Territoires et mobilité durable
Le paradigme de la complexité et le constructivisme
Désormais, les points d’entrée et de sortie des réseaux s’analysent comme des lieux de coévolution des actants humains et non humains, reflétant la complexité du monde sociotechnique » (Ageron, 2013, p.16). Notre recherche met en évidence les interactions existantes à travers une réflexion sur la participation, l’information et la concertation en privilégiant une recherche compréhensive (analyse inductive) parce que « la recherche qualitative se prête bien à l’étude des phénomènes complexes et mouvants » (Dulaurans, 2012, p.200). Nous avons utilisé également une méthode quantitative (analyse déductive) et constructiviste pour suivre Maurel (2012, p.252) : « Dans la théorie de Shannon, l’information est considérée sous une forme quantitative, probabiliste et objective ; Dans la théorie constructiviste et pragmatique de l’école de Palo-Alto, l’information se construit dynamiquement dans un contexte particulier d’interaction ». « Les systèmes humains et sociaux sont complexes. Pour comprendre les phénomènes qui y sont reliés, il faut recourir à une vision holistique. Une telle vision permet non seulement d’arriver à des descriptions détaillées des situations et des évènements, mais aussi d’acquérir une connaissance approfondie du comportement des acteurs qui y évoluent, des sentiments qu’ils éprouvent ainsi que des interactions qui les lient » (Dulaurans, 2012, p.201). La sociologie des mobilités, développée à partir des travaux de John Urry, cherche à comprendre en quoi les phénomènes sociaux sont influencés ou créés par le mode de vie nomade contemporain. Il propose « une sociologie de l’interdépendance complexe [des] diverses mobilités [des peuples, des objets des images et des informations ainsi que] leurs conséquences sociales ». Les apports de cette approche entrent en résonance avec le positionnement heuristique sur la complémentarité des actants humains et non-humains pour saisir la complexité d’un système (Ageron, 2013, p.79). « L’apport d’Alex Mucchielli pour rendre compte d’une approche qui permettrait aux SIC de trouver une identité scientifique cohérente (Mucchielli, 2001), propose de constituer une référence scientifique spécifique à la discipline. Dès lors, le corpus épistémologique de l’approche communicationnelle compréhensive ancre nos recherches dans le paradigme5 de la complexité. Ce choix de positionnement vient du domaine des SIC lui-même qui admet désormais la complexité et l’intelligence du récepteur et souhaite dépasser le modèle télégraphique de la communication basé sur le transfert d’un message à partir d’une source vers des cibles passives. D’ailleurs, Edgard Morin, dont les travaux ont mis en lumière ce paradigme de la complexité, parle d’“homo complexus” (ou “homme complexe”) afin d’ajouter à l’homme de rationalité, l’homo sapiens, des moments de perte de contrôle (affectivité, délire, etc.) affectant sa pensée rationnelle. De plus, l’homo complexus approche l’entité individuelle au sein d’une trinité individu-espèce-société dont les trois notions s’articulent l’une dans l’autre. En effet, si l’individu compose la société, celle-ci, avec sa culture, son langage, etc., produit également l’individu. Enfin, s’il faut que deux individus s’accouplent pour produire l’espèce, celle-ci est elle-même dans l’individu, avec les gênes notamment (Morin dans Poirier et Fouré, 2004). La pensée complexe intègre donc non seulement le principe systémique, autrement dit les phénomènes isolés n’existent pas, mais également le principe du cadrage, c’est-à-dire qu’un individu et ses actions ne peuvent être analysés que dans le système dans lequel ils prennent place » (Deprez, 2014, pp.15-16). « Pour Kuhn (1983, p.19), le paradigme est un ensemble de convictions et de références théoriques et pratiques propres à un domaine de savoir et partagées, à un moment donné par les chercheurs et les groupes scientifiques. En épistémologie6 , la notion de paradigme est fille de Thomas Kuhn, un physicien converti à l’épistémologie des Sciences. Selon lui, “la science ne se développe pas par accumulation et d’inventions individuelles”, car toute science évolue par une succession de paradigmes incommensurables » (Bertacchini, 2014b, p.30).
