Thermodynamique et turbulence dans les épisodes de vent fort sur le Golfe du Lion
La turbulence de couche limite atmosphérique
Qu’est-ce que la couche limite atmosphérique ?
Par définition, la CLA est la partie de l’atmosphère au sein de laquelle les phénomènes dynamiques et thermodynamiques sont directement influencés par la surface terrestre avec un temps de réponse court (inférieur à une heure). En réalité, l’ensemble de l’atmosphère est influencé par la surface mais la troposphère libre et la stratosphère présentent des temps de réponse beaucoup plus longs. La hauteur de la CLA, notée par la suite zi est très variable mais il est admis que l’ordre de grandeur à l’échelle du globe est de 1 km. Il n’y a pas de définition unanime de zi , cette épaisseur correspondant à la transition entre la CLA et la troposphère libre peut être bien marquée ou graduelle. Les caractéristiques moyennes de la CLA ainsi que son extension verticale peuvent être très variables suivant le type de surface considéré (océan, continent, surfaces planes ou montagneuses). Équations de base Comme tout écoulement fluide, l’évolution de la CLA est gouvernée par les équations classiques de la mécanique des fluides et de la thermodynamique. Ces équations sont au nombre de sept, comprenant une équation d’état, l’équation de continuité, les trois équations de conservation de la quantité de mouvement, la conservation de l’humidité ainsi que la conservation de l’énergie. L’équation d’état s’obtient en considérant l’air humide comme un mélange idéal de deux gaz parfaits (i.e. d’air sec et de vapeur d’eau). Elle s’écrit : P = ρRdTv (1.1) avec P la pression, ρ la masse volumique de l’air humide, Rd la constante des gaz parfaits pour l’air sec et Tv la température virtuelle utilisée pour tenir compte des effets de l’humidité spécifique q : Tv = (1 + 0.61q) T (1.2) Dans la convention de sommation d’Einstein, où uj est la j e composante du vent (u, v et w), l’équation de continuité, aussi appelée équation de conservation de la masse, s’écrit : ∂ρ ∂t + ∂ ∂xj (ρuj ) = 0 (1.3) Les équations de conservation de la quantité de mouvement pour les trois composantes du vent s’écrivent : ∂ui ∂t + uj ∂ui ∂xj = −gδi3 − ij3fcuj − 1 ρ ∂P ∂xi + ν ∂ 2ui ∂x2 j (1.4) avec g la gravité, fc le paramètre de Coriolis, ν la viscosité cinématique, δij le symbole de Kronecker et le symbole de Levi-Civita. Ces équations prennent en compte l’ensemble des forces qui s’appliquent à une parcelle d’air, comprenant la force de gravité g, les forces de gradient de pression, les contraintes visqueuses et l’accélération de Coriolis avec fc = 2Ω sin(φ) le paramètre de Coriolis (où Ω est la vitesse de rotation angulaire de la Terre et φ la latitude). L’équation de conservation de l’humidité spécifique q s’écrit : ∂q ∂t + uj ∂q ∂xj = νq ∂ 2 q ∂x2 j + Sq ρ (1.5) avec Sq la masse de vapeur d’eau issue d’un changement de phase par unité de volume et de temps. Il s’agit d’un terme source s’il est positif et d’un puits s’il est négatif. La conservation de l’énergie, ou première loi de la thermodynamique s’écrit en terme de température potentielle θ : ∂θ ∂t + uj ∂θ ∂xj = νθ ∂ 2 θ ∂x2 j + Sθ ρ − 1 ρCp ∂Rj ∂xj (1.6) avec Sθ un terme source ou puits en fonction du gain ou de la perte d’énergie issue d’un changement de phase, Cp la capacité calorifique à pression constante de l’air, et Rj est le flux d’énergie radiative dans la direction j. Les équations de conservation de la quantité de mouvement pour les composantes horizontales du vent u et v peuvent être réécrites de façon plus lisible en introduisant la notion de vent géostrophique. Le vent géostrophique (ug, vg) résulte de l’équilibre entre les forces de Coriolis et de pression. En supposant un mouvement horizontal sans accélération ni frottement, l’équilibre géostrophique est : fug = − 1 ρ ∂P ∂y et fvg = 1 ρ ∂P ∂x (1.7) Les équations de conservation de la quantité de mouvement pour les composantes u et v