C’est en 1868, par un procédé d’électrisation musculaire (précurseur de l’électromyographie moderne) que le docteur Guillaume Duchenne de Boulogne a réalisé pour la première fois, la description médicale d’une myopathie (maladie musculaire) chez un jeune garçon présentant un déficit moteur le conduisant à une perte rapide de la marche au cours d’un processus de « paralysie progressive pseudohypertrophique » (Duchenne (de Boulogne), 1868). Depuis, ce sont plusieurs centaines d’autres étiologies de maladies musculaires qui ont été décrites grâce aux progrès scientifiques. Le terme « myopathie » est utilisé pour désigner un ensemble de maladies conduisant le plus souvent à une dégénérescence des muscles et responsables de la perte des mouvements. On distingue deux grands groupes de myopathies. Les myopathies d’origine génétique et les myopathies inflammatoires acquises. Dans leur vaste majorité, elles restent encore incurables et présentent des caractéristiques communes de perte progressive de la force et de la masse musculaire associées à l’installation d’une fatigue ; ce qui justifie d’une attention particulière de la recherche.
La masse musculaire est fortement associée à la fonction motrice et donc à la réalisation des tâches quotidiennes et à l’autonomie d’une personne. Depuis l’étude de Mauro (1961), sur l’identification des cellules satellites (SCs pour Satellite Cells) dans le muscle squelettique, de nombreuses études ont été réalisées pour mieux comprendre leur origine, leur fonctionnement et leur implication dans la régulation de la masse musculaire (Mauro, 1961). Le contenu en SCs est reconnu comme un paramètre impliqué dans la croissance, le maintien ou l’atrophie musculaire. Chez l’homme sain, la masse musculaire et le contenu en SCs semblent ne subir aucune variation significative chez les sujets jeunes et adultes (Shefer et al., 2010; Verdijk et al., 2014). A l’inverse, ces paramètres tissulaires sont altérés chez le sujet âgé. De plus, la réduction du contenu en SCs dans le muscle du sujet âgé, spécifiquement dans les fibres de type II est en relation avec la perte de masse musculaire illustrée par une réduction spécifique du calibre des fibres de type II (Verdijk et al., 2007; Verney et al., 2006). Si les mécanismes cellulaires qui soutendent l’atrophie musculaire dans les situations physiologiques normales chez le sujet sain sont assez bien documentés, leur compréhension reste encore floue dans les myopathies. Dans ce cadre, qu’en est-il de la relation liant l’atrophie musculaire et le contenu du muscle en SCs ? Existe-t-il un changement du contenu en cellules satellites type de fibredépendant ?
L’altération de la fonction musculaire au cours des myopathies participe à l’apparition d’une importante fatigue ressentie au cours de l’effort (Bradley and Kelemen, 1979). Chez les patients atteints de dystrophie facio scapulo humérale (FSHD), cette fatigue apparait avec une altération de la santé physique, mentale et de la qualité de vie, particulièrement lorsque les patients sont comparés aux sujets sains (Kalkman et al., 2005; Voet et al., 2010b). La fatigue ressentie devient ainsi, un des symptômes les plus handicapants chez ces patients (Kalkman et al., 2005). Chez le sujet sain, des outils d’évaluation de la fatigue neuromusculaire, basés sur l’utilisation de l’électrostimulation nerveuse ont été validés. Plus, récemment, l’usage de la stimulation magnétique, a également fait ses preuves et semble être aussi efficace que l’électrostimulation tout en étant mieux tolérée par le sujet (Verges et al., 2009a). A l’inverse chez le sujet myopathe, il n’existe pas d’outil objectif et fiable, de mesure de la fatigue. Dans le souci d’objectiver précisément la fatigue ou la capacité de résistance de son apparition, le recours à un protocole standardisé utilisant la contraction volontaire et la stimulation nerveuse surimposée peut-il être validé dans l’évaluation de l’endurance musculaire de patients myopathes ?
