Facteurs prédictifs des dépressions bipolaires type 1
Les antécédents
Antécédents personnels médicaux
Nous avons noté significativement plus d’antécédents médicaux chez les patients atteints de TU que chez les patients atteints de TB. L’OR était inférieur à 1, donc ce facteur serait ainsi prédictif de l’évolution unipolaire. Nos résultats étaient comparables à ceux de Gassab et al (6) qui avaient en effet noté une prédominance d’hypertension artérielle, de diabète et de pathologies rhumatismales chez les patients atteints de trouble unipolaire. Une explication raisonnable fournie par Winokur (19) était que les patients atteints de Page | 18 TU constitueraient un groupe hétérogène, incluant un certain nombre de patients ayant eu des dépressions primaires réactives associées avec une pathologie médicale. Certains auteurs ont confirmé ce résultat et ont attribué cette association des affections somatiques dans les dépressions unipolaires à l’âge plus avancé de début de la maladie unipolaire et à une tendance à la somatisation plus marquée lors des épisodes dépressifs récurrents (4, 20). Toutefois, d’autres auteurs (18, 21) n’ont pas trouvé de différence entre les deux groupes concernant les antécédents somatiques.
Antécédents personnels psychiatriques
Age au premier épisode thymique
L’âge moyen de début de la maladie était significativement plus précoce chez les patients atteints de TB: 28,3 ans versus 36,7 ans. Nous avons aussi noté que 38% des patients atteints de TB avaient débuté leur maladie avant l’âge de 25 ans contre seulement 12,5% des patients atteints de TU. L’OR était supérieur à 1, donc le début de la maladie avant 25 ans serait un facteur de risque de bipolarité. Les données de la littérature confirmaient un âge de début précoce de la maladie chez les patients atteints de troubles bipolaires comparativement à ceux atteints de troubles unipolaires. En effet, concernant la différence bipolaire-unipolaire la plupart des études avaient admis que le début des troubles de type bipolaire surviennent à un âge moyen entre 18 et 33 ans, beaucoup plus précoce que celui de la maladie unipolaire qui varie entre 27 et 41,6 ans (22-23). Nos résultats rejoignaient ceux de plusieurs autres travaux . Par ailleurs, plusieurs travaux ont constaté un début de plus en plus précoce (avant l’âge de 20 ans) de la maladie bipolaire dans des proportions allant de 30 à 50%, ce qui pourrait s’expliquer par le phénomène d’anticipation génétique, et on retient actuellement l’apparition avant l’âge de 25 ans comme un critère de bipolarité en soi, avec une valeur prédictive de 69% selon Akiskal (28). L’âge de début précoce serait le facteur discriminatif le plus important du caractère bipolaire d’une dépression, vu son caractère hautement familial (24). En plus, d’après Maj et al (29), la présence d’histoire familiale de diagnostic de bipolarité ou d’unipolarité a changé significativement en dépendant de l’âge de début de la maladie. En effet, généralement les patients atteints de troubles bipolaires auraient plus d’histoire familiale de troubles bipolaires que la famille des patients atteints de trouble dépressif majeur. Ce résultat suggérait que l’âge plus bas de début de la maladie permettrait de distinguer la dépression bipolaire de la dépression unipolaire .
Nombre moyen d’épisodes thymiques antérieurs
Nous n’avons pas relevé de différence entre les deux groupes quant au nombre d’accès antérieurs. Les données de la littérature seraient en faveur d’un nombre plus important d’épisodes thymiques dans la maladie bipolaire que dans la maladie unipolaire , sans que cela ne soit simplement le résultat de la plus grande précocité des troubles observé chez les malades atteints de TB (3), cette association pourrait prédire l’évolution vers la bipolarité. Ce résultat serait dû, selon Bourgeois et al (27), au fait que les malades atteints de TB débutaient plus tôt leur maladie et avaient donc une durée d’évolution plus longue, alors que pour d’autres auteurs (33-34), la récurrence plus importante des accès thymiques chez les patients souffrant de TB serait une caractéristique génétiquement déterminée. Plusieurs études beaucoup plus actuelles ont mis l’accent sur l’importance de la récurrence des épisodes thymiques dans les critères de bipolarité. Ainsi, Akiskal avait proposé plus de 3 épisodes dépressifs majeurs comme critère prédictif de bipolarité (28), mais les travaux récents proposeraient un cut-off de 4 épisodes dépressifs majeurs (35-36). Page | 19 La divergence de nos résultats avec la littérature pourrait être due à la taille réduite de notre échantillon et au caractère transversal de l’étude pouvant sous- estimer le nombre d’épisodes antérieurs.
Antécédents d’hospitalisation en psychiatrie
Nous avons constaté que le taux de malades ayant des antécédents d’hospitalisation en psychiatrie était significativement plus élevé chez les malades atteints de trouble bipolaire, (p<0 ,05). L’OR était supérieur à 1, ainsi ce facteur serait à risque de bipolarité. Nos résultats étaient conformes à ceux de la littérature (6). Cette différence pourrait être due à ce que le nombre des épisodes thymiques soit généralement plus élevé chez les patients atteints de TB que chez ceux atteints de TU. Toutefois, l’étude de Ben Abla et al (7) trouvait que les patients souffrant de troubles unipolaires étaient plus souvent hospitalisés (3,5 versus 3,1), le fait que les deux groupes d’étude ne soient pas appareillés pour ce qui est de la durée d’évolution des troubles pourrait être à l’origine de la différence notée dans le taux des hospitalisations.
