Territoires et urbanisation en Afrique occidentale et au Sénégal
Cette première partie pose la question de l’urbanisation en Afrique occidentale (en général) et au Sénégal (en particulier) en accordant une place particulière aux changements récents. Le ralentissement de la croissance démographique dans les grandes villes, l’émergence de pôles secondaires, l’affirmation du processus de transition urbaine démarré à partir des années 1970 et la réorientation géographique des flux migratoires en sont les points majeurs. Après un premier chapitre qui expose les aspects méthodologiques de ce travail et un deuxième consacré à l’évolution urbaine de la sous-région ouest-africaine, un troisième présente les déterminants de la croissance urbaine au Sénégal. Il serait absolument vain de vouloir comprendre les logiques actuelles de l’urbanisation sénégalaise sans prendre en considération la composante démographique qui est le déterminant principal. Son analyse comporte ici une dimension à la fois quantitative et spatiale. Comme objet en soi, acteur de son propre fonctionnement, la ville africaine a déjà fait l’objet de nombreuses études. Dans le cadre de thèses de doctorat ou de programmes de recherches publics (ONU, BCEOM, Banque Mondiale…), certaines villes, pour la plupart des capitales nationales, ont servi de laboratoires de recherche urbaine pendant plusieurs décennies. Figurent parmi les recherches les plus connues celle d’Assane Seck sur Dakar au Sénégal (1970), celles de l’IRD (ex. ORSTOM) sur les villes africaines dans les années 1980. A cela il faut ajouter les travaux de Catherine Cocquery-Vidrovitch, de Sylvie Jaglin sur Ouagadougou (1995) et de Cheikh Guèye sur Touba au Sénégal (1999).
En revanche, la ville en tant qu’élément d’un système, élément dont le fonctionnement et l’évolution sont beaucoup moins fonction de sa propre dynamique que d’un ensemble de forces extérieures à elle-même, reste encore mal connue. Les recherches menées jusqu’ici concernent pour l’essentiel l’analyse des rapports entre les villes et leurs campagnes environnantes. Ceux qui les lient à un environnement plus lointain, mais aussi à des villes avec lesquelles elles partagent le même système spatial sont encore peu abordés. L’amélioration des conditions de déplacements et son corollaire, le développement des relations à toutes les échelles spatiales, font désormais de la ville un objet géographique très dépendant de son environnement extérieur aussi bien proche que lointain. Aujourd’hui, l’enjeu de la recherche urbaine réside moins dans l’analyse de l’organisme urbain dans sa dimension uniquement locale que dans la recherche et l’analyse des forces extérieures qui désormais régissent ses rapports avec l’extérieur et déterminent son avenir. Une telle entreprise n’est pas aisée. Elle suppose – en Afrique particulièrement – une rupture systématique avec le déterminisme qui entoure la question urbaine au sens classique du terme. Elle nécessite en second lieu la remise en cause du concept de macrocéphalie et de l’approche fonctionnelle1 qui, dans une certaine mesure, refusent aux villes de second niveau toute possibilité de comparaison avec celles de niveau supérieur. Il s’agit ainsi de poser sous un angle radicalement nouveau et sans devoir être « iconoclaste » ou « géographiquement incorrect », la question des rapports de forces entre grandes villes et villes dites secondaires. Monique Bertrand et Alain Dubresson (1997) ont ainsi esquissé une telle orientation en présentant d’une part l’intérêt aujourd’hui de la recherche sur ce qu’ils appellent « les échelons inférieurs de l’urbanisation » et en soulignant d’autre part la légitimité de cette approche. Aussi, l’objectif de cette première partie est de mettre en évidence les processus de changements en cours et dont l’impact sur le fonctionnement futur des espaces sous-continentaux et nationaux serait, dans un avenir plus ou moins proche, non négligeable.
Le deuxième chapitre est consacré à la question urbaine en Afrique occidentale de façon générale avec une sous-partie réservée à l’affirmation des villes secondaires et le troisième traitera du comportement spatio-temporel de la variable démographique au Sénégal. La compréhension de la dynamique de l’urbanisation suppose, en amont, une bonne connaissance des comportements démographiques à l’origine de beaucoup d’autres phénomènes. Le choix d’accorder un chapitre entier au fait urbain à l’échelle sous- continentale n’est pas fortuit. Notre terrain d’étude s’inscrivant en effet dans le contexte généralisé d’une forte croissance urbaine en Afrique occidentale depuis près de quatre décennies, il est nécessaire de procéder à une analyse multi-scalaire de la question pour mieux situer la croissance urbaine sénégalaise dans le cadre ouest-africain. Ce travail comporte une dimension méthodologique sur laquelle il convient d’insister. Les objectifs visés ont en effet, par leur diversité notamment, dicté des choix méthodologiques associant des analyses quantitatives et des approches qualitatives. Cette démarche vise, au-delà de ce qu’il est possible de saisir par l’iconographie (cartes, images, modèles graphiques) et les données chiffrées – et donc par une démarche d’analyse spatiale-, à analyser certaines dynamiques territoriales comme la résultante non pas de contraintes ou de situations liées aux dimensions relatives de l’espace (distance, étendue ou surface, forme…), mais comme la résultante d’une projection des structures sociétales et des logiques d’acteurs sur l’espace. Loin d’être la résultante d’une logique cartésienne et souvent improprement attribuées à des séquences de réorganisation d’ordre hégélien, certaines dynamiques spatiales ne peuvent réellement être comprises que lorsqu’elles sont replacées dans le contexte d’un contrat social durable et accepté de tous au point de régir l’agencement spatial des groupes sociaux et de leurs territorialités respectives. Comprendre cela, revient à considérer le système social ainsi que les autres ordres d’autorités et de pouvoirs qui s’y greffent comme des composantes fondamentales de l’organisation de l’espace dans lequel ils s’inscrivent. De ce point de vue, la réponse concernant l’origine des structures et formes spatiales comporte une double dimension. A sa dimension spatiale en effet, il faut ajouter le référent structural (au sens sociétal du terme) pour aborder les dynamiques et structures spatiales dans toute leur complexité. Cela dit cependant, notre démarche s’inscrit essentiellement dans la lignée de l’analyse spatiale qui repose sur « un processus de pensée spécifique partant de la description pour aboutir à l’explication en trois termes principaux : observation analytique, détection des corrélations et des rapports de causalité » (George, 1998).