Systèmes financiers et croissance économique
Caractéristiques et logiques des systèmes financiers
Caractéristiques et logique du système de marché des capitaux Dans une économie de marchés financiers (ou de finance directe), l’essentiel des besoins de financement est couvert par l’émission par les entreprises de titres financiers (actions, obligations, billets de trésorerie) souscrits par les investisseurs. • Caractéristiques du système de marché : le système de marché a quatre caractéristiques principales qui sont interdépendantes et difficilement séparables dans la mesure où chaque caractéristique implique les autres. D’abord, l’intégration des différents compartiments des marchés de capitaux est très forte. Il existe un menu d’actifs ayant un degré de substituabilité élevé compte tenu de la liquidité élevée des marchés ; ce qui permet de passer du court au long terme, sans terme et sans difficulté. Ensuite, les taux d’intérêt sont de véritables taux de marché. Le degré d’intégration entre les compartiments implique que le taux d’intérêt global est luimême représentatif de la confrontation entre capacité et besoin de financement de l’ensemble de l’économie. Puis, les économies de marchés de capitaux se caractérisent par l’existence d’importants déficits budgétaires des Etats. Le Trésor public ne peut couvrir son déficit que par émission de titres dans le public. Ainsi, la forme de l’endettement du Trésor assure la liquidité des marchés par le volume très élevé de titres publics en circulation. Enfin, les banques ont une place prépondérante dans ce type d’économie en tant que partenaires des agents non financiers : transformation des échéances (emprunts courts et prêts longs). La structure du bilan des banques montre une grande place des titres à l’actif et des dépôts au passif. En ce qui concerne la logique du système de marché, les entreprises sont soumises à une évaluation publique qui rassemble et coordonne les opinions de la plus large communauté d’investisseurs potentiels. • Logique du système de marché : l’évaluation publique de marché consiste à avoir une opinion collective sur des profits futurs qui ne sont pas exempts d’incertitudes. La valeur fondamentale, c’est-à-dire la valeur actualisée des profits, apparaît comme étant l’opinion collective du marché. Elle n’est pas une réalité objective préexistante ; c’est un processus interne de coordination à partir des opinions individuelles les plus diverses permettant d’aboutir à une évaluation publique. La logique du système de marché apparaît ainsi comme une logique d’homogénéisation (Orléans, 1999). Le prix de marché et sa variation résultent des comportements stratégiques et spéculatifs des opérateurs du marché. Cependant, la coordination ne fonctionne pas toujours. Il y a des situations économiques où se déclenchent des interactions stratégiques telles que la dynamique des prix se dissocie de toute considération sur la valeur fondamentale (Aglietta, 2001). Le marché réagit à des informations qu’il tire lui-même des actions de ses participants. La logique d’homogénéisation portée par les marchés se trouve aussi dans le traitement des risques. La gestion individuelle des risques a des conséquences importantes pour l’économie globale. En effet, certains investissements ne sont profitables que si les risques associés peuvent être transférés à d’autres agents économiques. Les produits dérivés sont des instruments de transfert du risque, qui ne peuvent évaluer que des risques connus. Le principe général qui guide l’essor des produits dérivés est la désagrégation des risques (Sharpe, 1995). Un risque complexe est considéré comme une articulation de risques élémentaires qu’il est possible de 78 Chapitre 3. Systèmes financiers et croissance économique :une analyse comparative dissocier. Pour ce faire, on doit concevoir des contrats élémentaires qui permettent aux agents économiques de décider quel type de risque ils veulent assumer et à quel degré. Les produits dérivés sont de tels contrats. Ils comprennent les contrats à terme et les contrats d’option. Il est important de remarquer qu’en dissociant et en recomposant les risques des activités économiques sous-jacentes, les marchés dérivés en créent de nouveaux. Ce sont des marchés secondaires où ces produits sont eux-mêmes négociés.
