Contribution à la connaissance de la diversité et de la dynamique spatiotemporelle des cyanophytes et microalgues marines
TAXONOMIE ET DIVERSITE
Taxonomie des Cyanophytes
La classification des cyanophytes a été modifiée de nombreuses fois par Geitler (1932), Frisch (1945), Desikachary (1956), Drouet & Daily (1956), Starmach (1966), Drouet (1968, 1978, 1981) et Bourelly (1985). Plus récemment, on a une approche moderne du système de classification incluant des données moléculaires et adoptée par Anagnostidis & Komárek (1988, 1990), Komárek & Anagnostidis (1989, 1998, 2005) et Hoffman et al. (2005). Et comme le signale Anagnostidis (2001), beaucoup de genres ont été divisés, nouvellement décrits et de nombreuses espèces ont été transférées dans des entités génériques, caractérisés sur la base moléculaire, écologique et de critères morphologiques révisés. Mais dans tous les cas, les noms de genres et d‟espèces utilisés pour l‟identification et la systématique sont ceux empruntés à la botanique (Briand, 2008). Au cours de cette étude nous allons suivre la classification de Komárek & Hauer (2011) qui est une synthèse de ces différents travaux. Ils se sont basés sur les travaux de Komárek (1992) complétés par ceux de Geitler (1932), Desikachary (1956), Starmach (1966), Drouet (1968, 1978, 1981), Bourelly (1985) et de Hoffman et al. (2005). Le phylum des Cyanophyta ne comprend qu‟une seule classe, celle des Cyanophyceae.
Taxonomie des microalgues
Comme les cyanophytes, la classification des microalgues diffère selon les auteurs. Plusieurs types de classification subdivisent les microalgues en plusieurs phylums ou divisions ; elles sont basées sur la couleur des chloroplastes, elle-même déterminée par les pigments plus ou moins abondants accompagnant la chlorophylle, mais également sur la structure des membranes, la biochimie des réserves (Ozenda, 1990). En 1960, Chadefaud & Emberger les regroupent en 3 embranchements (Rhodophycophytes ou algues rouges, les Chromophycophytes ou algues brunes et les Chlorophycophytes ou algues vertes) tandis que Bourrelly (1966) les a subdivisées en 5 embranchements que sont les Rhodophytes, les Chrysophytes, les Phéophytes, les Pyrrophytes (aux quelles se rattachent les Euglénophycées, et les Chloromonadophycées) et les Chlorophytes. De Reviers (2003) les classe en 6 embranchements (Rhodophyta, Chlorophyta, Cryptophyta, Heterocontophyta, Euglenophyta et Dinophyta). Pour les microalgues, nous allons suivre la classification de Tomas (1997) qui prend en compte les microalgues marines avec les phylums des Bacillariophyta, des Chlorophyta (Euglenophytes inclues), des Chromophyta et des Dinophyta. Phylum des Bacillariophyta Les Bacillariophyta ou diatomées sont des algues unicellulaires ou coloniales qui possèdent les chlorophylles a et c, du β carotène et des xanthophylles (Bourrelly, 1981) mais qui sont 9 surtout caractérisées par la présence d’une capsule protectrice siliceuse, le frustule. Celui-ci est constitué de deux parties emboîtées l’une dans l’autre. Ces deux éléments sont ornés de fines sculptures, de pores, d’aiguillons, d’épines, etc. La classification est essentiellement basée sur la morphologie et sur la structure du frustule, la forme et le mode d’accrochage des colonies, les plastes, etc (Fig.2). Pour ce phylum, nous allons suivre la classification de Round et al. (1990) qui l‟ont subdivisé en trois classes : les Coscinodiscophyceae, les Fragilariophyceae et les Bacillariophyceae. 10 Figure 2 : Structure des diatomées (d‟après Paulmier, 1997) A : Centrale en vue connective montrant les 2 parties du frustule. B-C : Centrales en vue valvaire. D-E : Centrales en vue connective. F : Pennale en vue valvaire. G : Pennale en vue connective, cellule avec septum. H : Pennale en vue valvaire. I : Pennale en vue cingulaire étroite ou apicale. Phylum des Dinophyta (ou Pyrrophyta) Les Dinophytes ou Péridiniens sont des microorganismes unicellulaires dont les formes typiques sont revêtues d‟une carapace de plaques cellulosiques (Fig. 3). Certaines sont coloniales, d‟autres filamenteuses. (Ozenda, 1990). Les formes mobiles possèdent deux