Territorialisation et logique de filière de l’eau
thermo-minérale
Des formes de gouvernance des territoires Plusieurs formes de gouvernances existent, dans leur dimension collaborative ou conflictuelle.
La gouvernance participative générant une proximité institutionnelle
En parallèle des manifestations de proximité organisationnelle – au travers des liens verticaux et de partenariats entre les acteurs – sur les sites, une proximité institutionnelle est présente sur 5 territoires de la filière au travers différentes formes de gouvernance territoriale. La gouvernance est un concept polysémique. Il est utilisé en sciences politiques dès la fin des années 1980 pour caractériser les modalités de gouvernement de l’action publique territoriale. Le concept de gouvernement local permet de souligner la participation de divers intérêts privés aux systèmes de décision publique qui régissent les villes. L’accent y est mis sur les jeux de pouvoir et d’influence présidant à l’élaboration des politiques publiques locales sur la coordination de multi finalités, sur les processus de négociation. La notion de gouvernance exprime également l’émergence de nouveaux modes d’intervention et la transformation de modalités de l’action publique, en termes d’organisation et de gestion du territoire. L’analyse des gouvernances locales permet de mettre en exergue la multiplicité et la variété des formes de coopération, en termes de nature, de statut, de niveau, mais également des acteurs impliqués (organisations à but non lucratif, entreprises privées, acteurs institutionnels) dans la définition et à la mise en œuvre de l’action publique. Ces dynamiques d’interaction, de collaboration et de négociation entre intervenants hétérogènes sont rendus nécessaires car aucun acteur public ou privé ne dispose de moyens propres pour s’attaquer seul aux problèmes. Depuis une vingtaine d’années, le concept est également mobilisé en science économique. La gouvernance territoriale renvoie à l’implication croissante des acteurs publics et privés locaux 230 8 sites ont un schéma relationnel complet (Evian, Vals, Divonne, Lamalou-les-Bains/Les Aires) ou quasi-complet (Spa, Thonon, Luchon, Aix). 5 sites ont un schéma relationnel est incomplet (Cilaos, Chaudfontaine, Dax, Vittel/Contrexéville, Vichy/St Yorre). 4 sites ont un schéma relationnel déstructuré par de faibles relations (Châteauneuf, Meyras, St-Amand, Niederbronn). 325 dans les dynamiques de développement, dans leur capacité de mobilisation, d’organisation et de coordination. Elle se définit comme un processus de coordination des acteurs locaux, mais aussi de construction de la territorialité et d’appropriation des ressources. Cela nécessite la création de structures de partenariat complexe entre acteurs, à fédérer autour d’un projet territorial. Ce mécanisme passe par une translation de la perception et des pratiques vers des situations créatrices de solidarité, d’échanges, d’ententes, de mise au point de projets communs. Ce partenariat à base territoriale suppose la collaboration d’acteurs dont les objectifs, les stratégies, les temporalités, les espaces de référence peuvent être différents, voire contradictoires, mais qui contribuent, chacun à sa façon, à la production de facteurs de développement231 . La gouvernance territoriale s’adosse dès lors à une situation de proximité mixte qui combine proximité géographique et proximité institutionnelle des acteurs. Il s’agit d’un fonctionnement qui varie d’un territoire à l’autre, en fonction de la configuration spécifique de chaque territoire. Chaque territoire, en tant que construit social, économique et spatial, en appelle à une organisation particulière, et donc un mode particulier de gouvernance. Le territoire qui exerce