina, 2009), ont permis de vérifier un certain nombre d’hypothèses sur les principales voies de synthèse des lipides.
Les microalgues sont autotrophes vis-à-vis du carbone, ce qui veut dire qu’elles utilisent du carbone inorganique pour synthétiser leurs molécules. C’est l’association de la chaine de transport des électrons et du cycle de Calvin, dans les chloroplastes, qui permet la fixation du CO2. La chaine de transport des électrons, installée dans la membrane thylacoïdale, permet en effet de convertir l’énergie lumineuse en énergie chimique (ATP et NADPH). Cette énergie est ensuite utilisée lors du cycle de Calvin pour former des molécules à 3 ou 6 carbones qui entrent dans les différentes voies métaboliques de la cellule.
Le fonctionnement de la chaine de transport des électrons en conditions normales est le suivant : l’absorption des photons par la chlorophylle du photosystème II (PS II) permet l’oxydation de 2 molécules d’eau (photophosphorylation de l’eau). Cela a pour effet de capter 4 électrons et de libérer 4 protons H+ et une molécule de dioxygène O2 (Ivanov et al., 2012). Les quatre électrons sont transmis à la plastoquinone, qui les transporte jusqu’au complexe du cytochrome b6f. Le cytochrome b6f est une pompe à protons, qui transmet les électrons à la plastocyanine tout en transportant des protons à travers la membrane thylakoïdale. La plastocyanine, enfin, transporte les électrons jusqu’au photosystème I (PS I). La chlorophylle du PS I, excitée grâce à l’absorption de photons, permet le transfert des électrons à la ferrédoxine, qui est finalement utilisée par la ferrédoxine-NADP+ réductase pour réduire le NADP+ en NADPH (Guidi et al., 2017). Les protons accumulés au cours du transfert des électrons sont utilisés par l’ATP synthase, pour produire de l’ATP.
Le cycle de Calvin-Benson-Bassham, couramment nommé « cycle de Calvin », utilise l’ATP et le NADPH pour permettre la fixation du CO2 et la production de glucose selon l’équilibre suivant : 6 CO2 + 12 NADPH + 18 ATP + 11 H2O → C6H11O9P2- + 12 NADP+ + 18 ADP + 17 Pi + 6 H+ avec Pi le phosphate inorganique. En pratique, la Rubisco, qui est l’enzyme-clé du cycle de Calvin, catalyse la fixation de trois molécules de CO2 sur trois molécules de ribulose-1,5-bisphosphate et dissociation des molécules obtenues en six molécules de 3-phosphoglycérate (Michelet et al., 2013).Certaines molécules de 3-phosphoglycérate permettent la régénération du ribulose-1,5-bisphosphate, tandis que les autres sont réduites en triose-phosphate et entrent dans différentes voies métaboliques. Parmi elles, la glycolyse permet la production de glucose et de pyruvate.
La synthèse de novo des lipides chez les microalgues commence par celle des acides gras dans les chloroplastes, catalysée par de nombreuses enzymes (Mühlroth et al., 2013 ; Guschina & Harwood, 2006 ; Harwood & Guschina, 2009). Le point de départ de la voie de synthèse est l’acétyl-CoA, qui soit provient du pool intracellulaire, soit est produit dans le chloroplaste par le complexe de la pyruvate déshydrogénase (PDC) à partir du pyruvate issu du cycle de Calvin. L’acétyl-CoA est ensuite lui-même transformé en malonyl-CoA par l’acétyl-CoA carboxylase (ACCase, homomériques en l’état actuel des connaissances, contrairement aux plantes supérieures) puis en malonyl-ACP par la malonyl-CoA:ACP transacylase (MAT). Le malonyl-ACP entre ensuite dans le premier cycle de synthèse des acides gras. Il y a alors deux possibilités : – il est condensé avec un acétyl-CoA pour former le 3-kétobutyryl-ACP par la 3-ketoacyl-ACP synthase (KAS), qui est lui-même réduit en 3-hydroxybutyryl-ACP sous l’action de la 3-ketoacyl-ACP réductase (KAR), puis déshydraté en trans-butenoyl-ACP par la 3-hydroxyacyl- ACP déshydratase (DH) et réduit à nouveau par l’enoyl-ACP réductase (ENR) en butyryl-ACP, qui est le précurseur de toutes les chaines aliphatiques d’acide gras.
– il est condensé sur un butyryl-ACP ou sur une chaine aliphatique préexistante, selon le même cycle et sous l’action des mêmes enzymes (formation d’un 3-kétoacyl-ACP, puis réduction en 3-hydroxyacyl-ACP, déshydratation en trans-enoyl-ACP et enfin réduction en acyl-ACP), afin d’allonger de deux unités la longueur de sa chaîne carbonée jusqu’à atteindre, dans la majorité des cas, des chaînes de 16 ou 18 carbones.