fouets : l‟un ondulant dans un sillon équatorial (cingulum) et l‟autre dans un sillon longitudinal (sulcus) perpendiculaire au précédent (Iltis, 1980). La carapace est souvent ornée de prolongements en cornes ou en ailes (Ozenda, 1990). Ils contiennent des chlorophylles a et c. L‟hydrate de carbone de réserve est l‟amidon synthétisé à l‟extérieur du plaste. Les Dinophytes sont majoritairement marines. Figure 3 : Structure d‟une cellule de dinophyte (d‟après Fensome et al., 1996) Deux classes forment ce phylum. Les Dinophyceae regroupent les représentants les plus primitifs des Dinoflagellées, avec des flagelles insérés au niveau de l‟apex ; on y trouve aussi bien les espèces à cellules « nues » ou à thèque primitive que celles avec vraie thèque. Les Desmophyceae regroupent les espèces avec des flagelles insérés latéralement (Steidinger & Tangen, 1997). Phylum des Chlorophyta Ces organismes sont pourvus de chlorophylles a et b et des chloroplastes verts avec une structure granulaire ou lamellaires Throndsen (1997) ; Les formes unicellulaires peuvent être flagellées ou immobiles ; les flagellées ont généralement deux flagelles de même taille, parfois 4 ou un multiple de 4, insérés à l’apex de la cellule (Bourrelly, 1973). 12 On y rencontre les classes des Chlorophyceae, des Prasinophyceae et des Euglenophyceae. Phylum des Chromophyta Cette division ou phylum renferme des espèces possèdant la chlorophylle a et dépourvues de chlorophylle b. Les chloroplastes sont de couleur vert jaunâtre, d’or, bleu, ou rouge avec des lames (Throndsen, 1997). Les principales classes sont les Cryptophyceae, les Chrysophyceae, les Dictyochophyceae, les Prymnesiophyceae et les Raphidophyceae.
Diversité
Les microalgues sont estimées entre 474-504 genres regroupant 3444 à 4375 espèces selon les auteurs mais ces chiffres augmentent au gré des découvertes (ird.nc/BASE/BIODIVERSITE, 2004). Les Cyanophycées regroupent 124 à 150 genres pour 2000 à 2500 espèces (Anagnostidis & Komarek, 1985, 1988 et 1990 ; Komarek & Anagnostidis, 1986, 1989, 1998, 2005 ; Komarek et al., 2003 ; Levy et al., 2006). Le nombre d‟espèces phytoplanctoniques marines a été estimé à 3910 ± 465 espèces, réparties en 489 ± 15 genres (Sournia et al. 1991a). Ce nombre peut paraître faible par rapport au nombre d‟espèces dulçaquicoles estimé à 14900 par Bourrelly (1985). Le phytoplancton marin est essentiellement constitué par des diatomées (164 genres et1365 à 1783 espèces) et des dinoflagellés (115 à 131 genres et 1424 à 1772 espèces). En Afrique de l‟Ouest, les études ont plus porté sur les cyanophytes et microalgues d‟eau douce. Il s‟agit de celles de Zongo & Guinko (1999a, b) et de Zongo et al. (2008) au Burkina Faso, de Konan et al. (2012) et de Ouattara et al. (2000) en Côte d‟Ivoire, de Bourrelly (1961, 1975) et de Frémy (1945) en Guinée. Les diatomées ont été aussi beaucoup étudiées en Gambie par Foged (1986), en Sierra Léone par Carter & Denny (1982, 1987, 1992) et Mölder (1962), au Ghana par Foged (1966) et en Mauritanie par D‟Hollander & Caljon (1978). Au Sénégal, les diatomées ont été étudiées par Guermeur (1954) et celles fossiles par Sow & Diène (2002), Sow (2004), et Sow et al. (2005, 2006a, b). Les autres études réalisées ont porté essentiellement sur les milieux d‟eau douce ; ce sont celles de De Poucques (1956), de Dia & Reynaud (1982), de Compère (1991), de Cogels & Gac (1995), de Carlbro (1999), de Berger et al. (2005), de Ba et al. (2006) et de Gueye et al. (2013). Ces travaux en milieux d‟eau douce et saumâtre ont permis de noter la présence de 125 espèces de Cyanophytes réparties en 30 genres et de 648 espèces de microalgues regroupées dans 166 genres (MEDD, 2014). En milieu marin, les seuls travaux menés sont ceux de Formorel (1898) et d‟Amossé (1970) sur les diatomées et ceux de Dia (1983) sur la biologie et la biomasse du phytoplancton. Cependant, le nombre exact de cyanophytes et microalgues au Sénégal n‟est pas connu. Ba & Noba (2001), en faisant l‟inventaire de l‟ensemble des espèces végétales au Sénégal, ont donné le nombre d‟algues sans pour autant différencier les macros des microalgues.
