Thermodynamique de stockage en cavité saline
Les lois d’état permettent de déterminer les propriétés thermodynamiques d’un fluide connaissant les conditions dans lesquelles ce dernier se trouve (par exemple si l’on dispose de sa température, de sa pression et de sa composition). Cependant, dans le cas de la modélisation de son stockage, son état thermodynamique n’est pas une donnée d’entrée, mais doit être calculé à partir des apports et retraits de matière et de chaleur au système. Les lois d’état sont ainsi des équations complémentaires permettant de fermer le système d’équations du modèle de stockage. Si le sujet de la modélisation globale du stockage souterrain est abordé dans la littérature, il est, le plus souvent, restreint à des cas de figure simplifiés, comme présenté en section 2.1. Les échanges de masse et d’énergie entre phases fluides sont, en particulier, rarement pris en compte dans le cas de stockages temporaires, les fluides habituellement étudiés présentant une solubilité faible dans la saumure. Pour pouvoir en observer les effets sur le comportement thermodynamique du stockage, on cherche à les intégrer dans les équations du code de calcul DEMETHER, développé au sein de MINES ParisTech et présenté dans l’article de Rouabhi et al. [2017]. Ce code est basé sur une application des équations de bilan au contexte du stockage souterrain de fluides : il s’agit donc d’ajouter dans ses équations, qui intègrent déjà certains phénomènes physiques propres au stockage en cavité saline (fermeture viscoplastique de la cavité, échange de chaleur avec le massif…) les termes relatifs au transfert de masse entre phases fluides. Pour ce faire, il est important, une fois le système modélisé présenté (en section 2.2), de développer les équations de bilan avec les nouvelles hypothèses retenues (réalisé en section 2.3), puis de les adapter pour permettre leur couplage avec le puits et le massif salin (couplage expliqué en section 2.4). Avant de s’intéresser plus spécifiquement à l’impact des transferts de masse entre phases fluides sur le comportement thermodynamique du stockage, objet de la section 3.1, on applique en section 2.5 le code de calcul sans considérer ces phénomènes sur les nouveaux fluides à stocker pour comparer l’évolution de leurs conditions de stockage à celle du CH4, en réponse à un même scénario de stockage. Ces comparaisons fournissent des indications plus précises quant aux gammes de pression et de température rencontrées et au mode de gestion le plus approprié pour chaque fluide, et confirment l’intérêt, pour le CO2, de prendre en compte le transfert de masse. 2.1 Revue bibliographique des approches pour modéliser un stockage en cavité saline La littérature aborde le problème de la modélisation d’un stockage en cavité de deux façons : la première, et encore la moins utilisée actuellement, consiste à coupler le comportement thermodynamique du gaz au comportement thermomécanique du massif, tandis que la seconde se concentre uniquement sur l’un des deux aspects en ignorant l’autre. Dans ce dernier cas, les deux axes de recherche qui se dégagent n’ont pas le même objectif : — aspect mécanique ou thermomécanique : ces travaux se focalisent sur le comportement mé57 Thermodynamique de stockage en cavité saline 2.1 Revue bibliographique des approches pour modéliser un stockage en cavité saline 58 canique du massif, afin de s’assurer de la bonne stabilité du massif entourant la cavité et/ou d’établir des critères de dimensionnement de celle-ci (exemple : [Mahmoudi et al., 2016; Moghadam et al., 2015; Zhang et al., 2017; Cornet et al., 2018; Labaune et al., 2018]). Se limitant généralement au cas de stockage de gaz naturel, soumis à une demande saisonnière, cette approche prend l’hypothèse que la période des cycles d’injection-soutirage est si importante que les variations de température induites par ces opérations ne sont pas suffisamment fortes pour influer significativement sur la stabilité mécanique de l’édifice [Pellizzaro et al., 2012] — aspect thermodynamique : on s’intéresse au problème purement thermodynamique posé par les produits stockés, sans prendre en compte, par exemple, la fermeture de la cavité, liée au comportement viscoplastique du sel gemme. L’objectif est ici d’anticiper l’évolution des conditions de stockage de la cavité suite aux diverses opérations d’injection et de soutirage effectuées et aux échanges de chaleur avec le massif. Le fluide traité est ici généralement le gaz naturel [Hagoort, 1994; Gregorowicz et al., 1996; Steinberger et