TD : Normes et déviance – l’exemple de l’interruption volontaire de grossesse – Corrigé
Problématique : Comment la sanction contre l’IVG a-t-elle été abandonnée ?
Quelles étaient les sanctions contre l’IVG ?
v Des sanctions juridiques
Document 1 : histoire des sanctions contre l’IVG
En 1920, l’Assemblée Nationale vote une loi interdisant l’avortement et la contraception, qui ne cessera d’être renforcée par la suite.
En France, la loi de 1920 assimile la contraception à l’avortement. Toute propagande anticonceptionnelle est interdite. Le crime d’avortement est passible de la cour d’Assises. En 1923, l’importation d’articles anticonceptionnels est prohibée. Les jurys populaires se montrant trop favorables aux inculpé-e-s, l’avortement est désormais jugé en Correctionnelle.
La loi de 1939, qui promulgue le Code de la famille, renforce la répression. Des sections spéciales de policiers sont créées. Les tentatives sont punies comme les avortements. Les avorteurs sont très sévèrement condamnés. En 1941, ils peuvent être déférés devant le tribunal d’État. En 1942, l’avortement devient crime d’État. Pour l’exemple, une avorteuse est condamnée à mort et guillotinée en 1943. Plus de 15 000 condamnations à des peines diverses sont prononcées jusqu’à la Libération.
La Libération ne remet pas en question l’arsenal législatif répressif, avec son corollaire de décès ou de mutilations provoqués par les avortements clandestins. Les procès auront lieu contre les avortées et leurs complices jusqu’aux années 1970. Toutefois, avocats et juges n’appliquent plus la loi dans toute sa rigueur.
Source : https://www.clicours.com/
Q1/ Quelle est la différence entre un délit et un crime ? Comment l’avortement était-il considéré avant 1975 ?
Un délit est une infraction à la loi, punie d’une peine correctionnelle. Par exemple, le vol est un délit, qui entraîne une peine, et une réparation (amende). Un crime est plus grave : c’est une atteinte à la personne (meurtre, viol) et il est théoriquement jugé à la cour d’Assises. Avant 1975, l’avortement était un crime.
Q2/ Quelle était la peine maximale encourue pour un avortement ?
Peine de mort pour les avorteuses
v Des sanctions sociales
Document 2 : extraits de « l’événement » d’ Annie Ernaux.
Extrait n°1 :
Dans l’impossibilité absolue d’imaginer qu’un jour les femmes puissent décider d’avorter librement. Et, comme d’habitude, il était impossible de déterminer si l’avortement était interdit parce que c’était mal, ou si c’était mal parce que c’était interdit. On jugeait par rapport à la loi, on ne jugeait pas la loi.
Extrait n°2
Le samedi, je retournais chez mes parents. La dissimulation de ma situation ne me coûtait pas ressortissant à l’état de nos relations depuis mon adolescence. Ma mère appartenait à la génération d’avant-guerre, celle du péché et de la honte sexuelle. J’étais sûre que ses croyances étaient intangibles et ma capacité à les endurer n’avait d’égale que la sienne à se persuader que je les partageais. Comme la plupart des parents les miens s’imaginaient détecter infailliblement au premier coup d’œil le moindre signe de dérive. Pour les rassurer, il suffisait d’aller les voir régulièrement, avec le sourire et avec un visage lisse, apporter son linge sale et remporter des provisions. Un lundi, je suis revenue de chez eux avec une paire d’aiguilles à tricoter que j’avais acheté un été pour me faire une veste restée inachevée. De grandes aiguilles bleu électrique. Je n’avais pas de solutions, j’avais décidé d’agir seule.
Extrait n°3
L’auteure vient de se faire poser une sonde clandestinement pour provoquer l’avortement. Face à sa douleur, elle appelle son médecin. A demi-mots, elle lui avoue son acte. Celui-ci lui donne le nom d’un médicament anti-douleurs mais refuse de lui prescrire.
Je suis entrée dans la pharmacie la plus proche en face du métro Paul pour acheter le médicament du Dr. N. C’était une femme : « Vous avez une ordonnance ? On ne peut pas vous le donner sans ordonnance ». Je me tenais au milieu de la pharmacie. Derrière le comptoir, deux ou trois pharmaciens en blouse blanche me regardaient. L’absence d’ordonnance signalait ma culpabilité. J’avais l’impression qu’il voyait ma sonde à travers mes vêtements. C’est là des moments où j’ai été le plus désespérée.
Extrait n°4
L’auteure finit par avorter clandestinement dans sa chambre étudiante seule. Elle perd beaucoup de sang. Une amie appelle alors le médecin de garde. Voici sa réaction :
Il s’est assis sur mon lit et il m’a saisi le menton : « pourquoi as-tu fait ça ? Comment as-tu fait ça, réponds ! ». Il me fixait avec des yeux étincelants. Je lui suppliais de ne pas me laisser mourir. « Regarde-moi ! Jure-moi que tu ne le feras plus ! Jamais ! » A cause de ses yeux fous, j’ai cru qu’il était capable de me laisser mourir si je ne jurais pas. Il a sorti son bloc d’ordonnances, « tu vas aller à l’Hôtel-Dieu ». J’ai dit que je préférerais aller dans une clinique. Fermement, il a répété « à l’Hôtel-Dieu » me signifiant que la seule place d’une fille comme moi était à l’hôpital. Il m’a demandé de lui payer la visite. Je ne pouvais pas me lever, il a ouvert le tiroir de mon bureau et il a pris l’argent dans mon porte-monnaie.
Q1/ Les parents d’A. Ernaux envisagent-ils que leur fille puisse être enceinte ?
Pour les parents d’A. Ernaux, un avortement n’est même pas envisageable, vu qu’ils ne pensent même pas qu’elle puisse être enceinte sans être mariée. Il n’est donc pas difficile de leur cacher la situation, parce qu’ils ne l’envisagent pas comme possible. Ceci nous montre que la première sanction, c’est l’invisibilité de l’acte : le fait qu’on ne puisse pas en parler, que l’on considère qu’il n’existe pas.