Le territoire : les caractéristiques fondamentales
Comme notre recherche s’intéresse aux modalités de déplacements et à leur organisation sur trois territoires distincts (la Communauté d’Afrique de l’Est, la région Provence-Alpes-CôteD’azur et la Corse) pour vérifier si ces territoires sont engagées dans un projet de développement territorial durable, ici nous donnons une description précise du territoire tel que nous le concevons dans nos recherches en étudiant l’approche de Schwarz (le métamodèle ou langage holistique) pour suivre les évolutions du système « territoire ». En ce début du XXI° siècle, la reconnaissance de l’Etat pour les territoires à forte imprégnation culturelle ou sociale est notoire ; elle permet à ceux-ci de retrouver leurs points 28 d’ancrage naturel dans le concept territorial de « pays » (Herbaux, 2006, p.21). « A la nation, disait Renan “qui n’est pas qu’un héritage de gloire et de regrets à partager”, le pays reconquiert son caractère inducteur du futur à construire. Porté par les Lois de décentralisation Loaddt8 et notamment celle du 25 juin 1999, le pays est un espace présentant une cohésion géographique, historique, culturelle, économique et sociale. Ce concept réaffirmé réclame des acteurs du local un investissement certain dans le partage d’un dessein que l’on souhaite porter par le plus grand nombre. Les acteurs locaux impliqués veillent ainsi à établir ou à conforter un environnement préservé des soubresauts de la mondialisation. Or, celle-ci est un fait qui agit sur le local ; le brouhaha exponentiel des informations et signaux obscurcit l’horizon du projet territorial ; il en rend la lecture et l’interprétation problématiques. La volatilité des projets et les changements brutaux des repères fondamentaux au sein du lieu de vie, créent un lieu de doute où tout un chacun s’interroge sur la nature de l’héritage symbolique qu’il veut défendre » (Op. Cit.). Pour certains, comme Guy Di Méo (2000, p.40), le territoire c’est un construit social, c’est-àdire une « appropriation à la fois économique, idéologique et politique (sociale donc) de l’espace par des groupes qui se donnent une représentation particulière d’eux-mêmes, de leur histoire ». Pour d’autres, comme Claude Dupuy et Antje Burmeister (2003, p.9), « L’émergence des territoires repose avant tout sur les interactions entre les acteurs, en particulier à travers la mise en œuvre de processus d’apprentissage collectif, l’économie de la proximité s’interroge donc sur les formes prises par la gouvernance territoriale » (Bouchet, 2003, p.4). Aujourd’hui, l’approche des territoires ne doit plus se limiter à la seule identification des forces et faiblesses à un moment donné. Elle doit participer à une action plus globale organisée autour de l’émergence d’une gouvernance locale, fondée sur le partage d’une information commune, validée et interprétée par de multiples acteurs (Signoret, Moine, 2008, p.2). Le territoire est un système complexe soumis à de multiples influences exogènes d’autres systèmes (Op. Cit., p.10).
Le territoire : les plans de l’analyse
Pour Bailly, le territoire est d’abord « un espace terrestre, réel et concret, (qui) est donné, vécu et perçu ». Il est donné car concret et réel, vécu par la confrontation de son identité avec nos intentionnalités et nos finalités, perçu par le contact de proximité et les dimensions de notre interaction avec lui (Bertacchini, 2003, p.3 ; 2014d, p.50). Major à la suite de Schwarz propose d’établir un modèle du système « territoire » qui rende compte à la fois de la matérialité des objets territoriaux, des approches cognitives différentes des intervenants qui en effectuent une lecture spécifique, et du sens « territorial » qui transforme l’espace en ressources partagées (Bertacchini, 2003, p.3 ; 2014d, p.51). Le modèle systémique que ces auteurs ont élaboré se décompose en trois plans fortement imbriqués et indissociables l’un de l’autre : celui de la matière physique (premier niveau) : les aspects énergétiques et entropiques ; celui de l’information (deuxième niveau) : les aspects relationnels ; celui de l’identité (troisième niveau) : les aspects holistiques. Le territoire : le plan physique/organique Au préalable, et à la suite de Prelaz-Droux (Bertacchini, 2003, p.4), « nous identifierons trois types d’éléments-objets dans le territoire ». Il s’agit des éléments : – constitutifs, qui correspondent à une réalité concrète du territoire. Pour les classifier, Prelaz-Droux distingue trois domaines génériques : les infrastructures équipant le territoire en réseaux et ouvrages de génie-civil ; le milieu naturel (sol, eau, air, faune, flore) et le milieu anthropique ; les activités économiques, sociales et culturelles. 33 – virtuels que nous pouvons classer en deux types : virtuels normatifs et symboliques. – les éléments facteurs et factuels : un exemple d’élément facteur peut être l’innovation technologique. L’innovation technologique est à la fois porteuse de gains de productivité, de changement et d’adaptation à de nouvelles conditions de travail. Mais elle peut également générer du chômage. Ainsi les éléments facteurs nécessitent une interprétation et peuvent conduire à l’émergence d’éléments factuels. D’une part, pour apparaître ou disparaître, les éléments factuels utilisent un ou plusieurs objets constitutifs (exemple : les unités de production pour l’innovation technologique). D’autre part, pour pouvoir en interpréter le sens, il faut faire référence à un modèle explicatif qui va fonctionner en tant que contexte d’interprétation (l’innovation technologique)
Remerciements |