Terminologie, un mot polysémique

Terminologie, un mot polysémique

Le sens du mot terminologie que l’on peut déduire de la citation plus haut ne correspond peut-être pas au(x) sens courant(s) de ce mot. Il s’agit d’un mot polysémique, qui désigne une des disciplines dans lesquelles s’inscrit ce travail de recherche. Avant de rentrer dans les spécificités théoriques de la discipline, essayons de voir comment le mot terminologie est traité dans quelques dictionnaires de la langue française (Dictionnaire de l’Académie française, Trésor de la Langue Française informatisé, Grand Robert de la Langue française, Grand Larousse de la Langue française, Le Grand Littré). On ne saurait pas établir précisément la date de la première attestation de terminologie, composé savant de termino- (du latin médiéval terminus, expression), et de – logie (du grec logos, discours, science). Néanmoins, elle est à rechercher entre 1675 et 1764, période correspondant à la vie d’Yves Marie André (mieux connu comme Le Père André), qui emploie le terme au sens de « ensemble de termes propres à un domaine ». C’est avec cette acception qu’il est défini dans le Dictionnaire de l’Académie, où il est marqué comme « terme didactique ». En 1801, terminologie est utilisé avec une acception péjorative par Louis Sébastien Mercier. Dans le passage de sa Néologie cité au début de cette section, l’écrivain l’emploie pour se référer à l’abus de termes scholastiques dans les ouvrages des intellectuels. Avec Émile Littré, en 1872, aussi l’ensemble des termes propres au style d’un auteur est défini comme terminologie. La définition donnée par Bescherelle, en 1845, de « science des termes techniques ou des idées qu’ils représentent », préfigure l’acception la plus courante du terme au XXe siècle. Ce sera le terminologue Robert Dubuc, dans les pages de la revue La Banque des Mots, à élargir la définition de Bescherelle : « étude, observation et mise au point des vocabulaires propres à différentes activités scientifiques ou techniques » 2 (DUBUC 1971 : 1). Le même auteur, six ans plus tard, la précisera davantage : « [Dans l’état actuel de son évolution, la terminologie apparaît comme l’] art de repérer, d’analyser et, au besoin, de créer le vocabulaire pour une technique donnée, dans une situation concrète de fonctionnement de façon à répondre aux besoins d’expression de l’usager. » .