la gouvernance est circonscrit sur un espace particulier, mais déborde dans de nombreux cas de la seule sphère productive ou du cadre politico-administratif. L’espace défini correspondra souvent à un espace régi par diverses autorités publiques (regroupant plusieurs organisations politico administratives), voire créera de nouveaux espaces (à cheval sur diverses entités sans correspondances avec des frontières administratives)232 . Deux grandes familles de formes de gouvernance apparaissent. La première famille recouvre une gouvernance construite autour de la vulnérabilité de la ressource en eau, et donc des risques de pollution. L’émergence de ce type de gouvernance sur 3 sites (Evian /Publier, Spa, Vittel-Contrex) se concentre sur l’usage d’embouteillage. La seconde famille regroupe une gouvernance autour de projets de mise en tourisme de la destination thermale sur 3 sites (Spa, Vichy et Dax). 231 F. Leloup, L. Moyart, B. Pecqueur, « La gouvernance territoriale comme nouveau mode de coordination territoriale ? » Dans Géographie, économie, société, 2005/4 (Vol. 7), pp 321-332 232 F. Leloup, L. Moyart, B. Pecqueur, « La gouvernance territoriale comme nouveau mode de coordination territoriale ? » Dans Géographie, économie, société, 2005/4 (Vol. 7), pp 321-332 326
Gouvernance construite autour de la vulnérabilité de la ressource en eau
La première forme de gouvernance, construite autour de la vulnérabilité de la ressource en eau, mobilise la notion de résilience. La résilience est un concept polysémique dont le sens diffère selon la discipline qui la mobilise, le contexte dans lequel elle est utilisée et l’objectif qu’elle dessert. Cette notion est appliquée aux territoires dès le début des années 2000. Depuis une dizaine d’années, elle est également très investie dans la géographie des risques. La résilience est une notion intégratrice large qui englobe à la fois les capacités d’un territoire à faire face à une catastrophe (après un évènement) ou un aléa menaçant (par anticipation), mais aussi ses facultés à se relever ou d’innover par rapport à cette perturbation. Une distinction est faite entre résilience cindynique liée à un événement brutal et local (accident industriel, inondation, fermeture d’usine) et résilience globale liée à des phénomènes lents et à grande échelle (changement climatique, crise économique mondiale, baisse démographique). S’il y a plusieurs temps et formes de résilience en fonction des territoires, cette notion se caractérise par une mise en mouvement et une recherche perpétuelle d’équilibre dynamique. Nous mobilisons ici la notion de résilience dans une situation de gestion des risques environnementaux liés à la ressource en EMN. Il s’agit de comprendre les formes de gouvernance mises en place, les stratégies développées en réponse aux vulnérabilités potentielles de la ressource en EMN qui touchent les territoires de la filière, mais également aux acteurs impliqués dans les actions de prévention, de protection, et de réduction de la vulnérabilité. Dans le cadre de cette analyse, un territoire résilient est donc considéré comme un territoire dont les acteurs sont en capacité d’anticiper des perturbations grâce à une organisation et des actions spécifiques pour en minimiser les effets. Cela comprend également la capacité des acteurs à maintenir un équilibre dynamique pour préserver de manière pérenne un niveau de fonctionnement. Cela passe par la souplesse du système d’acteurs, en tant que construit social, au travers d’un apprentissage collectif d’adaptations et d’innovations233 . Cette première forme de gouvernance est donc une réponse résiliente à la vulnérabilité de la ressource en eau sur les 3 territoires d’Evian /Publier, Spa, et Vittel-Contrexéville.