al., 2002; Sedaee et al., 2019] et l’air comprimé [Nakhamkin et al., 1990; Raju and Khaitan, 2012; Kushnir et al., 2012; Xia et al., 2015; Zhan et al., 2019], mais peut aussi être l’hydrogène [Tietze and Stolten, 2015], en raison des cycles de d’injection-soutirage potentiellement beaucoup plus courts que pour le gaz naturel. Les travaux de Sedaee et al. [2019] se démarquent en étant les seuls à ne pas se limiter à la phase d’exploitation et à s’intéresser également à la phase de lessivage. L’article de Bittkow et al. [1997] est le premier qui traite des deux disciplines, afin d’optimiser la gestion d’un ensemble de 4 cavités de stockage de gaz naturel : la pression interne des cavités, dont l’évolution est fixée en amont, est utilisée à la fois pour calculer la fermeture mécanique du massif et pour déterminer les débits de soutirage à appliquer. L’objectif du programme qui y est présenté est de pouvoir minimiser les quantités de gaz-coussin et la perte mécanique de volume utile de la cavité, tout en maximisant les débits d’injection-soutirage. Néanmoins, dans l’optique de réaliser des simulations plus fiables du comportement d’un stockage, à même d’être comparées avec des données in situ, le couplage des deux disciplines paraît indispensable, en particulier dans le contexte industriel actuel qui tend à avoir des cycles d’opérations injection-soutirage beaucoup plus rapides (mensuels, hebdomadaires, voire même éventuellement journaliers) : pour une même amplitude de la pression du gaz sur un cycle, l’amplitude de la température du produit, tout comme le gradient thermique dans la paroi rocheuse, est d’autant plus importante que la période de ce cycle n’est courte [Pellizzaro et al., 2012]. Les contraintes aditionnelles que peuvent y générer ces variations thermiques se doivent d’être étudiées pour s’assurer de pouvoir préserver l’intégrité de l’édifice tout au long de son cycle de vie. C’est pourquoi l’étude simultanée des comportements thermodynamique de la cavité et thermomécanique du massif fait désormais l’objet d’un intérêt croissant. Des premiers travaux ont ainsi traité les deux problèmes de façon distincte : l’évolution de la température dans la cavité est ainsi une condition aux limites supplémentaire dans le modèle désormais thermomécanique du massif (la condition aux limites autour du puits n’est donc plus uniquement mécanique). Les travaux de couplage les plus basiques sont ceux de Li et al. [2019] : après avoir proposé des expressions analytiques de l’évolution des conditions de pression et de température du gaz dans la cavité, ceux-ci en utilisent les résultats appliqués à des opérations de soutirage ou d’injection dans un modèle par éléments finis. De la sorte, ils en viennent à déterminer les contraintes thermiques du massif salin, sans toutefois intégrer le comportement viscoplastique du sel gemme dans les simulations. La prise en compte du comportement thermomécanique réel du massif a cependant été réalisée dans de nombreuses autres études, afin notamment d’évaluer les déformations qu’il subit. Böttcher et al. [2017] traitent ainsi le problème pour des cycles de stockage de H2 courts : ils se basent sur le modèle thermodynamique développé par Xia et al. [2015] pour obtenir une évolution de la température dans la cavité au cours du temps. Ces résultats sont ensuite intégrés comme condition aux limites thermique dans la modélisation par éléments finis du comportement thermomécanique du massif en s’appuyant sur le modèle constitutif Lubby2 élaboré par Heusermann et al. [2003] et en y intégrant une dépendance de certains de ses paramètres à la température. Lestringant et al. [2010] abordent le problème thermodynamique pour l’air comprimé soumis à des cycles journaliers. Il en est déduit une distribution de la température dans le massif, 59 CHAPITRE 2 : Thermodynamique de stockage en cavité saline qui est utilisée pour calculer les contraintes additionnelles générées par l’expansion thermique de la halite. Serbin et al. [2015] adoptent une démarche similaire pour calculer la distribution de température dans le massif autour d’une cavité stockant du gaz naturel suivant des cycles saisonniers. Ils comparent ensuite la fermeture de la cavité selon que le modèle constitutif de la roche saline est purement mécanique ou thermomécanique, en utilisant, dans le second cas, les résultats thermiques obtenus précédemment. Ces études vont plus loin que les précédentes dans le sens qu’elles prennent désormais en compte l’aspect thermomécanique dans les calculs de