peuvent alors se réécrire de façon simplifiée : ∂u ∂t + uj ∂u ∂uj = −f (vg − v) + ν ∂ 2u ∂x2 j (1.8) ∂v ∂t + uj ∂v ∂uj = f (ug − u) + ν ∂ 2 v ∂x2 j (1.9) Hormis en zone équatoriale où toute circulation est agéostrophique (f = 0 au niveau de l’Équateur) ou en cas de situations météorologiques bien particulières (les cyclones ou les lignes de grains par exemple), à l’échelle synoptique, la circulation horizontale des masses d’air est relativement bien représentée par la circulation géostrophique. Le vent géostrophique peut s’interpréter comme la composante à grande échelle du vent. Cette notion sera utilisée dans cette étude et détaillée dans la section 3.3 où les forçages atmosphériques seront abordés. La vitesse verticale est un autre paramètre important qui sera utilisé dans cette étude en tant que forçage atmosphérique (section 3.3). Connaissant les composantes horizontales du vent (u, v), la composante verticale w peut se déduire de l’équation de continuité (eq. 1.3). Dans le cadre de l’approximation de Boussinesq, les changements de densité résultant des changements de température ne sont importants que s’ils affectent directement la flottabilité. La conservation de la quantité de mouvement pour la vitesse verticale peut être réécrite en introduisant le terme de flottabilité qui rend compte de la poussée d’Archimède, on obtient : ∂w ∂t + uj ∂w ∂uj = − 1 − δθv θv g − 1 ρ ∂P ∂z + ν ∂ 2w ∂x2 j (1.10) avec θv la température potentielle virtuelle et δθv une perturbation par rapport à l’état de référence θv telle que θv = θv + δθv. La poussée d’Archimède est dirigée vers le haut si la parcelle d’air considérée est plus légère (ou plus chaude en première approximation) que son environnement. L’importance du terme de flottabilité est développée dans la section 1.1.3 où les équations gouvernant la turbulence atmosphérique sont détaillées. La viscosité ne joue un rôle important qu’au voisinage d’obstacles fixes où il se développe une sous-couche visqueuse de l’ordre de quelques centimètres liée à la condition d’adhérence qui impose une vitesse nulle. Au sein de cette sous-couche visqueuse, ce sont les termes de viscosité qui pilotent les échanges de quantité de mouvement, d’humidité et de chaleur. Cette sous-couche visqueuse n’étant épaisse que de quelques centimètres, les termes liés à la viscosité moléculaires qui apparaissent dans chacune des équations de conservation sont négligeables devant les autres termes pour la CLA.
Définition et origines de la turbulence
En mécanique des fluides, on distingue deux types de régimes d’écoulement, laminaire et turbulent. Un écoulement laminaire est caractérisé par une certaine régularité, présente peu de variations spatiales et temporelles, et est souvent associé à une viscosité du fluide prépondérante devant les forces inertielles. La turbulence apparaît lorsque la source d’énergie qui met le fluide en mouvement est suffisamment intense devant les effets visqueux que le fluide oppose au déplacement (Bailly et Comte-Bellot, 2015). Un écoulement turbulent va être en apparence très désordonné avec un comportement chaotique au sein duquel de nombreuses échelles spatiales et temporelles entrent en jeu. Classiquement, l’aspect turbulent d’un écoulement peut résulter de deux types d’instabilités, d’origine hydrodynamique ou de flottabilité. Le nombre de Reynolds (Re) est un paramètre adimensionné permettant de caractériser le régime d’écoulement. Il est défini par : Re = Uh ν (1.11) avec U la vitesse caractéristique de l’écoulement et h une longueur caractéristique. Il existe une valeur seuil (Rec) au-delà de laquelle l’écoulement passe du régime laminaire au régime turbulent. Ce seuil varie suivant l’expérience considérée mais les ordres de grandeurs communément utilisés se basent sur la célèbre expérience de Reynolds (1883) concernant la vidange d’une cuve par une conduite horizontale. Dans la plupart des cas, l’écoulement devient turbulent à partir