Synthèses stratégiques, une cohérence d’ensemble menacée
Des phases de transition amenant une complexité nouvelle
Jusqu’à la fin des années 80, le négoce détenait le pouvoir économique au sein du secteur. Il représentait une masse de capitaux concentrés face à l’atomisation de l’offre et la dispersion de la demande. Il était aussi l’unique opérateur de la filière pour la commercialisation, les caves coopératives traditionnellement limitées à des fonctions techniques. La redistribution des tâches n’a pas été menée avec la même intensité à chaque niveau de la filière. Face à une production et à une coopération qui ont accentué son pouvoir en amont et une distribution qui, sous l’impulsion des sociétés de commerce, s’est fortement concentrée en aval, le négoce est resté plus lent. Deux courants d’intégration se sont confirmés : – l’un descendant, mené par la production et les coopératives pour la prise en charge des fonctions commerciales ; – l’autre ascendant, pratiqué par la GD pour la prise en charge de certaines étapes assumées jusqu’alors par le négoce. De plus, les crises de 73-80-90 ont opéré une sélection entre les plus forts et les plus faibles : le négoce champenois a souffert de sa position charnière, et sa sphère d’activité se trouve restreinte alors que le marché lui-même subit une série de transformations. Quatre phases de transition majeures soulignent l’évolution de la lutte au sein du champ concurrentiel :
La maturité de l’« Industry life cycle »
Si les limites des vignobles champenois sont garantes de la qualité du vin de champagne, elles constituent également un frein à la croissance des expéditions. Dans la mesure où il n’est pas envisageable de les étendre, le potentiel de la région est proche d’être atteint. Cette stabilisation du volume de l’offre pourrait signifier : – un accroissement des prix du champagne ; – un marché des vins clairs très limité, serait à des cours inaccessibles ; – la poursuite des actions de diversification et du processus de sortie d’opérateurs majeurs ; – une pression sur les contrats de raisins ; – un stock du négoce en constante régression ; – l’obligation entre les opérateurs de trouver un point d’équilibre. Seules des décisions réglementaires et politiques permettront de sortir le modèle de production de la stagnation.
Les barrières à l’entrée
L’économie champenoise dépend d’un modèle fermé, régulé, l’AOC, où d’importantes barrières (d’origine publique et privée) à l’entrée et à la sortie sont censées empêcher la venue de nouveaux opérateurs. Cet avantage, qui constitue une rente pour ceux qui y sont installés, engendre aussi des coûts d’établissement plus élevés. L’obstacle lié à la mobilité ou barrière à l’entrée au sens de G.Stigler est un coût de production (à un niveau quelconque de production) qui doit être supportée par les firmes qui envisagent de pénétrer une industrie. Cette notion, dont l’origine remonte à J. Bain suggère l’idée de coûts irrécupérables (sunk cost). 633 « Concurrents » s’entend ici concurrents directs et potentiels. 402 L’idée sous-jacente est qu’aucune barrière634 n’est infranchissable et qu’un avantage acquis par une firme peut être remis en cause par des concurrents qui se battent à l’entrée du secteur. Deux types de barrières sont répertoriées dans la littérature : les barrières économiques635 (relatives aux coûts) qui comprennent les économies d’échelle, les avantages absolus de coûts, la différenciation des produits et les barrières institutionnelles636 portant sur les mesures réglementaires.Bien que cette distinction barrières économiques/ barrières institutionnelles soit relativement facile à établir, il est plus difficile de mesurer l’incidence de ces barrières sur le niveau de performance des firmes. – les économies d’échelles par intégration verticale, les firmes déjà en place ont acquis des économies d’échelles, un effet d’expérience637 et de spécialisation élevé (maîtrise du processus d’élaboration, réseau relationnel nécessaire dans le CHR…) tels que tout nouvel entrant dans la filière se verrait confronté à des problèmes de compétitivité ; L’activité du champagne est avant tout dominée par les coûts de matière. La maîtrise de l’amont est un enjeu croissant. – la différenciation638 des produits L’enjeu d’une telle stratégie pour le négoce est incontournable, elle passe d’abord par la qualité totale perçue et reconnue par le consommateur final.Le modèle de production de l’AOC Champagne est construit sur la fabrication d’un produit générique. Cependant, les capacités des opérateurs à se différencier restent faibles. Cela s’est accentué par les communications promotionnelles réalisées sur l’appellation, et non sur les marques. De plus, la différenciation a un coût puisqu’elle doit combiner volumes globaux/densité géographique/ fidélisation afin de faire dévier l’acte d’achat, d’abord polarisé sur le prix, sur la valeur qualitative du produit. – coût de la réglementation Les différentes réglementations de l’AOC Champagne et leur complexité génèrent des surcoûts sur l’ensemble du process de fabrication de la bouteille cf annexe p. 43). Stratégiquement, si le secteur dispose d’incontestables barrières à l’entrée, les barrières internes entre les marchés respectifs du vignoble et du négoce sont très fragiles. Le développement des ventes des RM sur le marché français en atteste. Une économie à deux vitesses s’est installée : une activité de commodité (les champagnes élaborés par la viticulture) et une activité de spécialité (les champagnes assemblés par le négoce).