TENTATIVE DE SUICIDE A REPETITION CHEZ
L’ADULTE JEUNE
Clarification des concepts
Suicide
Le suicide, du latin « suicidium », terme composé du préfixe « sui » : [se, soi] et « caedere » : [tuer], est l’acte délibéré de mettre fin à sa propre vie. À l’échelle mondiale, environ un million de personnes se suicident chaque année. C’est un acte par lequel le sujet se donne volontairement la mort . Durkheim [1] le définit comme : « la fin de la vie, résultant directement ou indirectement d’un acte positif ou négatif de la victime elle-même, qui sait qu’elle va se tuer ». Dans toute définition du suicide, l’intention de mourir est sûrement un élément clé. Cependant, il est souvent très difficile de reconstruire les pensées des gens qui se suicident, à moins qu’ils ne parlent clairement de leurs intentions avant leur mort ou qu’ils laissent une lettre explicite. Le suicide est un acte universel. Sa représentation violente devrait faire penser à sa rareté, malgré l’existence d’un conditionnement à la préservation de la vie chez chaque individu. L’aboutissement de ce processus représente une issue contre nature qu’est la victoire de la mort. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que le suicide est la treizième cause de mortalité dans le monde, tous âges compris, et parmi les premières causes de mortalité chez les jeunes
Suicidé et suicidant
Le suicidé est une personne dont la conduite suicidaire a abouti à son décès. Le suicidant désigne un sujet qui a effectué une tentative de suicide et qui a donc survécu au geste suicidaire contrairement au suicidé [9]. Il est à noter que le primo suicidant est un sujet qui a effectué son premier geste suicidaire et qui n’a donc pas d’antécédent de tentative de suicide, par opposition au sujet dit « récidiviste ».
Tentative de suicide (TS)
La tentative de suicide correspond à un « comportement suicidaire non fatal ». En d’autres termes, elle est définie comme un suicide raté. Le suicide étant l’acte de se tuer d’une façon habituellement consciente en considérant la mort comme un moyen ou une fin [10].Le terme de « tentative de suicide » est une expression courante dont son appellation différé d’un horizon à l’autre. En Europe on utilise le terme «para suicide» ou « acte autodestructeur délibéré ». L’OMS [11], en la nommant lésions auto-infligées, défini la tentative de suicide comme étant :« Acte sans issue fatale, réalisé volontairement par un individu, constitué de comportements inhabituels qui peuvent avoir des conséquences dommageables sans l’intervention d’autrui ou qui se traduisent par l’ingestion de substances en excès par rapport à une prescription médicale ou par rapport à ce qui est reconnu comme une posologie thérapeutique, et ce, dans le but d’induire les changements espérés». Cette terminologie « lésions auto- infligées », utilisée par l’OMS, a été reprise dans la Classification Internationale des Maladies (CIM) dans laquelle les suicides et tentatives de suicide sont rangés en fonction des moyens utilisés. Les tentatives de suicide sont estimées entre 10 et 20 millions chaque année dans le monde [12]. Le suicide ou la tentative de suicide ne pourrait être vécu comme des faits bénins. Ils sont considérés comme des inconduites sociales, relevant de l’impolitesse, de la folie ou de l’hérédité. Ceci se comprend parfaitement car la société qui tend toujours à préserver la vie, a du mal à concevoir qu’une de ses composantes, l’individu, se donne sans contrainte aucune, la mort
Suicide et société
Les conduites suicidaires consistent à se donner volontairement la mort, réussies ou non. Ce sont des phénomènes aux quels toutes les sociétés ont été et restent confrontées et que l’on considère souvent comme des actes purement individuels. Pourtant le suicide revêt un caractère plus social si on a croit au concept de suicide dansla perspective de DURKHEIM [1]. Si aujourd’hui certains idéalisent le suicide, la majeure partie des religions existantes, les religions Islamique, judaïque et catholique, dès le Moyen Âge, condamnent cet acte en le considérant comme un péché. Pourtant, il demeure partout et à toutes les époques un phénomène de grande ampleur [14].. En milieu traditionnel africain, le suicide pour la sauvegarde de l’honneur était permis, encouragé voire valorisé ; citons le mythe de Yacine Boubou qui aurait donné sa vie pour que son fils monte sur le trône du Cayor et l’histoire des femmes de « Ndeer » qui se sont brûlées vives pour échapper à l’esclavage. Le suicide de chantage féminin est noté dans les travaux de Diop [15]. Le suicide est lié aux conditions sociales [1]. De nos jours, si le suicide constitue parfois une forme de protestation contre un système politique, il est davantage le moyen d’exprimer une détresse sociale, en particulier pour les hommes d’âge actif, dont le taux de suicide est élevé.Au Sénégal, il n’est pas rare de rencontrer des conduites suicidaires qui entrent dans ce contexte protestataire en apparence [16 ; 17]. Les tentatives de suicides chez l’adolescent et l’adulte jeune sont récurrentes dans les villes africaines. Déjà, en 1978, Renaud [18] s’inquiétait de la situation générale du suicide en Côte d’Ivoire. En 1983, Gueye et ses collaborateurs [19] posaient cette préoccupation dans un article intitulé « Dépression et suicide ». Une étude effectuée en 1998 à l’hôpital principal de Dakar par Sylla [13], révèle la fréquence des tentatives de suicide. Sur une période de 4 années, 439 suicidants ont été admis à l’hôpital Principal de Dakar, et l’incidence est maximum à l’adolescence et après 45 ans.