d’un seuil critique de Rec = 3000 et pour tout Re > 105 , il est admis que l’écoulement est nécessairement turbulent. L’instabilité hydrodynamique L’instabilité hydrodynamique résulte d’une viscosité du fluide très faible et d’un cisaillement de vent, c’est à dire un gradient s’opérant dans une direction transverse à l’écoulement. Cette instabilité est omniprésente dans la CLA compte tenu de la faible viscosité de l’air, tout champ de vent composé d’un cisaillement significatif est intrinsèquement turbulent (sauf cas particuliers d’effets thermiques stabilisateurs). Supposons une CLA de hauteur caractéristique h ∼ 1 km avec un vent horizontal moyen de U ∼ 15 m.s−1 et la viscosité de l’air ν = 1.5 10−5 m2 .s −1 , le nombre de Reynolds (Re) représentatif de cette CLA est alors : ReCLA ∼ 109 (1.12) La valeur seuil du nombre de Reynolds critique est largement dépassé et la CLA considérée dans l’exemple ci-dessus est en régime pleinement turbulent. L’instabilité de flottabilité Outre la production dynamique par cisaillement, la turbulence peut être générée par contrastes de flottabilité entrainant des mouvements verticaux, ce régime est appelé la convection. Les forces de flottabilité correspondent à la différence entre la poussée d’Archimède et les forces de gravité. D’un point de vue thermique, en tant que source de chaleur, la surface a une influence significative sur la structure de la CLA. Ce point est développé dans la partie 1.3.1 avec la description détaillée du bilan d’énergie de la surface. Du caractère pleinement turbulent de la CLA résulte un mélange très efficace. Plus la turbulence est intense plus l’homogénéisation des caractéristiques moyennes de la CLA sera rapide. Couramment, l’énergie cinétique turbulente (ECT) sert d’indicateur afin de quantifier l’intensité de la turbulence et fera l’objet de la section suivante. Dans certaines situations, en particulier en conditions stables, l’intensité turbulente au sein de la CLA est faible et le mélange est limité. Cependant, la thématique abordée dans cette étude concerne la CLAM en conditions de vents forts au sein de laquelle la turbulence joue un rôle prépondérant sur les échanges de masse et d’énergie.
Équations de base gouvernant la turbulence
Décomposition de Reynolds A cause du caractère non déterministe de la turbulence, la description complète d’un écoulement turbulent détaillant l’évolution temporelle et spatiale des fluctuations est extrêmement compliquée et ne présente pas d’intérêt pratique. Une approche statistique va permettre de décrire un écoulement en terme de moments turbulents (moyenne, variances, …) et ainsi renseigner sur sa structure. La majorité des méthodes statistiques de caractérisation de la turbulence reposent sur la décomposition de Reynolds (Reynolds, 1895) qui, pour une grandeur quelconque ψ s’écrit : ψ(~x, t) = ψ(~x) + ψ 0 (~x, t) avec ψ0 (~x, t) = 0 (1.13) Le principe de cette décomposition est de séparer la valeur instantanée ψ(~x, t) en une valeur moyenne ψ(~x) et une fluctuation ψ 0 (~x, t). La validité de cette décomposition suppose que certains axiomes, dits de Reynolds, soient vérifiés par l’opérateur de moyenne tels que la linéarité, la commutativité avec les opérateurs de dérivation et d’intégration ainsi que l’idempotence généralisée. D’un point de vue théorique, l’opérateur de moyenne idéal est la moyenne d’ensemble (basée sur la répétition un grand nombre de fois d’une même expérience). Cependant, cette méthode n’est pas applicable à la CLA où il est impossible de répéter deux fois la même expérience. L’hypothèse d’ergodicité permet de s’affranchir de ce problème. La turbulence atmosphérique est supposée statistiquement stationnaire. Dans ce cas, une des propriétés d’ergodicité stipule qu’il est statistiquement équivalent de considérer des expériences indéfiniment répétées avec un seul tirage et une seule expérience avec une infinité de tirages (Favre, 1976). Ainsi, au sein