La mobilisation d’outils règlementaires facultatifs en France et en Belgique
Le point commun de ces trois sites est de disposer d’un périmètre de protection en France ou d’une zone de surveillance en Belgique liée à la ressource en EMN. Il s’agit d’un outil règlementaire fort, mobilisé de manière volontaire par le propriétaire de la ressource en eau et l’exploitant, qui contraint 233 C. Villar et M.David, La résilience, un outil pour les territoires ?, Dans Séminaire International GdRI INTI IT-GO Rosko 2014, Vers une intelligence durable des territoires : les échelles de la résilience, UMR 7144 CNRS-UPMC, Roscoff (Finistère) – 22-23 mai 2014. 327 fortement les tiers (habitants, entreprises…). Ce levier facultatif est activé si certaines activités sont susceptibles d’être à l’origine de pollutions. Le secteur géographique du périmètre de protection devrait en principe correspondre à l’ensemble du gisement, c’est-à-dire la zone des émergences et la zone d’alimentation du ou des points de captage (zone d’impluvium). Cependant, dans la pratique des décalages existent entre le périmètre de protection règlementaire et les différents espaces du gisement en raison de l’importance des servitudes et des contraintes pesant sur ces espaces. Un compromis est donc recherché entre ce qui est souhaitable et ce qui est nécessaire. Certains espaces du gisement, protégés par un couvert forestier ou bénéficiant des couches de roches imperméables épaisses, peuvent être exclus du périmètre de protection règlementaire. Au sein des périmètres de protection en France ou des zones de surveillance en Belgique, les activités humaines sont réglementées. Cela comprend les travaux de drainage, forage, sondage, creusement de puits, et tous les travaux souterrains y compris les fondations de bâtis. En France, les opérations entre 2 à 4m de profondeur doivent faire l’objet d’une déclaration en mairie et en préfecture. Au-delà de 4m de profondeur, il faut obtenir une autorisation préfectorale et réaliser une étude hydrogéologique. En Belgique la règlementation touche les fouilles dont la profondeur excéderait 3 mètres. Cet outil règlementaire ancien en France est utile pour protéger la ressource en EMN au niveau quantitatif en limitant les travaux souterrains incontrôlés, et dans une certaine mesure au niveau qualitatif. Le périmètre de protection reste donc en partie d’actualité car le développement des énergies renouvelables de géothermie profonde présente un risque, tout comme les forages d’irrigation. Ce type de forage peut mettre en connexion différentes nappes d’eau souterraine et altérer la ressource en eau minérale. L’aspect qualitatif n’a été réellement pris en compte qu’à partir de 1992 en France, avec la loi sur l’eau 92-3 du 3 janvier 1992. Depuis cette date, l’implantation de toutes activités à risque, c’est-à-dire les installations classées pour l’environnement ICPE, sont également soumises à autorisation. L’interdiction de dépôts dans le PP concerne les déchets ménagers ou industriels, et l’épandage de boue de station d’épuration. En revanche, le dispositif réglementaire lié au PP ne porte pas sur les pratiques agricoles quant à l’utilisation de produits phytosanitaires. C’est en raison de cette carence règlementaire que des politiques de protection partenariales de l’impluvium ont été créées sur les sites de Vittel et d’Evian dès la fin des années 1980. Les actions de bonnes pratiques mises en place par ces dernières dépassent la règlementation de la loi sur l’eau de 1992. Certains écarts existent entre la règlementation française et belge depuis la promulgation de décret par la région Wallonne en 1990 avec la création des deux zones de préventions et en 1991 avec la possibilité de créer une zone de surveillance de l’impluvium. En zone de prévention un ensemble de mesures règlementaires et d’interdictions concernent différentes activités : épuration 328 individuelle, usage d’hydrocarbure, activité agricole, décharge, cimetière, terrain de sport, utilisation de substances polluantes. En zone de prévention rapprochée (24h d’écoulement ou 35m minimum) les nouveaux stockages d’engrais liquide et organiques, les nouveaux stockages d’hydrocarbure de plus de 100L ainsi que les nouvelles étables sont interdites. Ces installations sont autorisées selon des normes strictes en zone de