Différentes approches explicatives du suicide
Le problème du suicide a de tout le temps préoccupé les hommes et plusieurs approches explicatives ont été formulées à travers la littérature. Pour les psychiatres, le suicide est un acte de malade, de folie ; les psychologues essaient de comprendre les mécanismes qui le sous-tendent ; les sociologues l’étudient en tant qu’acte d’origine sociale et les biologistes se posent la question de l’existence ou non de précurseurs ou de marqueurs biologiques dans les conduites suicidaires.
Approche psychiatrique du suicide
Elle met en exergue le suicide résultant directement des troubles psychiques avérés [4]. Le suicide est un geste, un acte posé sur un sujet porteur d’une souffrance psychique. Comme le souligne Colin [20] en 1986, la crise suicidaire offre une illustration assez pure de l’aspect pluridimensionnel de la crise, à savoir sa dimension de souffrance, son inscription corporelle et sa dimension sociale. Le geste suicidaire s’inscrit dans le déroulement de la crise comme la tentative de réduction des tensions internes auxquelles le sujet en crise est en proie. Il s’impose comme une nécessité, devant l’impossibilité, par les mécanismes de défenses habituels, de contenir une angoisse importante. Certes, le passage à l’acte suicidaire n’est pas à lui seul susceptible de permettre cette réduction. Il faut cependant signaler que d’après plusieurs auteurs [21], les dépressions seraient responsables de la majorité des cas de tentative de suicide. Chez le mélancolique, toutes les formes de l’affection et à tout moment peuvent entrainer les tentatives de suicide [22]. Les dépressions n’en sont pas les seules pourvoyeuses. En effet d’autres affections comme les schizophrénies, au cours de leur angoisse dissociative, de leur crise délirante ou hallucinatoire peuvent entrainer des tentatives de suicide froid, sans motifs apparents, détachées et violentes. Les raptus anxieux ou les crises d’hystérie peuvent aussi être des causes de tentatives de suicide. Pour Menahem [23], la crise suicidaire résulterait de l’impossibilité d’élaborer des projets et des perturbations des perspectives temporelles chez le déprimé. Chez les états limites (borderline) on parle de « suicidose » du fait du multi – récidivisme suicidaire [24]. Il faut noter cependant que les maladies psychiatriques n’expliqueraient pas à elles seules toutes les formes de tentatives de suicide. En effet, des études transculturelles démontrent que certaines causes sont dépendantes ou fortement liées au culturel. Sartorius et Jablensky [25] montrent que les principaux symptômes à dépendance culturelle sont les modalités des idées, la nature des thèmes délirants (thème de culpabilité dans les civilisations chrétiennes et japonaises, thème de possession dans les cultures africaines). Il faut noter dans ce chapitre que la pathologie mentale, sans être la seule, est sans doute la plus grande pourvoyeuse de candidats au suicide [26], mais le risque diffère selon la nature de l’affection.
Approche Psychologique du suicide
Si Durkheim a inauguré la réflexion sociologique sur le suicide, c’est Freud en 1917 dans « Deuil et mélancolie » qui a apporté une hypothèse psychologique d’un intérêt capital ; « le suicide manifeste l’agressivité primitivement dirigée contre l’objet d’amour perdu et secondairement dirigée contre soi » [27]. Dans cette perspective psycho dynamique, plusieurs auteurs ont apporté leurs contributions. Selon Nunberh [28], le suicide apparait comme un passage à l’acte évitant la métabolisation des conflits. La tension entre le SURMOI et le MOI expliquerait le besoin de punition conduisant un homme au suicide. Ceci avait été démontré par Freud dans « Deuil et mélancolie » où le sadisme en se tournant vers l’intérieur peut passer de l’objet perdu au MOI, reliant ainsi l’impulsion criminelle au suicide [27]. Le suicide devient pour le psychanalyste, malgré l’aspect volontaire de l’acte, le résultat d’un processus psychique inconscient.