de la CLA, toute grandeur statistique calculée sur un échantillon suffisamment grand peut être considérée comme représentative (Kaimal et Finnigan, 1994). Système d’équations de Reynolds En prenant en compte la décomposition de Reynolds, les équations de Navier-Stokes introduites dans la section 1.1.1 peuvent être réécrites pour les grandeurs moyennes constituant alors le système d’équations de Reynolds (1895). En négligeant les termes de viscosité moléculaire pour toutes les grandeurs, on obtient : ∂u ∂t + uj ∂u ∂xj = −f (vg − v) − ∂ ∂xj u 0 ju 0 (1.14) ∂v ∂t + uj ∂v ∂xj = f (ug − u) − ∂ ∂xj u 0 j v 0 (1.15) ∂w ∂t + uj ∂w ∂uj = − 1 − θ 0 v θv g − 1 ρ ∂P ∂z − ∂ ∂xj u 0 jw0 (1.16) ∂θ ∂t + uj ∂θ ∂xj = Sθ ρ − 1 ρCp ∂Rj ∂xj − ∂ ∂xj u 0 j θ 0 (1.17) ∂q ∂t + uj ∂q ∂xj = Sq ρ − ∂ ∂xj u 0 j q 0 (1.18) Ce système d’équations pour les grandeurs moyennes contient un nouveau terme sous la forme d’une divergence d’un flux turbulent. Pour une grandeur α quelconque, le flux turbulent u 0 iα0 représente le transport de cette grandeur à travers un plan perpendiculaire à la direction i par les fluctuations des vitesses dues à la turbulence dans la direction .
Problème de fermeture
Le système d’équations de Reynolds faisant intervenir les flux turbulents u 0 iα0 contient plus d’inconnues que d’équations. Il s’agit là du problème classique de fermeture des équations de la turbulence. Il est nécessaire de paramétrer ces flux turbulents en fonction de variables connues. Il existe une grande diversité de méthodes de fermeture mais elles peuvent être classées en deux grandes catégories, les fermetures locales et non-locales. L’approche locale du problème de fermeture consiste à exprimer les quantités turbulentes inconnues en fonction de grandeurs connues en un point donné de l’espace. L’approche la plus célèbre, basée sur l’analogie entre le transfert turbulent et la diffusion moléculaire, est celle de Boussinesq (1877) : u 0 iα0 = −Kα ∂α ∂xi (1.19) avec Kα le coefficient de viscosité turbulente. Les flux turbulents sont définis comme étant proportionnels aux gradients des grandeurs moyennes. Compte tenu des dimensions de la CLA, peu épaisse en comparaison de son extension horizontale, la variabilité des champs moyens est bien plus importante sur la verticale que suivant les directions horizontales, les flux turbulents verticaux sont donc prépondérants. Le problème de fermeture concerne alors les coefficients Kα qu’il est nécessaire de définir. Prandtl (1925) introduit la notion de longueur de mélange par analogie avec le libre parcours moyen de la théorie des gaz. Dans la section 2.3.3, nous reviendrons sur cette notion de longueur de mélange avec notamment l’approche de Bougeault et Lacarrère (1989). Cette méthode de fermeture locale présente certaines limitations, notamment pour les couches limites convectives où le mélange peut être sous-estimé (Ebert et al., 1989). En effet, pour les couches limites convectives, la présence de grosses structures telles que les thermiques contribue majoritairement au mélange vertical. L’approche non-locale du problème de fermeture vise à décrire le transport vertical engendré par les thermiques. Les paramétrisations dites en flux de masse sont formulées de la façon suivante : w0α0 = M ρ (αu − α) (1.20) l’indice u faisant référence aux fortes ascendances et M le flux de masse associé à l’ensemble des thermiques. Afin de prendre en compte la turbulence locale avec l’approche en K-gradient et le mélange non local avec un schéma en flux de masse, Soares et al. (2004) définissent le concept d’Eddy-Diffusivity/Mass-Flux (EDKF). Le flux turbulent est alors défini comme (Pergaud et al., 2009) : w0α0 = −Kα ∂α ∂z + M ρ (αu − α) (1.21) Énergie cinétique turbulente L’énergie cinétique turbulente par unité de masse, notée e, correspond à la demi-somme des variances des fluctuations des trois composantes du vent : e = 1 2 .
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