Caractéristiques et logique du système de banques ou d’intermédiation financière
Dans une économie basée sur les banques ou une économie d’endettement (ou finance indirecte), une faible part des besoins des entreprises est financée par émission de titres financiers. L’ajustement entre besoin de financement et capacité de financement des secteurs de l’économie est principalement assuré par les intermédiaires financiers à travers l’intermédiation monétaire, c’est-à-dire par le crédit bancaire créateur de monnaie. Les entreprises sont donc fortement endettées auprès des banques qui, à leur tour, se refinancent auprès de la banque centrale qui assure la fonction de prêteur en dernier ressort. • Caractéristiques du système de banques : le système financier a cinq caractéristiques principales qui sont ci-après énumérées. Premièrement, les marchés de capitaux sont peu développés et le degré d’intégration entre les compartiments est faible. Contrairement à l’économie des marchés de capitaux, le menu d’actifs financiers est insuffisamment important, la diversité des intervenants est réduite et les marchés moins liquides pour assurer un passage aisé entre le court et le long terme. Deuxièmement, le Trésor a un circuit propre, ce qui implique que son endettement ne se traduit pas par des émissions corrélatives de titres auprès du public. Troisièmement, la structure de bilan des banques, qui prédominent dans cette économie, est différente de l’économie des marchés de capitaux : d’une part, faible part des titres à l’actif, mais prépondérance des crédits bancaires aux entreprises et, d’autre part, aux dépôts se rajoute au passif le refinancement structurel auprès de la banque centrale. La gestion du passif (liability management) de l’économie de marché, c’est-à-dire la gestion de la trésorerie par émission de titres négociables 79 Chapitre 3. Systèmes financiers et croissance économique :une analyse comparative courts (certificats de dépôts), est exclue, faute de développement suffisant des marchés de capitaux (marché monétaire). Quatrièmement, le taux d’intérêt n’est pas un taux de marché. Il correspond au taux de crédit pratiqué par les banques. Un tel taux repose sur le comportement de maximisation du profit d’exploitation (intérêts reçus moins intérêts versés moins coûts d’exploitation). Le taux d’intérêt dépend du taux de refinancement, du coût des ressources rémunérées et des coûts unitaires d’exploitation. Par conséquent, les taux d’intérêts débiteurs dépendent surtout de ce qui constitue pour la banque le coût du crédit et seulement marginalement des variations de demandes de fonds. Cinquièmement, la banque centrale est le premier facteur constitutif de l’économie d’endettement. Elle assure le besoin de refinancement des banques et, audelà, de l’économie. • Logique du système de banques : la logique du système de banques est la spécificité. En effet le crédit bancaire, qui est un ensemble de relations bilatérales entre une banque et ses emprunteurs, est octroyé après un examen de la demande par les services spécialisés de chaque banque selon ses propres méthodes. La banque discrimine entre les projets à financer. La discrimination passe par une étude ex-ante des caractéristiques du projet et de l’entrepreneur qui le propose. Le risque porté par un crédit bancaire est un risque complexe composé d’éléments liés à la personnalité des débiteurs, à leurs secteurs d’activité, à la l’évolution d’ensemble de l’activité économique et des taux d’intérêt. Les banques, en inscrivant ces crédits au bilan, portent la totalité de ce risque complexe. Il y a donc un lien étroit entre le financement d’actifs spécifiques, l’évaluation privative des projets par les banques et le caractère indécomposable du risque (Aglietta, 2001). A la différence de la logique d’homogénéisation où la gestion du risque consiste à le décomposer en risques élémentaires, la logique de spécificité bancaire concerne les risques que les banques ne peuvent pas ou ne veulent pas désagréger en risques élémentaires, regrouper en classes homogènes et transférer à d’autres sous forme d’agencements de titres et de contrats dérivés. Il faut alors que les banques gèrent les risques complexes qu’elles ont décidé d’assumer. Pour ce faire, elles doivent surveiller la gestion et les résultats de l’entreprise (ne serait-ce que pour vérifier que le financement accordé est bien investi 80 Chapitre 3. Systèmes financiers et croissance économique :une analyse comparative dans le projet en question). Mais la surveillance est coûteuse (en temps personnel, en salaires éventuels, en déplacements, etc.) et minimise ainsi le cash-flow net tiré des dividendes perçus sur le projet. Une manière d’inciter l’entrepreneur à dire la vérité est de passer avec lui un contrat de financement dit contrat de dette qui fixe à l’avance le rendement à verser et ce quels que soient les résultats du projet. Pour inciter les entrepreneurs emprunteurs à payer lorsque le projet le permet, on assortit l’exigence de rendement certain d’une pénalité qu’ils vont supporter personnellement en cas de « fraude » (éviction du projet, ruine de leur réputation, voire emprisonnement). Ce type de contrat réduit les besoins de contrôle de la part de l’investisseur prêteur dans la mesure où il permet de minimiser les tentations de fraude par l’entrepreneur et, par conséquent, de minimiser les coûts d’informations sur le projet.