Systèmes de mesure du mouvement de préhension

Mesure du mouvement

La mesure du mouvement intéresse des domaines aussi variés que la médecine, la robotique, la biomécanique, les neurosciences, l’ergonomie, la réalité virtuelle ou encore le sport (Allard & Blanchi, 1999). Dans ce contexte, la biomécanique applique les lois fondamentales de la mécanique à l’Homme à travers l’analyse de l’évolution spatio-temporelle des segments corporels. Pour cela, elle nécessite des techniques d’investigation de plus en plus précises et performantes afin de mesurer et comparer des mouvements complexes.

Rappels historiques

Muybridge est le premier à utiliser la photographie comme outil d’analyse du mouvement. En 1878, il utilise des clichés successifs pour caractériser la locomotion du cheval et mettre en évidence la phase de vol lors du galop (Muybridge, 1887). Il applique dès lors cette méthode pour l’étude du mouvement animal et humain (Fig. III.1) et met au point le zoopraxiscope qui permet la visualisation de courtes séquences animées à travers la vision rapide et successive des phases décomposées.
Marey et Demenÿ reprennent et améliorent les travaux de Muybridge en créant le fusil photographique en 1882. Ce dernier permet de prendre 12 vues par seconde. Avec la chronophotographie, ils utilisent les premiers marqueurs passifs constitués de bandes blanches fixées sur un vêtement noir pour « modéliser » les segments corporels (Fig. III.2) (Marey & Demenÿ, 1885).

Systèmes de mesure du mouvement de préhension

D’une manière générale, les méthodes et outils d’analyse du mouvement humain peuvent être divisées en trois catégories : l’observation visuelle, l’analyse cinématique et l’analyse dynamique (Gorce, 2000). Dans le cadre de nos travaux (caractérisation de la cinématique du membre supérieur et de la main), seul les systèmes de mesure cinématique feront l’objet d’une étude bibliographique. Cette catégorie peut-être déclinée en deux : les systèmes basés sur la mesure d’une variable articulaire (mesure directe) et ceux qui utilisent l’enregistrement visuel du mouvement (mesure indirecte).

Techniques à base de capteurs

Goniomètres

Les goniomètres permettent de mesurer la variation angulaire d’une articulation. Ils sont généralement constitués de deux branches fixées à un potentiomètre rotatif ou à un codeur optique qui traduit une variation d’angle en fonction du changement de résistance (Winter, 1990). Chaque partie est attachée à un segment alors que l’axe du goniomètre est placé sur l’axe théorique de rotation de l’articulation. La pose et l’étalonnage des goniomètres doivent être minutieux pour obtenir des mesures précises et reproductibles (Faivre, 2003). Cependant, les déplacements de peau (accentués chez la personne âgée) ainsi que la difficulté à localiser certains centres articulaires comme par exemple, celui de l’épaule peuvent induire des imprécisions de mesure et nuire à l’interprétation des résultats. Plusieurs études ont utilisé ce principe pour mesurer les limites articulaires de la main adulte (Skvarilova & Plevkova, 1996) ou encore étudier l’évolution angulaire des articulations du majeur lors de mouvements de saisie (Bendz, 1974). Dans le contexte de la préhension, des goniomètres sont employés afin d’observer l’évolution des variables angulaires dans la coordination des phases du mouvement (Abend et al., 1982; Dean & Brüwer, 1994; Gottlieb et al., 1995). Cependant, lors de conditions de saisies plus complexes, l’utilisation de goniomètre est peu fréquente et a laissé place à d’autres technologies comme l’utilisation de gants qui intègrent directement des capteurs. En effet, l’encombrement des capteurs et la présence de câbles n’est pas adaptée aux segments de petite taille (comme les doigts) et peuvent entraver les mouvements pluri-articulaires.

