De nombreuses études ont été réalisées dans différents pays du monde afin d’évaluer les comportements de mineurs ayant été placés . Toutes semblent s’accorder sur l’existence d’un taux élevé de comportements déviants et délinquants chez les enfants ayant subi une prise en charge extrafamiliale durant leur enfance et adolescence (Attar-Schwartz, Benbenishty, Roziner, 2017 ; Barn & Tan, 2012 ; Graham, Dettlaff, Baumann & Fluke, 2015 ; Kääriälä & Hijlamo, 2017 ; Melkman, 2015). Les résultats de Barn et Tan (2012) démontrent que 47,7 % des jeunes ayant séjourné dans un service résidentiel avaient commis des actes délinquants avant, pendant ou après leur placement. La plupart des études expliquent ce phénomène par la vulnérabilité de ces jeunes due à leur historique familial et leur instabilité due aux conditions de placement (Attar-Schwartz et al., 2016 ; Melkman, 2015).
Pour faire le lien entre les problèmes de comportements et le placement du jeune, la « General Strain Theory » (GST) pourrait être une des pistes d’explication (Agnew, 1972). Cette théorie se résume par la phrase suivante : une personne, suite à une situation de stress et de tension, adopte un comportement délinquant ou déviant pour échapper ou mettre fin à cette situation (Dantinne, 2016). Selon Agnew (2001), les tensions peuvent être catégorisées en trois groupes : la disparition de stimuli positifs, l’apparition de stimuli négatifs et la difficulté d’atteindre un objectif.
En se basant sur la GST, plusieurs sources de tension relatives au placement de l’enfant ont été identifiées dans l’étude de Barn et Tan (2012) : l’instabilité du placement , la durée du placement et l’exclusion scolaire. Premièrement, selon lui, un enfant, ayant subi de multiples placements, a plus de chance de présenter des problèmes de comportements durant son séjour. Toutes les études recensées dans notre recherche s’accordent sur ce point et revendiquent les effets néfastes sur le comportement du jeune, pendant et après le séjour, de l’instabilité de placement (Chambers et al., 2017 ; Franssen, 2011 ; James, Landsverk, & Slymen, 2004 ; Koh, Rolock, Cross & Eblen-Manning, 2014).
De plus, le manque d’implication dans la scolarité serait prédicteur de délinquance chez les jeunes placés (Barn et tan, 2012). Enfin, Barn et Tan (2012) considèrent que plus le placement du jeune est de courte durée, plus la probabilité d’implication dans des activités délinquantes est grande. Ce résultat est en accord avec les analyses démontrant que les placements de plus longue durée améliorent la qualité de vie du jeune et son comportement (Ringle, Ingram et Thompson, 2010 ; Strickler, Mihalo, Bundick, & Trunzo, 2015). Cependant, ces résultats ne semblent pas se confirmer lorsque les analyses sont réalisées dans des services d’urgence assimilés à des séjours de plus courte durée. Dans ces services, les problèmes de comportements ne seraient pas associés à la durée du placement (Hindt et al., 2018).
D’autres critères relatifs au placement de l’enfant pourraient également être considérés comme générateurs de tension. Melkman (2015) démontre qu’une meilleure préparation à l’avenir de l’enfant serait corrélée à un plus faible taux de problèmes de comportements. En effet, les jeunes possédant un projet précis pour leur sortie présenteraient plus de motivation à se comporter correctement. Oosterman, Schuengel, Slot, Bullens, & Doreleijers (2007), quant à eux, ont analysé les motifs de placement. Leurs résultats suggèrent que les enfants abusés sexuellement seraient confrontés à plus de difficultés lors de leur placement que les enfants placés pour motif de négligence.
Dans la même thématique, Jhe Bai et al. (2016) ont identifié que les placements pour motif de maltraitance sont liés à des problèmes de comportements intériorisés et extériorisés durant leurs séjours. Enfin, Trout et al. (2010) s’intéressent au niveau de restriction du milieu de vie au départ du jeune d’un service résidentiel. Pour eux, plus le niveau est faible, moins il y a de risque de déceler des problèmes de comportements chez le jeune.
Toujours selon la théorie de la GST, deux effets causés par les différentes tensions vont expliquer le choix de commettre des actes déviants plutôt que conformes : un état émotionnel négatif et une réduction du contrôle social (Dantinne, 2016).
Premièrement, des émotions négatives, engendrées par la tension, empêchent l’individu d’avoir un raisonnement logique. Il se trouve incapable d’identifier toutes les options qui s’offrent à lui et qui peuvent être non déviantes. Son choix va donc plus facilement se tourner vers des solutions antisociales. L’état émotionnel négatif que peut engendrer un placement pour l’enfant est reconnu par diverses études. Il y a dans tout placement une certaine forme de gravité. Cela engendre colère, peur et anxiété (Oosterman et al., 2007 ; Potin, 2009).
Deuxièmement, la tension ressentie est souvent en lien avec une réduction du contrôle social. De cette manière, la GST est en lien avec la théorie du contrôle social d’Hirschi (2001) qui considère que le lien que nous entretenons avec des pairs prosociaux nous empêche de transgresser les normes. Il est évident que ces liens sociaux peuvent être mis à mal dans un contexte tel que celui des institutions de placement. La séparation qu’engendre le placement prive l’enfant ou l’adolescent de ses repères, ce qui peut être déstabilisant (Potin, 2009). L’école et la famille sont les instances principales de la socialisation.
La théorie du contrôle social postule une relation positive entre l’affaiblissement des liens sociaux que l’adolescent a avec les institutions familiale et scolaire d’une part, et les comportements délinquants et déviants d’autre part (Peretti-Watel, 2001). Des études ont démontré que l’investissement de la famille dans le placement de l’enfant le protégeait de comportements intériorisés et extériorisés (Taylor, 2010). Les contacts familiaux, y compris les contacts téléphoniques, amélioreraient les comportements du jeune dans les services résidentiels (Robs et al., 2013). Leon et al. (2016a) affirment que l’engagement du père dans le placement du jeune diminue les comportements extériorisés de ce dernier. À l’inverse, selon une étude menée dans des services d’urgence aux États-Unis, une pauvreté des contacts avec la famille multiplie les risques de retrouver des problèmes de comportements intériorisés chez l’enfant (Hindt et al., 2018). Au-delà des contacts familiaux, Barn et Tan (2012) considèrent que la scolarité a une influence sur les problèmes de comportements du jeune.
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