DYNAMIQUE SPATIOTEMPORELLE DES CYANOPHYTES ET MICROALGUES EN MILIEU AQUATIQUE
La plupart des cyanophytes et des microalgues vivent en milieu aquatique. Elles se rencontrent dans les eaux douces, marines ou saumâtres. Les espèces microscopiques qui, passives ou douées de faible mobilité, se maintiennent en flottaison constituent le phytoplancton (Gayral, 1975). Les espèces fixées ou libres, vivant sur le fond ou près des rives sont groupées sous le vocable de périphyton (Iltis, 1980). L‟importance des microalgues et cyanophytes dans le milieu aquatique est due à leur situation à la base du cycle biologique existant dans l‟eau (Iltis, 1980). En effet, ces organismes jouent un rôle primordial, aussi bien en milieu marin que dans les eaux douces car ils constituent le premier maillon du réseau trophique dans la voie herbivore dont l‟établissement conditionne l‟équilibre biologique du domaine aquatique (Gayral, 1975). Trop souvent, seule la composante pélagique est prise en compte, tandis que la composante benthique est ignorée. Des études récentes ont montré l‟importance de la contribution de la production primaire benthique (microphytobenthos). Celle-ci pourrait contribuer jusqu‟à 40 % des besoins nutritionnels de la faune benthique et en particulier des espèces d‟intérêt commercial (coquille Saint Jacques, huîtres..). Par son activité photosynthétique, elle régule aussi la concentration d‟oxygène et les flux de nutriments à l‟interface eau-sédiment avec des répercussions importantes sur leur disponibilité pour le phytoplancton dans la colonne d‟eau, et donc sur la production pélagique (Paulmier, 1993). La plupart des organismes marins dépendent directement ou par le biais de stades intermédiaires, de la productivité primaire. C‟est le cas de beaucoup de bivalves commerciaux ou non et des stades larvaires ou juvéniles de beaucoup de poissons et grands crustacés, durant leur phase planctonique pendant laquelle leur développement se fait soit directement aux dépends des microphytes pélagiques ou microphytobenthiques, soit aux dépens du microzooplancton qui s‟en nourrit. Il apparaît donc que les potentialités nutritives du milieu peuvent avoir un impact sur la production halieutique ou aquacole et contribuer à l‟explication de leur variabilité (Paulmier, 1993). Cette production primaire en milieu marin est l‟un des processus moteurs des transferts de dioxyde de carbone entre les «compartiments» océanique et atmosphérique ; elle est contrôlée par des facteurs physiques dont les «effets biologiques» s‟observent à différentes échelles. Les eaux côtières sont également soumises aux cycles saisonniers de variation thermique et photopériodique, ainsi qu‟aux variations saisonnières de la profondeur de la couche de mélange, mais de nombreux autres facteurs peuvent également influer sur le développement des populations phytoplanctoniques (e.g. upwellings côtiers, fronts de marée, apports d‟eau douce). Ainsi, la dynamique spatio-temporelle des populations de cyanophytes er microalgues est contrôlée par l‟interaction de paramètres hydrodynamiques, physico-chimiques et biologiques (Gailhard, 2003) dont l‟importance relative sur la succession des assemblages est difficile à évaluer (Hallegraeff & Reid, 1986). La variété des taxons présents dans un prélèvement, leur assemblage, la présence ou l‟absence de groupes sensibles aux pollutions par exemple, donnent une indication sur la qualité des milieux. Ainsi, Blandin (1986) a donné au terme bio-indicateur la définition suivante : « un indicateur biologique (ou bio-indicateur) est un organisme ou un ensemble d‟organismes qui – par référence à des variables biochimiques, cytologiques, physiologiques, éthologiques ou écologiques – permet, de façon pratique et sûre, de caractériser l‟état d‟un écosystème ou d‟un écocomplexe et de mettre en évidence aussi précocement que possible leurs modifications, naturelles ou provoquées ». Très peu d‟études sur la dynamique spatiotemporelle des cyanophytes et microalgues ont été réalisées au Sénégal. En milieu d‟eau douce, Sané (2006) a étudié la caractérisation des différentes variables hydrobiologiques et leurs effets sur le développement du phytoplancton et l‟apparition d‟efflorescences algales au niveau du Lac de Guiers ; Ba (2006) a également étudié les variations temporelles du phytoplancton au niveau du Lac de Guiers. En milieu marin, seul Dia (1983) a effectué, entre Dakar et Joal, une étude échelonnée sur un cycle annuel pour observer les variations saisonnières qualitatives et quantitatives du phytoplancton des zones côtières.