Capteurs électromagnétiques

Les systèmes électromagnétiques se composent d’un émetteur (appelé « source ») qui génère un champ magnétique et d’un récepteur fixé sur le segment corporel. Le signal (champ magnétique) reçu par le récepteur permet de déduire la position et l’orientation de celui-ci par rapport à l’émetteur (Raab & Blood, 1979). Un capteur par segment est nécessaire pour connaître sa position et son orientation dans l’espace (6 degrés de liberté). Ces systèmes permettent une bonne précision des mesures du mouvement dans les trois plans pour un faible encombrement (miniBird : 10 x 5 x 5 mm) ce qui est particulièrement utile pour les mouvements complexes comme la préhension (Gorce et al., 2005; Rezzoug & Gorce, 2008). De tels capteurs sont par exemple utilisés pour effectuer des mesures fines et précises des mouvements de l’épaule (Meskers et al., 1998; Meskers et al., 1999; Shimomura et al., 2000) ou plus récemment pour étudier l’implication du tronc chez les sujets présentant un trouble musculo-squelettique (Fayad et al., 2008) ou le mouvement de préhension chez les patients tétraplégiques (Jacquier-Bret et al., 2008).
En revanche, le principal défaut de ses capteurs est sa grande sensibilité aux objets métalliques qui distordent le champ magnétique (courant de Foucault) et perturbent le signal enregistré. Actuellement, la société Northern Digital propose le capteur Aurora (Ø 0,9 mm) avec un logiciel qui permet de suivre jusqu’à 10 traqueurs et détecte des perturbations électromagnétiques. De plus, la fréquence d’acquisition relativement basse (60 Hz) limite la précision des mesures pour les mouvements rapides.

Accéléromètres

Les accéléromètres détectent l’accélération subie par un solide en mouvement (Winter, 1990).. En utilisant le principe fondamental de la dynamique ( ) F ma = , ils permettent d’obtenir des valeurs de vitesse et de position par dérivations successives. Cette mesure est détectée par principe piézoélectrique, piézorésistif, à jauge de contrainte ou à variation de capacité. Pour connaître le déplacement d’un point du corps dans l’espace, l’utilisation d’accéléromètres triaxiaux composés de trois accéléromètres montés perpendiculairement les uns par rapport aux autres est nécessaire (Chaffin et al., 1999).
Le principal avantage de l’accéléromètre est qu’il possède une fréquence d’échantillonnage pouvant être très élevée (jusqu’à 1000 Hz), permettant ainsi l’observation précise de mouvements rapides ce qui est particulièrement intéressant dans l’étude de la préhension. Par contre, il présente plusieurs inconvénients qui limitent son utilisation (Dujardin et al., 1998; Nigg & Herzog, 1999) :
• Il ne permet d’étudier la cinématique que d’un seul point. Pour quantifier un déplacement articulaire, il faut donc disposer d’au moins deux accéléromètres sur chaque segment. Il en résulte ainsi des difficultés au niveau du placement des accéléromètres et de la définition géométrique de l’articulation étudiée.
• La sensibilité intrinsèque de l’accéléromètre conduit à enregistrer la moindre accélération instantanée sans déplacement important. Par conséquent, les mouvements cutanés des masses molles peuvent induire un signal parasite important qui perturbe la qualité de la mesure.
• Sa sensibilité à la pesanteur nécessite un alignement soigné avec la verticale afin de perturber au minimum la qualité des mesures.
• Comme la plupart des capteurs, la présence d’un câble peut entraver le mouvement.
• Les capteurs piézoélectriques ne permettent pas de quantifier une accélération constante (Ladin, 1995).
Dans le domaine de la préhension, les gants de données Acceleration Sensing Glove et Accele Glove utilisent des accéléromètres sur chaque doigt et le dos de la main pour caractériser les gestes de ces derniers (Perng et al., 1999). Une étude récente (Thies et al., 2006) a comparé les données issues de deux accéléromètres Xsens et Kionix et du système Vicon lors de mouvements de préhension et a conclu à une bonne reproductibilité des mesures. Les auteurs précisent que les accéléromètres ont l’avantage de pouvoir être facilement transportables à l’extérieur des laboratoires.

