THEORIE DES PROCESSUS PONCTUELS
Introduction
La théorie générale des processus ponctuels s’applique aux espaces dit polonais, c’est-à-dire les espaces métriques séparables (autrement dit, qui admettent une famille de points dénombrable et dense), et complets. Cela dit, pour la plupart des applications, l’espace ambiant considéré sera R 2 ou une partie fermée de R 2 . Ce sont évidemment des espaces polonais (considérer la famille des points à coordonnées rationnelles). Aussi, pour des raisons pédagogiques, nous nous limiterons au cas de R 2 dans l’exposé qui suit. Nous commen¸cons par définir ce qu’est une mesure ponctuelle, puis nous étudions la tribu standard définie sur l’ensemble de ces mesures. En particulier, nous démontrons que cette tribu est engendrée par les ”billards à n boules”, c’est-à-dire les évènements du type ”Φ contient n points dans un rectangle donné”. Cela nous permet par la suite de prouver toute une série de résultats sur les mesures ponctuelles aléatoires, comme la formule de Mecke, la caractérisation des processus simples par leurs probabilités vides, ou la caractérisation des processus déterminantaux par leurs intensités jointes. Cela nous permettra aussi dans le chapitre 2 de démontrer la mesurabilité de notre processus de population. Dans tout le chapitre, si E désigne un espace topologique, on note B(E) sa tribu borélienne, c’est-à-dire la tribu engendrée par les ouverts de E. 1.2 Tribu sur l’ensemble des mesures ponctuelles Avant tout, voici un petit lemme très intuitif qui nous sera utile par la suite : Lemme 1.1. Soit E un espace topologique et F ∈ B(E), muni de la topologie induite. Alors B(F) = {A ∈ B(E)/A ⊂ F}. Démonstration – Tous les ouverts de F s’écrivent comme l’intersection de F et d’un ouvert de E, donc ils appartiennent à B(E). Ainsi B(F) ⊂ B(E), et tout élément de B(F) est à la fois dans B(E) et inclus dans F. Réciproquement, soit A ∈ B(E) avec A ⊂ F. Posons : T = {X ⊂ E/X ∩ F ∈ B(F)}. 1.2. Tribu sur l’ensemble des mesures ponctuelles 3 On vérifie sans peine que T est une tribu sur E et qu’elle contient les ouverts de E. Donc elle contient B(E), et en particulier A : A ∈ T ⇒ A ∩ F ∈ B(F). Or A = A ∩ F, ce qui achève la preuve. Par la suite, nous ferons implicitement usage de ce lemme toutes les fois que nous devrons considérer la restriction d’une mesure ponctuelle à une partie de R 2 , notamment pour les questions de mesurabilité lorsque nous partitionnerons le plan en carrés de plus en plus fins.
Premières définitions
Soit φ une mesure sur B(R 2 ). Pour commencer, on pose la Définition 1.1. φ est une mesure ponctuelle ssi : • elle est à valeurs dans N ∪ {∞}; • elle est localement finie, c’est-à-dire finie sur tout borélien borné. On note M l’ensemble des mesures ponctuelles sur R 2 . Pour les applications, on interprète souvent φ comme une somme de Diracs δxn , o`u les xn ∈ R 2 sont les ”points” de φ. Plus précisément, on pose la définition alternative suivante : Définition 1.2. φ est une mesure ponctuelle si et seulement si elle s’écrit φ = P n∈A δxn , o`u : • A est au plus dénombrable; • les xn ne présentent aucun point d’accumulation; • pour tout point de R 2 , il n’existe qu’un nombre fini de xn qui lui sont égaux (en d’autres termes, φ ne possède jamais de masse infinie concentrée en un point). 