Dans le cadre des myopathies, où la fatigue quotidienne se fait de plus en plus ressentir, il a longtemps été question de proscrire l’activité physique (AP) et particulièrement chez le patient dystrophique, par crainte d’une éventuelle aggravation de la fatigue et du processus physiopathologique de la maladie. Or, la fatigue quotidienne ressentie au fil des années associée à cette restriction, conduit les patients vers un cercle vicieux d’inactivité, ce qui favorise l’amyotrophie. Mais, ce principe de précaution a été remis en cause, au regard des effets bénéfiques reconnus de l’AP (Berthouze et al., 1995; Roberge, 1992; Vico et al., 1995), et surtout des effets négatifs de la sédentarité sur le muscle et la santé en générale (Feasson et al., 2010b). Depuis, la place du reconditionnement par l’effort dans les myopathies a été au coeur d’un nombre croissant de travaux scientifiques montrant, l’innocuité de l’activité physique adaptée (APA) aux myopathies y compris dans les dystrophies musculaires (Cup et al., 2007; Orngreen et al., 2005; van der Kooi et al., 2004). Cependant, peu d’études randomisées et/ou contrôlées, de niveau de preuve satisfaisant ont été rapportées dans la littérature. Et en raison de la grande disparité des myopathies, les modalités de l’APA devraient être ajustées en fonction de chaque étiologie en respectant les limites de tolérance du muscle malade selon le processus physiopathologique. Pourtant, la majeure partie des études, associe plusieurs types de myopathies en raison de leur rareté. Certes, ces travaux rapportent des effets bénéfiques réels de l’exercice mais ces gains sont obtenus sur des périodes restreintes (un à trois mois) et pour la plupart sont réalisés dans des conditions étroitement supervisées en laboratoire. Ajouté à cela, un manque fréquent d’évaluation de la qualité de vie ne permet pas d’apprécier le ressenti personnel des patients par rapport aux contraintes de l’exercice ou de l’étude elle – même. Enfin, la littérature est dépourvue de données sur l’évolution de la qualité du muscle myopathe et ses capacités régénératives sous l’effet de l’entraînement.
Ce manuscrit s’articule en deux parties. Dans un premier temps, nous réalisons une revue de la littérature sur le muscle, ses capacités régénératives et sa plasticité dans le cadre de l’exercice puis, nous abordons les possibilités d’activités physiques adaptées dans les myopathies et plus spécifiquement dans la FSHD, avec les raisons justifiant son choix pour une application de thérapie par l’exercice. Dans la seconde partie, nous exposerons nos contributions scientifiques en essayant de répondre aux différentes interrogations au travers de trois études : 1) l’analyse du contenu en cellules satellites et leur capacité régénérative dans deux processus myopathiques aussi distincts qu’opposés : dystrophie versus myosite ; 2) la validation d’un outil de mesure de la force et de résistance à la fatigue neuromusculaire dans la FSHD et 3) une étude contrôlée randomisée de thérapie par l’exercice sur 6 mois et à domicile dans la FSHD.
Le muscle squelettique est composé principalement d’un ensemble de cellules allongées, de forme cylindrique appelées fibres musculaires squelettiques, juxtaposées les unes à côté des autres et parcourant en parallèle toute la longueur du muscle, de l’une à l’autre de ses insertions tendineuses (Lieber and Friden, 2001). Les fibres musculaires sont enveloppées dans des gaines de tissus conjonctifs, organisées à différents étages du muscle. De l’extérieur vers l’intérieur, on distingue : l’épimysium, le périmysium et l’endomysium . Elles s’étendent à leurs extrémités et se réunissent pour former le tendon qui relie le muscle squelettique à la structure osseuse qu’il articule. Le muscle est aussi parcouru par un vaste réseau de vaisseaux sanguins qui apportent aux fibres musculaires les nutriments et l’oxygène dont elles ont besoin pour assurer la demande métabolique cellulaire tandis que les nerfs permettent l’innervation sensitive et motrice les fibres musculaires (Purslow, 2005).