Gants de données

A l’origine issus du domaine de la réalité virtuelle, les gants de donnés (ou gants numériques) ont rapidement été utilisés comme des outils d’analyse des mouvements de la main. Ils permettent de mesurer les mouvements relatifs des doigts et sont généralement associés à un traqueur électromagnétique ou à ultrason qui permet de repérer la main dans l’espace. Plusieurs technologies permettent d’équiper ces gants : les systèmes à fibres optiques, les systèmes à effet hall, les systèmes à accéléromètres et les systèmes à capteurs résistifs (Fuchs et al., 2006).

Techniques à base de vision

Les techniques à base de vision permettent d’analyser le comportement par observation ou dissection informatique des images grâce à la pose de marqueurs placés sur des zones caractéristiques du mouvement (articulations, extrémités, etc…). Parmi elles, il faut distinguer les techniques qui analysent le mouvement en 2D (caméra vidéo) de celles qui permettent une analyse 3D (optoélectronique).

Caméras

L’utilisation de caméras vidéo permet l’analyse 2D des mouvements par dissection successive des images comme par exemple ceux des doigts (Nakamura et al., 1998). Cependant, le »dépouillement » des images peut s’avérer fastidieux et manquer de précision. Différents logiciels ont été conçus pour faciliter l’extraction des données issues d’images vidéo comme par exemple le logiciel Dartfish. Récemment, de nouveaux systèmes de caméra comme le système proposé par la société EyeNetics, associé au logiciel de traitement Movimento deRealviz, permettent la reconstruction 3D des mouvements à une fréquence de 250 Hz. Ceuxci offrent une plus grande flexibilité pour un coût nettement inférieur aux systèmes optoélectroniques. De plus, l’utilisation de marqueurs peut être évitée pour les zones ayant assez de contraste. Cependant, à notre connaissance, ce système n’a pas été utilisé dans l’analyse du mouvement de préhension, ni validé par rapport aux systèmes optoélectroniques. Actuellement, la vidéo est rarement utilisée au profit des systèmes optoélectroniques plus performants. Néanmoins, le recours à la vidéo peut être un bon moyen de contrôle en combinaison avec un autre système de mesure notamment pour les mouvements complexes de préhension (Bendahan et al., 2006; Rezzoug et al., 2006). Au niveau des mouvements de la main, des chercheurs ont, par exemple, travaillé sur un système de caméras permettant le suivi et la reconnaissance des contours de la main et de la position des doigts (Heap, 1995).