Syndrome d’hyperactivité à l’enfance
Un syndrome d’hyperactivité à l’enfance était trouvé chez 36,2% des malades souffrant de troubles bipolaires contre 21,9% des malades souffrant de troubles unipolaires, sans différence significative. Les données de la littérature seraient en faveur d’une fréquence élevée de présence d’un syndrome d’hyperactivité à l’enfance chez les malades suivis pour TB que chez ceux suivis pour TU (4, 37). Ces mêmes auteurs précisaient aussi que les traits d’hyperactivité ainsi étudiés puissent être confondus avec les tempéraments affectifs (cyclothymique et hyperthymique) et seraient de ce fait méconnus. Le trouble hyperactivité avec déficit de l’attention THADA serait associé à un risque significativement élevé de passage de dépression unipolaire vers une dépression bipolaire. Les facteurs prédictifs de ce passage seraient les comorbidités troubles des conduites, problèmes comportementaux scolaires et l’histoire familiale positive de troubles de l’humeur(37). E Jaunay et al (38), trouvaient une association entre le THADA et le trouble bipolaire, qui s’exprimait sous la forme soit d’une comorbidité augmentée, soit d’une agrégation familiale, soit d’un risque plus élevé de trouble bipolaire dans le devenir des patients THADA. L’existence d’un THADA pourrait être selon cette étude, un facteur prédictif clinique d’un trouble bipolaire ultérieur. L’absence de signification au niveau de nos résultats pourrait être imputée au recueil de cette donnée par l’anamnèse, ainsi, il serait difficile pour les patients de fournir une information précise et objective d’un antécédent ancien.
Antécédents familiaux psychiatriques
Nous n’avons pas trouvé de différence significative pour ce qui est des antécédents familiaux psychiatriques entre les deux groupes d’étude. Les données de la littérature plaidaient en faveur d’une plus grande fréquence des antécédents familiaux psychiatriques dans la maladie bipolaire que dans la maladie unipolaire . Les études argumentaient ce résultat par la participation plus importante des facteurs génétiques dans la maladie bipolaire (28, 41), en effet, les troubles unipolaires et bipolaires sont dans l’ensemble génétiquement différents, tout en partageant une certaine parenté. Ces études ont montré que les patients atteints de troubles bipolaires auraient eu au moins deux fois plus d’antécédents familiaux bipolaires que les patients atteints de troubles unipolaires. L’histoire familiale de bipolarité reste selon certains auteurs, le critère le plus prédictif Page | 20 de bipolarité, donnée largement confirmée par plusieurs études (24, 28). Il serait de ce fait l’un des éléments à rechercher en premier lieu devant un patient ayant un trouble de l’humeur. Chez les malades souffrant de TU, les antécédents dépressifs étaient les plus fréquents selon Gaha et al (6). En revanche, notre méthodologie ne nous a pas permis de tenir compte de certains facteurs étudiés dans la littérature, tels que la forte charge familiale et la transmission multigénérationnelle continue. La différence de nos résultats des données de la littérature pourrait être expliquée par le mode rétrospectif de recueil de ce paramètre.
Consommation de substances
Nous avons constaté que 44,7% des patients atteints de TB et 25% des patients atteints de TU présentaient un abus ou une dépendance à une substance associés, sans différence significative entre les deux groupes. De nombreuses études épidémiologiques ont fait apparaitre une comorbidité importante entre troubles bipolaires et conduites addictives (abus et dépendance) et c’est à la suite de la publication de deux grandes études américaines (ECA et NCS) que cette comorbidité a été reconnue comme étant très fréquente (43-44). Ainsi, selon l’étude ECA (Epidemiological catchment area study) (45), 60% des patients atteints de troubles bipolaires de type I auraient eu à un moment donné de leur vie un trouble addictif (46% alcool, 40% substances illicites). Ces données seraient en accord avec les résultats de l’étude NCS (national comorbidity study) (43). Comparativement aux patients souffrant de trouble unipolaire, plusieurs études ont montré la plus grande prévalence de cette comorbidité chez les patients atteints de troubles bipolaires (7-8). Utsumi (46) retrouvait ce trouble chez 46% des patients bipolaires et trois fois moins chez les patients unipolaires (17%). La comorbidité abus de substances serait une conséquence du défaut de diagnostic du trouble bipolaire qui est impliqué dans l’évolution clinique et thérapeutique négative. Il serait ainsi important de reconnaitre cette comorbidité et de la gérer. (47-48) Toutefois, dans certaines études, on trouvait des taux bas d’abus de substance chez les patients atteints de troubles unipolaires et bipolaires sans différence significative, c’est le cas du travail de Gassab et al (6). Dans une autre étude aucune relation n’a pu être établie entre la bipolarité et la dépendance alcoolique (49). Selon Ibiloglu et al (18), ce résultat serait attribué à l’usage minime de substance dans certaines régions ou au nombre élevé de femmes dans le groupe d’étude. Les résultats en fait différent selon le contexte social et culturel dans lequel évoluent les patients, en effet, dans certaines sociétés le problème des addictions et drogues reste un sujet tabou, difficilement abordable, essentiellement dans la population féminine. Le fait de ne pas relever de différence entre les deux groupes de notre étude concernant ce paramètre pourrait être expliqué, en partie, par le fait que notre échantillon ne comprenait pas de patients atteints de troubles bipolaires de type II, qui seraient selon certains auteurs plus vulnérables à l’abus de substance (50).
1. INTRODUCTION |