INTERETS ET NUISANCES DES CYANOPHYTES ET MICROALGUES EN MILIEU AQUATIQUE I
Intérêts des cyanophytes et microalgues
En dehors de leur rôle dans le milieu aquatique, les espèces de cyanophytes et de microalgues ont des usages multiples mais d‟intérêt inégal.
Dans le milieu aquatique
L‟importance des cyanophytes et microalgues dans le milieu aquatique est due à leur situation à la base du cycle biologique existant dans l‟eau. En effet, ces organismes jouent un rôle primordial, car ils constituent le premier maillon de la chaine alimentaire dont l‟établissement conditionne l‟équilibre biologique du domaine aquatique. Elles représentent le moteur principal de la production aquatique. Le phytoplancton constitue aussi un très bon indicateur biologique de pollution des eaux douces. Une bonne connaissance du phytoplancton existant permet donc une appréciation sur la qualité de l‟eau et sa valeur pour la production piscicole. Dans les régions tempérées, les eaux les plus pures sont peuplées par des Rhodophycées, mais sont envahies par des Cyanophytes, puis des Euglénophytes lorsque le milieu devient plus eutrophes.
Dans l’alimentation
Au Tchad, la cyanophycée Oscillatoria platensis, est récoltée dans les mares natronées situées au nord du lac Tchad où elle se développe en masse (Iltis, 1980). En Europe, des cultures semi-industrielles ont été tentées avec les microalgues des genres Chlorella, Scenedesmus, 15 Oscillatoria en vue d‟obtenir des produits riches en protéines utilisables soit directement pour l‟alimentation humaine, soit pour le nourrissage de la volaille ou du bétail. Notons aussi que depuis quelques temps la spiruline est très utilisée dans le domaine de la production agroalimentaire. Elle est commercialisée sous forme de complément alimentaire riche en protéines et en vitamines.
Dans l’industrie
Les carapaces siliceuses de Diatomées ont constitué dans certains sédiments des couches d‟une roche friable, la diatomite, utilisée comme poudre abrasive, ou comme support de la nitroglycérine dans la dynamite. Le biodiésel algal obtenu par la culture de microalgues est aujourd‟hui candidat sérieux dans la recherche de sources énergétiques renouvelables et de biocarburants. Cela est dû à la forte teneur en lipides de certaines espèces. Un nombre croissant de sociétés sont intéressées par la production de microalgues car de nombreux métabolites peuvent être purifiés : vitamines, colorants, acides gras, phospholipides, enzymes, hydrocarbures, polysaccharides, toxines, antibiotiques, inhibiteurs d’enzymes… Ces produits sont destinés à l’alimentation, la cosmétologie, et la pharmacie. Les résidus d’extraction peuvent être valorisés par la production de méthane ou d’alcool.
Dans l’aquaculture
En aquaculture dite extensive, le grossissement des animaux repose entièrement sur les ressources présentes dans le milieu aquatique, c’est à dire essentiellement sur le plancton. L’une des meilleures valorisations de la production primaire de l’océan est assurée par des Mollusques tels que les huîtres (154 000 t vendues en France en 2001), les moules (80 000 t), les coques et les palourdes (5500 t). La chaîne phytoplancton-Mollusques étant courte, sans intermédiaires, est d’un bon rendement. Le verdissement des huîtres de Marennes est dû à l’absorption par les branchies d’un pigment vert que rejette une espèce de Diatomée (Haslea ostrearia) présente dans les claires. Les étendues lagunaires présentant un fort potentiel de production, diverses espèces de Poissons y sont élevées. C’est le cas par exemple du milkfish, Poisson phytophage dont il est produit en Asie près de 150 000 tonnes par an dans des lagunes communiquant avec la mer et dont la surface totale avoisine 300 000 hectares. L’alimentation, éventuellement des géniteurs, puis des larves obtenues et des postlarvesnécessite de disposer de proies vivantes dont la taille corresponde à celle de la bouche des larves. Les cultures monospécifiques (une seule espèce) de microalgues et de microinvertébrés constituent des sources de nourriture satisfaisantes pour les larves de poissons et d’invertébrés. La culture d‟espèces sélectionnées de diverses microalgues et de Diatomées permet d‟obtenir des productions continues et d‟améliorer leur valeur nutritionnelle ainsi que leur capacité à inhiber d’éventuelles proliférations microbiennes.
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