Approche Sociologique du suicide
Durkheim rattache le suicide à des causes exogènes et sociales [1]. Le Suicide qui reste une référence en matière de sociologie. Il y distingue, selon la cause le suicide égoïste, le suicide altruiste et le suicide anomique. Le suicide égoïste C’est le suicide de l’individu en tant que tel, vivant dans un certain état d’indépendance et de liberté sociale. L’individu met sa personnalité au-dessus de la conscience sociale. Sa vie, il en dispose comme il veut et la moindre contrariété, le moindre choc affectif peut l’amener à la quitter délibérément. Certaines formes d’organisations sociales comme la famille, la société religieuse, préserveraient de ce suicide. Le suicide altruiste C’est l’opposé du suicide égoïste. L’individuation est insuffisante, le sujet en fusion dans sa société. Il n’existe que la personnalité du groupe et la conscience collective. C’est l’apanage des sociétés primitives. C’est le suicide obligatoire de l’homme au seuil de la vieillesse, de l’épouse à la mort de l’époux, du serviteur à la mort du maître. Le suicide anomique Il pourrait être appelé suicide situationnel. L’action régulatrice de la société sur les sentiments et les conduites des hommes sont contrariées par des bouleversements brusques, amenant des transformations radicales. Ce sont les grandes crises économiques en particulier, créant ce que Durkheim appelle en 1897 « l’état d’anomie », qui engendre un esprit de rébellion, d’indiscipline par rapport à l’ordre établi [1]. C’est le suicide des hommes d’affaires, des hommes politiques. Entre ces trois catégories, toutes les combinaisons sont possibles. Certaines cultures ont une position assez ambiguë sur la question. Au Japon, « celui qui ne peut plus choisir de vivre décemment peut choisir de mourir décemment ». Ou encore en Chine « celui qui sauve le suicidant sera responsable de lui durant le reste de ses jours ». Au Sénégal, le suicide est encore fortement lié au sentiment d’honneur [29 ; 30]. La tradition populaire, par la voix des griots, chante encore certains suicides que l’on peut retrouver dans des écrits modernes: le suicide collectif des femmes du village de « Nder » [29] ou encore l’épopée de Yacine Boubou
Approche Biologique du Suicide
Les modifications biologiques enregistrées chez les suicidants et les suicidés posent le problème de leur non spécificité et de leur lien de causalité avec le suicide, ce qui a conduit de nombreux auteurs à s’il existait « des précurseurs ou des marqueurs » biologiques qui auraient valeur de facteurs prédictifs ? Ou s’il s’agissait simplement des témoins d’une modification associée ? Malgré plusieurs controverses sur cette approche, nous signalons que selon certains auteurs comme Agren [31], la découverte d’un taux bas de 5 acide hydroxyindolacétique (5 HIAA) dans les cerveaux de certains sujets suicidés ou suicidants seraient en cause. Cette hypothèse ne semble pas partagée par Traskman [32] qui pense que l’anomalie du 5 HIAA témoigne plus de « la vulnérabilité accrue à un risque de perturbation psychiatrique et de conduite suicidaire, par manque de contrôle de l’agressivité ». Par ailleurs d’autres facteurs comme l’abaissement de l’activité de la mono-aminooxydase seraient incriminés comme facteur constitutionnel rendant les individus vulnérables aux abus d’alcool et à la conduite suicidaire. La réduction des sites de liaison à l’imipramine a aussi été mise en évidence dans le cortex frontal de sujets suicidés [33]. Une élévation importante de l’activité de la Créatinine Kinase Sérique a été objectivée chez certains suicidés et suicidants par le feu [34]. En revanche, malgré les avancés sur le sujet, il n’existe pas pour le moment un consensus sur cette approche biologique du suicide malgré les multitudes hypothèses explicatives.
Approche psycho dynamiques des tentatives de suicide
Il semble évident de déclarer que quelqu’un qui tente de se suicider désire mourir. La contrainte existe sans doute dans tout acte suicidaire, mais elle est interne et inconsciente. Le sujet, à un certain moment, se sent poussé à mettre sa vie en jeu. Ce n’est pas une contrainte qu’il ressent comme telle, comme une obligation, mais c’est son fonctionnement mental tout entier qui est contraint. Il n’a plus la possibilité de penser que dans un seul sens, toutes ses pensées sont orientées vers une représentation de lui-même très négative, comme si toutes les valeurs qu’il se reconnaissait habituellement étaient détruites sans avenir [35]. Cette altération de la représentation de soi appartient à un mode d’être infantile où le sujet est engagé tout entier dans le lien à l’objet. Les réactions d’auto-agression et d’autopunition sont très fréquentes chez l’enfant quand il estime qu’il n’est pas aimé comme il devait l’être. En fait il ne s’agit pas de n’importe quelle sorte d’amour, il s’agit de l’amour-possession, exclusif et omnipotent où la réalité de l’autre est totalement déniée. L’acte suicidaire surgit le plus souvent après une période plus ou moins longue de régression provoquée par un conflit avec l’objet d’amour, qu’il s’agisse d’une personne réelle ou d’un objet purement interne, il a toujours pour caractéristique d’être un objet à fonction narcissique majeure. Mais toujours s’agit-il d’une situation où l’échec provoque chez un sujet une diminution importante et douloureuse de l’estime qu’il a pour lui-même. Ce type de relation d’objet narcissique n’a pas en soi de caractère pathologique, car personne ne peut entièrement s’en passer.
ACRONYMES ET ABREVIATIONS |