Avant la terminologie, le terme

L’unité de base de la terminologie est le terme, tant si l’on parle de terminologie au sens d’« ensemble de termes », que de « science qui étudie les termes ». Le mot terme apparaît bien avant terminologie : la première attestation de terme entendu comme « mot, unité de vocabulaire porteuse d’une signification » remonte à 1370, date où il est repéré dans la traduction de l’Éthique d’Aristote par le philosophe naturel Nicole Oresme. Formé par métonymie sur le latin terminus, qui désignait une borne marquant une limite, terme est tout d’abord employé pour se référer à un mot ou une suite de mots délimitant une expression. Dans la même année, dans son Livre du ciel et du monde, toujours Oresme parle de la nécessité de « user des termes ou moz propres à la science » 4 . Quelques années plus tard, en 1377, terme est utilisé pour désigner un mot spécifique à un art : dans le roman en vers des Déduits de la chasse, du poète Gace de la Buigne, on parle des « termes de la fauconnerie » 5 . Toutefois, il faudra attendre la Renaissance pour que le concept de « langue des arts » et la nécessité d’une méthodologie pour décrire ce type de discours s’imposent. La lexicographie unilingue naissante se trouve face au traitement de ces unités du lexique, les termes, qui sont considérées en quelque sorte différentes des autres. Songeons, par exemple, au choix de l’Académie française, lors de la première édition du Dictionnaire de l’Académie (1694), de ne pas y répertorier les termes scientifiques et techniques. Ces derniers ont été traités dans un supplément au Dictionnaire par Thomas Corneille. Les ensembles de termes, à cette époque, ne s’appellent pas encore terminologies, mais nomenclatures. Comme le souligne Alain REY (1979 : 4) : « Si nomenclature (du latin nomen calare) apparaît en français au XVIe siècle au sens de « glossaire, liste de noms », le concept ne se distingue que confusément de celui de dictionnaire (de dictio « mot prononcé, parole »). » Exception faite pour le Supplément cité plus haut, la réalisation des premières nomenclatures importantes n’a pas été la compétence des grammairiens ou d’hommes de lettres. Tout au long des XVIIIe et XIXe siècles, ce sont les botanistes, les chimistes, les zoologues qui aménagent la terminologie de leur domaine d’étude. Pour n’en citer qu’un exemple, la terminologie de la chimie en usage de nos jours est encore celle compilée par Lavoisier. 1.3. Vers la naissance d’une « science des termes » Le grand développement scientifique du XVIIIe siècle amplifie le débat autour des termes et de la « langue des arts ». Cela surtout parmi les auteurs de l’Encyclopédie en France. Buffon fait équivaloir l’étude d’un objet (animal, plante, etc.) avec la critique de la nomenclature utilisée pour le décrire, D’Alembert opère une distinction entre termes 3 REY (1979 : 8). 4 Cité dans l’article terme du TLFi. 5 Voir note 4. – 15 – vulgaires et termes scientifiques6 , Diderot fait le point sur plusieurs aspects concernant la « langue des arts ». En particulier, il en reconnaît deux imperfections majeures : le manque de noms propres et l’abondance de synonymes. Alain REY (1979 : 5-6) identifie chez Diderot une volonté normalisatrice, ainsi qu’une réflexion assez importante pour l’époque sur le rapport entre notions et mots, à l’instar du philosophe anglais John Locke. Les réflexions autour du terme dans la seconde moitié du XVIIIe siècle amènent les savants à admettre explicitement la nécessité d’une science dont les termes seraient les objets. Si ces tentatives théoriques ont été la prérogative des scientifiques aux XVIIIe et XIXe siècles, ce sera aux techniciens d’aboutir à la première véritable théorisation de la terminologie. Cela n’est pas dû au hasard, mais s’insère dans la progressive technicisation de la société, de plus en plus caractérisée par l’industrie et ses besoins connexes, comme l’explique CABRÉ (1998 : 23). Les nouvelles réalités industrielles offrent à la société de nouveaux produits et techniques qu’il est nécessaire de nommer : pour que cela soit possible, il faut que la communication entre professionnels soit claire et précise. L’industrialisation provoque aussi une intensification des échanges internationaux, ce qui se traduit dans l’exigence de disposer non seulement de lexiques scientifiques et techniques pour une langue donnée, mais que ces derniers soient multilingues. C’est dans ce cadre que s’insèrent les travaux de l’ingénieur autrichien Eugen Wüster. 1.4. Wüster et la Théorie Générale de la Terminologie Au nom d’Eugen Wüster (1898-1977) correspond souvent l’appellation de « père de la terminologie ». La pratique7 et la réflexion autour de la « science des termes » ont jalonné toute la carrière scientifique de cet ingénieur autrichien. Son intérêt pour la terminologie se manifeste déjà avec sa thèse pour l’obtention du doctorat d’ingénieur en 1931, qui a pour titre La normalisation de la terminologie technique internationale8 . Orientée plus vers la méthodologie que vers la théorie, la thèse de Wüster établit les principes que doivent suivre les travaux sur les termes, indiquant les paramètres principaux pour une méthodologie de traitement des données terminologiques. C’est de ce premier ouvrage qu’il s’inspire lors de sa collaboration avec le Comité de Terminologie (ISA 37), créé en 1936 par la Fédération Internationale des Associations Nationales de Normalisation. Après un arrêt temporaire de son activité durant le Second conflit mondial, l’ISA 37 est reconstitué en 1951, devenant le Comité ISO/TC 37 « Terminologie (Principes et coordination) », au sein de l’Organisation Internationale de Normalisation (désormais ISO). Là, Wüster s’occupe de la publication des Recommandations et de Normes ISO.

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