Systèmes optoélectroniques

De nombreux systèmes optoélectroniques sont utilisés pour l’analyse du mouvement. Ils utilisent la reconstruction stéréoscopique pour calculer les coordonnées (x, y, z) d’un marqueur à partir de coordonnées planaires (X1, Y1; X2, Y2…) issues d’au moins deux cameras (Chèze, 1993; Allard et al., 1995).
Les marqueurs peuvent être de deux types: passifs ou actifs (Gorce, 2000).
– Les marqueurs actifs sont des diodes LED (Light Emitting Diod) fixés sur des repères anatomiques ou des extrémités. Ils émettent une lumière infrarouge qui est captée par les caméras. Les principaux systèmes qui utilisent des marqueurs actifs sont les systèmes SELSPOT, WATSMART, OPTOTRACK, POLARIS. Sur ce principe, le système Visualeyez de la société Phoenix Technologies Incorporated fonctionne avec trois caméras infrarouges fixées à une poutre pouvant capturer jusqu’à 513 LED et propose en accessoire un gant permettant de suivre les mouvements de la main.
Les systèmes actifs ont l’avantage d’avoir est des caméras qui reconnaissent les marqueurs automatiquement et peuvent être suivis avec les derniers systèmes en temps réel avec une précision de l’ordre de 0,1 mm. Cependant, l’encombrement des capteurs peuvent gêner le mouvement et le nombre de marqueurs est limité.
– Les marqueurs passifs sont des boules rétro-réfléchissantes recouvertes de scotch light qui renvoient le rayon infrarouge émis par les caméras. Les principaux systèmes qui utilisent des marqueurs passifs sont les systèmes ELITE, MOTION ANALYSIS, VICON, ARIEL, CODA, PEAK, QUALISIS.
L’avantage des systèmes passifs est que le nombre de marqueurs n’est pas limité.
Cependant, pour être détecté par au moins deux caméras à chaque instant, le positionnement des caméras doit être optimal afin d’éviter des occultations de mires. De plus, une procédure de labellisation est nécessaire pour spécifier le nom de chaque marqueur ce qui peut être long et fastidieux en fonction de la qualité des enregistrements.
L’inconvénient majeur des systèmes optoélectroniques réside dans le placement des caméras afin de visualiser l’ensemble du volume de travail et de limiter au maximum les occultations de marqueurs. Un second inconvénient est relatif au problème communément appelé de « glissement de peau « . Il est dû à des déplacements des masses moles (et par conséquent des marqueurs) par rapport aux os et aux articulations. Plusieurs techniques d’ »estimation », d’ »optimisation » et de « solidification » permettent de minimiser ces effets en comparant la déformation avec la position statique de référence (Veldpaus et al., 1988; Soderkvist & Wedin, 1993; Chèze et al., 1995; Lu & O’Connor, 1999; Roux et al., 2002b).
Dans le domaine de la préhension, de nombreuses études ont utilisé des systèmes optoélectroniques pour caractériser le mouvement. Parmi elles, Martenuik a employé le 3D WATSMART à deux caméras pour analyser la coordination des schémas de transport et de prise à partir de trois diodes positionnées aux extrémités du pouce et de l’index et sur la tête ulnaire du poignet (Martenuik et al., 1990). Selon une approche similaire, Paulignan a utilisé le système OPTOTRAK pour analyser l’effet de perturbations sur la saisie et identifier l’influence de la taille et de la position de l’objet sur la préhension (Paulignan et al., 1991b). Enfin, nous pouvons citer les travaux de Stelmach et al. (avec un système SELSPOT à 250 Hz) et Mamassian (avec un système OPTOTRACK à 200 Hz) qui étudient les stratégies de prise en fonction de l’orientation des objets (Stelmach et al., 1994; Mamassian, 1997). Dans l’analyse des mouvements de préhension avec obstacle, Saling et al., Tresilian et Alberts et al. utilisent également le système OPTOTRACK pour observer les altérations spatiotemporelles des phases du mouvement (Saling et al., 1998; Tresilian, 1998; Alberts et al., 2002). Castiello et al. observent l’effet de l’encombrement de la saisie sur les interférences visuo-motrices avec le système ELITE à une fréquence de 100Hz (Castiello et al., 1999). Dans l’analyse de la saisie d’objets en milieu encombré, les travaux de recherche du laboratoire s’appuient sur l’exploitation du système VICON (Rezzoug & Gorce, 1999; Gorce & Rezzoug, 2000; Rezzoug, 2000; Rezzoug & Gorce, 2000; Bendahan, 2006; Carenzi, 2006). Pour l’étude des mouvements de la main et des doigts, certains auteurs utilisent un système OPTOTRACK dans l’étude des articulations des doigts de la main (Meulenbroek et al., 2001) ou encore le système VICON (Degeorges et al., 2005). Des travaux se focalisent également sur l’étude de la trajectoire de l’extrémité digitale lors de la saisie de cylindres afin de définir des stratégies motrices avec un système OPTOTRACK (Cuijpers et al., 2004). Récemment, une solution originale pour suivre les mouvements des doigts propose des marqueurs réfléchissants en forme d’anneau fixés au niveau des articulations de la main (DorfmullerUlhaas & Schmalstieg, 2001).

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