4 Chapitre 1. Théorie des processus ponctuels Proposition 1.2. Les définitions (1) et (2) sont équivalentes. Démonstration – Montrons d’abord (2) ⇒ (1). Dans ce cas, φ est bien à valeurs entières sur tout borélien (notons au passage qu’elle est définie sur toute partie de R 2 , pas seulement sur les boréliens). Il reste à montrer qu’elle est localement finie. Soit donc B un borné, il est inclus dans un compact K (par exemple son adhérence). Si les xn prenaient une infinité de valeurs différentes sur K, alors on pourrait construire par le théorème de Bolzano-Weierstrass un point d’accumulation pour φ, d’o`u contradiction. Ils ne prennent donc qu’un nombre fini de valeurs, et pour chaque valeur ils ne sont qu’un nombre fini à la prendre. On a donc φ(K) < ∞, et a fortiori φ(B) < ∞. On passe à présent à (1) ⇒ (2). On commence par considérer φ˜, la restriction de φ à B([0, 1[×[0, 1[)1 . φ˜([0, 1[2 ) est un entier n. On va montrer par récurrence sur n que φ˜ est une somme finie de Diracs. Pour n = 0, le résultat est trivial. Supposons le résultat vrai jusqu’au rang n − 1 (n ≥ 1), et soit φ˜ telle que φ˜([0, 1[2 ) = n > 0. On commence par partitionner [0, 1[2 en 4 sous-carrés disjoints comme sur la figure 1.1. Au moins l’un d’eux est de mesure ≥ 1. On partitionne à nouveau celui-ci en 4 sous-carrés, et ainsi de suite. Fig. 1.1: partition du carré unité en sous-carrés emboˆıtés. On obtient ainsi une suite (Km) de carrés emboˆıtés dont le cˆoté est divisé par deux à chaque étape, et tous de mesure ≥ 1. Comme pour toute suite 1 On rappelle qu’il est légitime de restreindre φ à B([0, 1[2 ) d’après le lemme 1.1.
Tribu sur l’ensemble des mesures ponctuelles
5 emboˆıtée de compacts dont le diamètre tend vers 0 dans un espace complet, l’intersection des Km est réduite à un singleton {x}. Or la suite (φ˜(Km)) est décroissante et minorée par 1. Donc elle admet une limite ≥ 1, qui est par ailleurs égale à φ˜({x}), car φ˜ est de masse totale < ∞. A partir de là, on vérifie facilement que ( ` φ˜ − δx) est encore une mesure (positive) sur [0, 1[2 , de masse totale ≤ n − 1. Ainsi on peut appliquer l’hypothèse de récurrence. Puis on conclut dans le cas général en remarquant que φ est la somme de ses restrictions aux différents carrés [m, n[×[m + 1, n + 1[ (m, n ∈ Z). Sur chacun de ces carrés, elle est la somme d’un nombre fini de Diracs. Finalement, une somme dénombrable de sommes finies est encore dénombrable, d’o`u le résultat. Proposition 1.3. On a unicité de l’écriture à la permutation des xn près. Démonstration – Sans perte de généralité, quitte à regrouper les xn qui sont égaux, on peut toujours écrire φ = P n αnδxn , o`u les αn ∈ N ⋆ et les xn sont tous différents. Supposons qu’on ait deux écritures pour φ : X n αnδxn = X m βmδym. Alors quel que soit ym, on a φ({ym}) = βm > 0, ce qui montre bien que l’un des xn doit ˆetre égal à ym, et que son coefficient αn est alors égal à βm. La réciproque est également vraie, ce qui achève la preuve de l’unicité. Au cours des démonstrations des deux dernières propositions, on a montré que les points de φ étaient uniquement déterminés par des grandeurs de la forme φ(A), o`u A parcourt B(R 2 ). Presque sans aucun travail supplémentaire, en anticipant un peu sur ce qui va suivre, on en déduit le Corollaire 1.4. Deux processus ponctuels aléatoires Φ et Ψ sont égaux en loi si et seulement s’ils ont presque sˆurement les mˆemes points. Démonstration – Soient donc Φ et Ψ égaux en loi. Comme les différents carrés [m, n[×[m+1, n+1[ (m, n ∈ Z) sont en quantité dénombrable, il suffit de prouver que sur chacun d’entre eux, Φ et Ψ possèdent presque sˆurement les mˆemes points. Sans perte de généralité, on se place sur [0, 1[2.