prévention éloignée. D’autre part, dans le cadre du PWRP (Plan Wallon de Réduction des Pesticides), des mesures incitatives de bonnes pratiques sont mises en œuvre en parallèle de mesures d’interdiction temporaire de pesticides en cas de dépassement de doses maximales. La concentration annuelle moyenne en pesticides dans les eaux souterraines doit être en dessous de 30 % des normes de qualité en zone de prévention rapprochée et de 75 % en zone de prévention éloignée. En zone de surveillance de l’impluvium, l’implantation de stockage de déchets, cimetières, terrains de camping et circuits automobiles est interdite. L’épandage d’effluents d’élevage, d’engrais azotés et de pesticides est réglementé par des doses maximales. Si la concentration moyenne annuelle en nitrate est supérieure à 35 mg/l ou si elle dépasse 20 mg/l avec une tendance à la hausse, des interdictions temporaires peuvent être prises sur 5 ans. Cette règlementation étant récente, une politique de protection partenariale de l’impluvium a été créée sur le site de Spa dès la fin des années 1960. Les Déclarations d’Utilités Publiques (DIP) liées aux périmètres de protection sont anciennes en France comme en Belgique. La première DIP date de 1926 pour la source Cachat à Evian. Plusieurs fois modifiée, la dernière demande d’extension de la DIP et du périmètre de protection a été faite en 2002 et a été approuvée en 2007. L’extension a permis de passer un PP de 50ha à 1600ha. Cette dernière permet de protéger l’ensemble des 8 sources exploitées pour commercialiser le mélange source Cachat. Le nouveau périmètre de protection comprend tout ou partie de 7 communes234, dont 4 communes d’émergence235 et seulement 3 des 9 communes de l’impluvium. Cette zone vise à protéger la partie terminale du système de tout risque de prélèvement adverse. Bénéficiant d’une protection naturelle de plusieurs dizaines de mètres de moraine argileuse, la protection consiste surtout à prévenir la perforation de cette couche. Seulement 6 autres communes de l’impluvium ne sont pas prises en compte dans le périmètre de protection 236 . En complément de cet outil règlementaire restreint à une partie du gisement, la SAEME a mis en place une politique de protection partenariale. Celle-ci porte « de manière élargie aux limites administratives des 13 communes du gisement », c’est-à-dire sur les 4 communes d’émergence, mais surtout sur les 9 communes de l’impluvium (voir Annexes n°39). Cette démarche volontaire a pour but de prévenir 234 Maxilly-sur-Léman, Neuvecelle, Publier, Evian-les-Bains, Champanges, Larringes, Marin 235 Evian, Publier, Maxilly et Neuvecelle 236 Vinzier, Féternes, Saint-Paul-en-Chablais, Lugrin, Thollon-les-Mémises et Bernex 329 toutes pollutions diffuses ou accidentelles qui pourraient altérer la ressource en EMN de manière qualitative sur l’impluvium de 35 400ha dont le cœur se situe sur le plateau de Gavot237. Selon le responsable EMN du BRGM, « L’existence même de l’APIEME est liée au fait qu’il était quasi impossible d’établir un périmètre de protection au titre d’une DIP sur l’ensemble des communes du gisement d’EMN (trop grand, trop de monde concerné, intérêt privé). L’APIEME est un biais très judicieux mis en œuvre pour suppléer une DIP et permettre de protéger l’impluvium d’Evian en dehors du cadre réglementaire. La difficulté d’établir un PP au titre d’une DIP (intérêt public) est la mise en place de contraintes vis-à-vis de tiers, alors que l’EMN est protégée pour l’intérêt d’un industriel. Certes, s’agissant d’un outil industriel qui fait travailler beaucoup de monde, et il y a un certain intérêt public (emploi, notoriété), mais les bénéfices sont privés d’où la problématique. C’est la grande différence avec l’eau potable pour laquelle on établit une DUP (utilité publique) car elle est protégée pour le bien de tous, ce qui justifie l’utilité public ». Sur le site de Vittel/Contrexéville, les deux périmètres de protection ne couvrent également qu’une partie du gisement d’EMN. Seulement 7 communes sont concernées tout ou partie par cet outil règlementaire. Les 4 premières DIP sur les sources datent de 1860 et 1903. Le PP de Contrexéville a pour l’essentiel été élaboré en 1957. La dernière extension du PP Vittel/Hépar date de 2006 pour une surface de 4000ha, soit 67 % du gisement. Une partie importante des