stabilité, mais négligent encore tout effet de la fermeture du massif et donc de la variation de volume de la caverne sur le comportement du gaz stocké. D’autres études commencent désormais à associer les deux disciplines : Khaledi et al. [2016] prennent en compte la fermeture en mettant à jour à intervalle régulier (de l’ordre du mois ou de l’année) le volume de la cavité calculé mécaniquement dans les calculs de comportement thermodynamique de l’air comprimé. Il n’y a ici pas encore de couplage à proprement parler, mais on remarque une volonté de mesurer l’influence mutuelle que peuvent avoir les différents phénomènes ayant lieu dans la cavité. Wu et al. [2020] étudient simultanément le comportement thermodynamique de l’air comprimé et le comportement thermo-hydro-mécanique du massif dans le but d’évaluer la quantité de gaz perdue par diffusion dans le massif. Néanmoins, ce couplage est encore relativement simple car il postule que le comportement thermomécanique du massif reste dans le domaine élastique et en petite déformation, ce qui lui permet de supposer le volume de la cavité constant et simplifier certaines de ses équations. En adoptant des lois simples et peu réalistes physiquement, cet article présente des limites importantes et ne permet pas encore de modéliser de manière fiable le comportement d’un stockage. Si ces derniers travaux témoignent d’un réel intérêt à coupler intégralement les comportements des deux domaines cavité et massif, ceux-ci ne peuvent encore donner satisfaction, tant ils présentent de limites : — les équations d’état utilisées sont généralement simplistes, la plupart des études se basant sur la loi des gaz parfaits. Ainsi, dans les études citées, seules celles de Wu et al. [2020] et Serbin et al. [2015] se basent sur des équations plus réalistes, eu égard aux conditions de pression et de température rencontrées en cavité ; — l’étude thermodynamique néglige généralement la présence de saumure dans la cavité lors des opérations d’injection et soutirage, ne prenant ainsi pas en compte l’impact de cette phase sur les conditions thermodynamiques du stockage, ni même les éventuels échanges de masse et de chaleur qui peuvent avoir lieu avec le fluide stocké ; — l’impact des opérations de lessivage et de premier remplissage sur l’état thermomécanique du massif, voire éventuellement sur les conditions régnant dans la cavité, est en général négligé. Leur modélisation nécessite un couplage pour traiter de la formation de la cavité par dissolution du sel et de l’expulsion de la saumure par l’injection du fluide à stocker. Ces simplifications ont été surpassées dans le modèle couplé développé par Rouabhi et al. [2017], dans lequel les différentes phases du cycle de vie d’une cavité saline sont modélisables, quel que soit le fluide stocké. 2.2 Modèle physique de la cavité 60 Synthèse → Traditionnellement, la littérature se focalise sur l’une ou l’autre des deux grandes disciplines relatives au stockage souterrain, à savoir l’étude du comportement thermomécanique du massif ou celle du comportement thermodynamique des fluides dans la cavité ; → Certaines études récentes commencent à s’intéresser à l’étude simultanée des deux disciplines, mais les couplages proposés ne sont pas encore satisfaisants, car certaines des hypothèses simplificatrices communément adoptées (absence de saumure dans la cavité, loi des gaz parfaits régissant le comportement du fluide stocké, pas d’influence de l’historique de stockage sur le comportement de la cavité) doivent être remises en cause.
Modèle physique de la cavité
Pour permettre le couplage des comportements, le système cavité a été décomposé en trois soussystèmes, représentés en Figure 2.1 et dans lesquels différents aspects sont traités : — un sous-système cavité en elle-même (domaine ①) : on s’intéresse au comportement thermodynamique des fluides présents dans la cavité ; — un sous-système puits (domaine ②) : le problème posé est ici l’écoulement d’un fluide dans un puits de géométrie variable avec potentiellement des changements de section ; — un sous-système massif rocheux (domaine ③), lui-même subdivisé en deux parties : l’une traitant du problème thermomécanique du massif salin tout autour de la cavité (a), tandis que l’autre partie se limite au problème de la conduction thermique dans le massif tout autour du puits (b). Ces différents sous-systèmes sont tous régis individuellement par des équations (de bilan et de comportement) qui leur sont propres et couplés entre eux par des lois de conservation ou d’interface.