La fibre musculaire résulte de la fusion entre plusieurs cellules mononuclées immatures, appelées myoblastes, au cours du développement embryonnaire. Elle est formée de deux composantes : une contractile (les myofibrilles) qui initie le mouvement et une composante non contractile (mitochondries, reticulum endoplasmique, sarcolemme, enzymes et substrats métaboliques) qui soutient l’activité contractile. Chaque myofibrille est entourée par un réseau membranaire complexe dérivant du sarcolemme et qui s’invagine à l’intérieur, à intervalles réguliers, perpendiculairement à l’axe de la cellule. Ces prolongements membranaires forment le système tubulaire transverse appelé tubule-T qui a pour rôle de propager et d’assurer la diffusion rapide du signal électrique, depuis la périphérie de la fibre jusqu’aux confins de celle-ci en créant une excitation rapide et simultanée de toutes les parties de la fibre en réponse au potentiel d’action (PA).
Les myofibrilles sont l’unité de base de la contraction (Huxley and Hanson, 1954) composées d’une succession de segments appelés sarcomères et délimitées à leurs deux extrémités par une strie Z . Les sarcomères sont principalement constitués de deux types de myofilaments : les filaments fins d’actine et les filaments épais de myosine dont l’association bien définie, détermine les régions du sarcomère. En microscope électronique, la zone de chevauchement des myofilaments épais et fins laisse paraître de façon régulière, une bande sombre alternée par des bandes plus claires créant l’effet de striation. La partie la plus sombre du sarcomère, la bande A, se retrouve en son milieu et désigne les filaments épais de myosine. Elle comporte une bande plus claire, la bande H où seuls les filaments épais sont représentés tandis que la bande I contient uniquement le reste de la longueur des filaments fins c’est-à-dire les filaments d’actine (Nedergaard et al., 2013). La ligne M maintient les filaments de myosine au centre de la bande A grâce à l’aide d’un troisième filament constitué de titine, une protéine d’environ 4000 kDa qui fait le lien entre les stries Z et le filament épais de myosine . Il existe plusieurs autres protéines dites régulatrices et structurales qui jouent des rôles non moins négligeables dans l’activité musculaire. Cependant, la réalisation d’un mouvement dépend en grande partie des protéines dites contractiles que sont : la myosine et l’actine, dont l’action produit la force durant la contraction.
L’unité motrice représente l’unité de base fonctionnelle reliant le système nerveux au muscle. Les myocytes d’un muscle sont innervés par des axones moteurs provenant de la corne antérieure de la moelle épinière. Chaque nerf moteur ou motoneurone innerve à la fois plusieurs fibres musculaires, en revanche une fibre musculaire n’est innervée que par un seul motoneurone. C’est cet ensemble (motoneurone et fibres innervées) qui est appelé unité motrice d’après les travaux réalisés par Liddell et Sherrington en 1925 (Duchateau and Enoka, 2011). Le point de jonction entre les terminaisons axonales des motoneurones et les fibres musculaires est appelé jonction neuromusculaire ou plaque motrice (Coers, 1959; De Harven and Coers, 1959). D’après les études de Adrian et Bronk, la force maximale produite par le muscle lors d’une contraction dépend en partie, du nombre d’unités motrices activées (nombre de fibres recrutées) et de la fréquence de décharge des influx nerveux (Adrian and Bronk, 1929). La contraction d’un muscle entier résulte alors de la sommation de l’ensemble des micro-contractions dues à l’activation des unités motrices du muscle (Raikova Rositsa et al. 2013). Ce processus est appelé : recrutement des unités motrices. Il se fait de façon asynchrone pour permettre aux fibres de se relayer au fur et à mesure qu’elles se fatiguent et afin de maintenir la contraction musculaire sur une longue période (Clamann, 1993). Les unités motrices diffèrent entre elles sur trois points essentiels : le type des myocytes innervés, le nombre de ces myocytes et enfin les caractéristiques propres du motoneurone qui innerve.
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