impluviums des EMN de Contrex et Vittel/Hépar sont hors du périmètre de protection règlementaire en raison de la protection naturelle actuelle suffisante. Cela concerne principalement l’impluvium de l’EMN de Contrex dont certains forages exploités pour l’embouteillage du mélange source Contrex sont sur les communes de Crainvilliers (source Belle Lorraine) et de Contrexéville (sources Reine Lorraine et Thierry Lorraine), ainsi que pour les thermes de Contrexéville (source Chatillon Lorraine) à Suriauville, qui sont situés hors du périmètre de protection règlementaire (voir Annexes n°41). En complément de l’outil règlementaire, une politique de protection partenariale est réalisée sur l’ensemble des deux gisements des EMN de Vittel/Hépar (6000 ha) et de Contrex (5400ha). Ce territoire de 11 400ha, comprend tout ou partie de 18 communes de l’impluvium dont 7 communes d’émergence (voir Annexes n°42). Enfin à Spa, le premier périmètre de protection est créé en 1889 sur 34ha pour protéger les sources de Pouhon et Pierre-le-Grand dédiées à l’usage thermal. Plusieurs arrêtés royaux sont édités en 1925, 1927, et 1937 pour étendre cette zone de protection afin de protéger d’autres émergences. En 1937, le périmètre de protection représente 3400ha. Depuis l’arrêté du gouvernement Wallon de 2001, la zone de prévention éloignée représente 5163ha sur la commune de Spa, et la zone de surveillance de l’impluvium représente 13 177ha. Cette zone d’alimentation 237 Communes de Champanges, Larringes, Vinzier, Féternes, Saint-Paul-en-Chablais 330 concerne 6 communes, dont majoritairement la commune de Spa, une partie des communes de Theux, Jalhay, Stavelot et Aywaille, ainsi qu’une petite partie de la commune de Stoumont au niveau de la crête de la Vecquée (voir Annexes n°43). Les périmètres de protection des sites d’Evian/Publie et Vittel/Contrexéville, ainsi que la zone de surveillance de Spa (non-obligatoires d’un point de vue règlementaire), sont presque des exceptions en France et en Belgique (voir Annexes n°44). En complément de la mobilisation de ces outils règlementaires facultatifs, les acteurs de la filière EMN ont mis en place une gouvernance partenariale locale. Les formes d’organisation de la gouvernance territoriale sont spécifiques à chaque territoire et sont le reflet des stratégies des acteurs.
Historique de mise en place et types de gouvernances partenariales locales
Sur les sites d’Evian-les-Bains/Publier et de Vittel-Contrexéville, le rapprochement des acteurs locaux sur la thématique de la protection de la ressource en EMN a débuté à la fin des années 1980, pour une concrétisation de la démarche de gouvernance territoriale en 1992. C’est en effet à cette date que deux structures ont été créées : l’Apieme sur le site d’Evian/Publier et Agrivair sur le site de Vittel/Contrexéville. L’élément déclencheur de la mise en place de cette dynamique de coopération a été en 1971 le constat d’un lent mais régulier accroissement de la teneur en nitrate dans les eaux de surface par la Société Générale des Eaux Minérales de Vittel, puis par la SAEME à Evian-les-Bains/Publier. En 1985, le laboratoire SGEMV identifie un taux de nitrates dans les sources de contrôle de l’ordre de 8,8 mg/l. La prise de conscience a été progressive, dans un contexte particulier. C’est également à cette époque que le ministère a remis le rapport Hénin sur la qualité des eaux. Intitulé Activités Agricoles et qualité de l’eau, ce rapport établit pour la première fois de manière officielle l’existence de conséquences négatives de l’activité agricole sur l’environnement. Cette commande ministérielle date de 1979 à l’époque de l’émergence des préoccupations environnementales. S’il est remis en 1980, il ne sera publié officiellement qu’en 1985. Cette pollution résulte des changements de pratiques de la production agricole avec l’intensification et la mécanisation de l’agriculture dans les années 1960-1990 en France, mais aussi en Europe avec la création de la PAC (Politique Agricole Commune) en 1962. Dès la fin des années 1980, le rapprochement des acteurs se forme autour de la menace de la pollution d’origine agricole pour la ressource en EMN. Le risque de pollution par les nitrates pourrait entrainer une modification de la stabilité et de la composition de l’eau minérale, et donc de perdre l’appellation