Sous l’action de la thioestérase acyl gras-ACP (FAT), les groupes acyles de ces chaînes aliphatiques sont à nouveau remplacés par des groupes coenzyme A. Les produits de ce premier cycle de synthèse sont donc des acides gras saturés. Ils sont stockés dans le chloroplaste ou exportés dans le cytosol ; ils peuvent, dans le cas des chaînes à 18 carbones, être désaturés une première fois avant d’être exportés dans le cytosol. Ils sont ensuite, pour certains, importés dans le réticulum endoplasmique pour permettre la synthèse des acides gras insaturés à longues chaînes grâce à l’action d’enzymes spécifiques : désaturases ∆9, ∆12, ∆6, ∆5, ∆4, ∆8, élongases. Cet arsenal enzymatique très complet leur permet de synthétiser de novo n’importe quel acide gras, ce qui n’est pas le cas, par exemple, chez les mammifères. Les microalgues sont les seuls organismes à posséder certaines enzymes comme la désaturase ∆4.
Table des matières
Chapitre 1 – Le phytoplancton, une solution durable et responsable pour nourrir les animaux d’aquaculture ?
1. Les microalgues, le nouveau couteau suisse de l’industrie biosourcée ?
1.1. Qu’est-ce que les microalgues ?
1.2. Des métabolismes divers, source de nombreuses molécules d’intérêt pour des applications variées
2. Les lipides chez les microalgues
2.1. Présentation des différentes familles de molécules
2.2. Métabolisme et voies de synthèse
2.3. Quels paramètres affectent la production et la composition des lipides (AGPI à longues chaines notamment) dans les microalgues ?
3. Différentes méthodes de culture des microalgues
3.1. La culture en batch
3.2. La culture semi-continue : le fed-batch
3.3. Les cultures en continu : chémostat et turbidostat
3.4. Modélisation de la croissance dans un photobioréacteur
4. Les différentes techniques permettant d’améliorer les microalgues en laboratoire
4.1. Criblage
4.2. Mutagenèse UV ou chimique
4.3. Organismes Génétiquement Modifiés (OGM)
4.4. Évolution dirigée en laboratoire
5. De l’intérêt de domestiquer les microalgues
5.1. Les principes de l’évolution selon Darwin
5.2. La sexualité chez les microalgues
5.3. Application à la domestication des microalgues
6. Quels choix pour mener une expérience d’évolution dirigée en laboratoire ?
6.1. Intérêt de la méthode d’évolution dirigée pour la production de souches spécifiques
6.2. Intérêt de la méthode de culture en continu
6.3. Choix des stress utilisés pour les expériences d’évolution en laboratoire
7. Objectifs de la thèse
Liste des figures
Liste des tableaux
Chapitre 2 – Matériel et méthodes
1. Le matériel biologique : Tisochrysis lutea
2. Les milieux de culture
3. Les systèmes de culture
3.1. Les sélectiostats
3.2. Les multicultivateurs
4. Les analyses effectuées
4.1. Les paramètres de croissance
4.2. Les analyses lipidiques
4.3. Les analyses CHN
4.4. Les analyses de génomique
4.5. Les analyses en cytométrie en flux
5. Protocoles des expériences d’évolution dirigée
Chapitre 3 : Tolérance de Tisochrysis lutea au stress oxydatif : une étude préliminaire centrée sur le métabolisme lipidique
Introduction
1. Choix des molécules oxydantes
2. Protocoles
2.1. Détermination de la toxicité du peroxyde d’hydrogène
2.2. Impact du peroxyde d’hydrogène à l’inoculation sur la croissance
3. Détermination du seuil de toxicité du peroxyde d’hydrogène H2O2
4. Impact du peroxyde d’hydrogène sur la croissance initiale d’une culture de Tisochrysis lutea 61
4.1. Impact sur la croissance
4.2. Impact sur la composition lipidique
Liste des figures et tableaux
Chapitre 4 : Utiliser le stress thermique et l’évolution dirigée en laboratoire pour améliorer la teneur en lipides polaires de Tisochrysis lutea
Enhancing PUFA-rich polar lipids in Tisochrysis lutea using dynamic Darwinian selection with thermal stress
Introduction
Material and methods
Microalgal strains
Cultivation device and protocol
Lipid extraction and class separation
Fatty acids analysis
DNA extraction and sequencing
Results and discussion
Overall evolution in the selectiostat
Phenotype evolution in standardized cultivation conditions
Genomic analysis
Conclusions
Acknowledgments
Chapitre 5 : Effets conjugués d’un stress thermique et d’un stress lumineux sur les teneurs en lipides polaires riches en acides gras polyinsaturés à longues chaines chez deux souches de T. lutea
1. Introduction
2. Matériel et méthodes
2.1. Matériel biologique
2.2. Système de culture et protocole
2.3. Analyses lipidiques
3. Résultats et discussion
3.1. Cultures dans les sélectiostats : température, lumière et oxygène
3.2. Caractérisation dans des conditions de culture standardisées
4. Conclusion
Liste des tableaux et figures
Chapitre 6 : Conclusions et perspectives
1. Le stress thermique pour impacter les membranes phospholipidiques
2. La conjugaison du stress thermique et du stress lumineux
3. Comment obtenir et maintenir des souches d’intérêt ?
3.1. « Courir pour rester sur place », mais marcher pour aller loin
3.2. Isoler les cellules présentant le phénotype d’intérêt
3.3. La nécessité de « figer » l’évolution
3.4. Augmenter la diversité génétique de départ ?
Conclusion
Chapitre 7 : références bibliographiques
Annexe 1: Listes des techniques considérées comme ne produisant pas d’organismes génétiquement modifiés