pour les deux activités, aussi l’embouteillage que le thermalisme. La qualité de l’eau est au cœur de la pérennité de l’économie du territoire et de l’entreprise pour les deux activités. Par la suite, la gouvernance des acteurs locaux s’est étendue aux autres sources de 331 pollutions potentielles sur la ressource en EMN. Sur le site de Spa, la gouvernance territoriale sur la ressource en EMN est née bien plus tôt. Dès 1967 une première forme de coopération partenariale est née sur la Fagne de Malchamps. A l’origine, l’objectif était de prendre en compte des actions particulières dans le plan d’exploitation sylvicole des bois domaniaux au Sud de Spa, gérés par l’administration forestière de la DNF (Département de la Nature et des Forêts) de la Région de Wallonie. Ce n’est qu’à partir de 1988 et 2000 que la gouvernance des acteurs locaux s’est étendue aux autres sources de pollutions potentielles sur la ressource en EMN238 . Si les formes de gouvernances sont en revanche spécifiques à chaque territoire, des typologies mettent en évidence un nombre restreint de modèles, selon le type d’acteur clé qui domine le processus. G. Colletis et J.-P. Gilly identifient 3 grands types de forme de gouvernance selon le type d’acteur qui domine la coordination territoriale : la gouvernance privée, institutionnelle ou mixte239 . Dans le cadre de la coordination résiliaire, seule la gouvernance mixte ou partenariale (Evian/Publier et Spa) et la gouvernance à tendance privée (Vittel/Contrexéville) ont été identifiées. La gouvernance mixte correspond à une association des acteurs publics et privés autour de la gestion de la ressource en EMN, où le rapport de force entre les acteurs est équilibré au niveau des outils de concertation. Dans ce cadre, sans suprématie d’un seul acteur, le jeu de pouvoir et contre-pouvoir des différentes parties prenantes influence de manière égalitaire les négociations à l’œuvre sur les territoires d’Evian/Publier et Spa. La gouvernance n’est donc pas une configuration de coordinations strictement économiques ou strictement sociopolitiques : elle est une combinaison de ces dimensions, caractérisée par une densité variable des interactions entre les trois catégories d’acteurs240 .
Structuration des formes de gouvernances partenariales locales
Sur le site d’Evian/Publier, la gouvernance des acteurs locaux s’est matérialisée par la création d’une structure associative commune. La création de l’association a permis de formaliser des années de discussion en amont sur le statut et le fonctionnement de la structure. Directement intéressé par la protection du gisement, la démarche a été initiée par la SAEME. La forme de gouvernance au sein d’une structure associative découle d’un choix stratégique d’Antoine Riboux qui avait une vision de l’ancrage de l’entreprise dans son écosystème local. Après 25 ans de fonctionnement, les acteurs perçoivent l’association comme « un construit novateur qui a réuni des acteurs locaux. En 1992, 238 Entretien téléphonique avec la directrice de l’APIEME et hydrogéologue de la SAEME, le 18 mai 2017 ; Entretien téléphonique avec le directeur d’Agrivair, le 14 juin 2017 ; Entretien téléphonique avec le chef du cantonnement de Spa à la DNF, le 14 novembre 2017. 239 G. Colletis, J.-P. Gilly, « Construction territoriale et dynamiques économiques », Dans Sciences de la Société, n°48, 1999, pp. 25-47. 240 F. Leloup, L. Moyart, B. Pecqueur, « La gouvernance territoriale comme nouveau mode de coordination territoriale ? » Dans Géographie, économie, société, 2005/4 (Vol. 7), pp 321-332 332 les concepts de développement durable et de projet public-privé n’existaient pas encore. Le partenariat a été mis en place de façon empirique à l’échelle locale. Il est aujourd’hui cité comme un modèle de concertation » 241 . L’Association pour la Protection de l’Impluvium de l’Eau Minérale d’Evian (l’APIEME) est aujourd’hui composée de la SAEME, des 4 communes d’émergence et des 9 communes de l’impluvium : « L’Apieme est une entité qui est l’aboutissement d’un projet publicprivé […] représentée par les maires et la société des eaux » 242. Cependant, le nombre d’acteurs associés à cette gouvernance a évolué dans le temps. En 1992, l’Apieme ne comptait que la SAEME, les 4 communes d’émergences et 5 communes au cœur de l’impluvium : Champanges, Larringes, Vinzier, Féternes, Saint-Paul-en-Chablais. Quatre autres communes de l’impluvium on rejoint l’association en en 2002 car une partie de leur territoire touche l’impluvium : Lugrin, Marin, Thollon-les-Mémises et Bernex. Cette évolution dans le temps s’explique par des changements de limites de l’impluvium grâce à l’acquisition de nouvelles connaissances hydrogéologiques sur le fonctionnement du gisement. Elle résulte également d’une prise de conscience progressive dans les communes de l’impluvium au fur et à mesure des années, car la zone d’impluvium est déconnectée de la zone des émergences à 10km. Les enjeux autour de la filière EMN ont généré un processus d’apprentissage collectif et de construction d’une gouvernance spécifique sur ce territoire. C’est par la création progressive du territoire de la filière que pour les communes autour d’Evian l’action de préservation de la ressource en eau s’est imposée au fil des ans comme une véritable stratégie de développement et d’aménagement durable. Depuis 25 ans, l’Apieme a perçu une cotisation annuelle de 150€ de l’ensemble des adhérents, une contribution de 3.5M€ des 4 communes d’émergence, soit 5 % de la surtaxe d’embouteillage, et une contribution de la SAEME de 7.5M€. Les actions par projet sont donc financées aux 2/3 par la SAEME et à 1/3 par les 4 communes d’émergence qui perçoivent les revenus de la surtaxe d’embouteillage. Au total, les projets initiés par l’Apieme ont permis d’investir 14,3M€ dans le périmètre de protection. L’association intervient sur 3 axes243 . Le budget annuel de l’association est de 570 000€, dont 17 % pour les actions en faveur des activités agricoles244 et 83 % pour l’aménagement d’équipements publics245, dont 50 % pour l’extension du réseau d’assainissement et la création d’une station d’épuration. En tant qu’association loi 1901, l’Apieme ne dispose pas de salariés dédiés. Le choix a été fait d’initier des projets qui génèrent des 241 Entretien téléphonique avec le Maire de Publier, le 23 Février 2017 242 Entretien téléphonique avec la Directrice de l’Apieme, le 18 Mai 2017 243 Le maintien d’une activité agricole respectueuse de l’environnement, préserver les milieux naturels, notamment les zones humides, et accompagner un développement territorial raisonné notamment par son aménagement 244 Mise aux normes d’ateliers de fromage et bâtiments d’élevage, aide à l’arrêt de l’atrazine pour le Maïs, aides à l’épandage sur les parcelles éloignées, formation des agriculteurs aux nouvelles techniques 245 Rénovation de logements anciens, aménagement de déchèteries, contrat de zone humide, entretien des ruisseaux, aide au remplacement des anciennes cuves à fioul, pose de nouvelles conduites d’eau potable AEP 333 emplois dans d’autres structures externes à l’association. Par exemple, 3 agronomes accompagnent les agriculteurs et 11 emplois ont été créés au sein de la SAS Terragr’Eau qui gère le méthaniseur. Ce choix d’externalisation donne naissance à d’autres structures de gouvernance complémentaires, comme la SICA Terragr’Eau. Cette Société d’Intérêt Collectif Agricole regroupe 48 agriculteurs, l’APIEME et la SAEME. Cette dernière gère à la fois la collecte et le plan d’épandage global des matières organiques sur les terres agricoles de l’impluvium, mais également les analyses agronomiques et la gestion du matériel agricole en commun : « La coopérative est composée d’un bureau de 4 agriculteurs qui se réunissent tous les mois, et un conseil d’administration qui se réunit 1 à 2 fois par an. Il comprend 3 maires membres de l’Apieme, 2 représentants de la société d’embouteillage, et 1 représentant des agriculteurs » 246. Si les formes de gouvernance au sein d’une structure commune est récente, le partenariat avec les agriculteurs et l’Apieme est ancien. En 1993, 54 agriculteurs se sont regroupés au sein de la SICA du plateau de Gavot pour être l’interlocuteur unique auprès de l’Apieme en vue de participer à l’identification des moyens de concilier rentabilité des exploitations agricoles et protection de la ressource en EMN. Ces négociations ont abouti en 1995 à la mise en place d’un programme de recherche-action entre l’Apieme, l’INRA (Institut National de la Recherche Agronomique) et de la Chambre d’Agriculture de Haute Savoie.
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