Syndrome de fatigue chronique
Introduction
Le Syndrome de Fatigue Chronique, décrit dans les années quatre-vingt [1], est classifié actuellement dans les syndromes fonctionnels somatiques au même titre que la fibromyalgie ou le syndrome du côlon irritable [2]. Sa prévalence dans les pays industrialisés est estimée entre 0.2 et 2.6%, avec un ratio femme/homme de 4/1, et un âge de survenue médiane entre 30 et 50 ans, bien que des formes pédiatriques aient également été décrites [3-8]. L’EM/SFC est reconnu comme « affection du système nerveux » dans la CIM-11 sous le code 8E49 « syndrome de fatigue postvirale » [9]. La dénomination de la pathologie et les critères diagnostiques ont évolué depuis sa découverte [10, 11]. En 2012, le manuel de consensus international introduit le terme d’Encéphalomyélite Myalgique/SFC (EM/SFC), et ses nouveaux critères diagnostiques requièrent la notion de malaise post-effort (MPE) [4]. Le MPE se définit comme la survenue d’une aggravation des symptômes dans les 72 heures suivant un effort physique, cognitif ou émotionnel [12]. Dans une publication de 2015, l’Institue Of Medicine (IOM) propose des critères simplifiés et l’appellation de « Systemic Exertion Intolerance Disease » (SEID). Cette définition requiert la présence de trois critères majeurs : une fatigue continue depuis 6 mois ou plus, responsable d’une limitation fonctionnelle comparativement à l’activité habituelle du patient, avec une inefficacité du sommeil sur le repos et la présence de MPE. Il s’y ajoute la présence d’au moins un des deux critères mineurs suivants: troubles cognitifs ou intolérance à l’orthostatisme [6]. D’autres manifestations somatiques (douleurs musculaires ou articulaires, syndromes pseudo-grippaux, adénopathies douloureuses, troubles du transit…) ou neuro cognitives (céphalées, troubles de la concentration, troubles de la mémoire, fatigabilité…) ont également été décrites [1-8].L’impact fonctionnel des symptômes de l’EM/SFC a été récemment souligné [13]. On estime qu’environ 25% des patients sont incapables de quitter leur domicile, voire sont alités en permanence [14]. Comparativement à la sclérose en plaques, les patients EM/SFC ont une qualité de vie significativement plus basse, une plus grande prévalence des troubles de l’humeur associés et un score de fonctionnalité mentale significativement plus bas [15]. Dans une autre étude comparative, les patients atteints d’EM/SFC présentaient un niveau de fatigue comparable à celui de patients en rémission de pathologies néoplasiques considérés comme souffrant d’asthénie sévère [16]. La question du retentissement fonctionnel de l’EM/SFC pose celle de la possibilité pour les patients d’entrer et de se maintenir dans la vie active. Plusieurs études mesurant l’impact de l’EM/ SFC sur le travail montrent une prévalence accrue des arrêts de travail et de la mise en invalidité de ces patients. En 2006 une étude néerlandaise trouvait 3 fois plus de risques d’arrêts de travail prolongé (>3 mois) pour fatigue chez les patients présentant les critères du SFC [17]. Dans une étude allemande portant sur 429 patients, 37% rapportaient un arrêt de travail supérieur à un mois consécutif au cours de l’année précédente, dont la moitié concernait un arrêt supérieur à 6 mois [18]. Les facteurs prédictifs d’incapacité de travail prolongée étaient l’âge, le sexe féminin, la sévérité de la fatigue [19-20], le retentissement cognitif et certaines spécificités comportementales (comportements d’évitement de la peur, de la honte et du repos) [21]. En 2013 un travail de thèse de médecine générale [22] portant sur le retentissement professionnel au travail auprès de 57 patients trouvait les résultats suivants : 58% des patients en âge de travailler occupaient une activité professionnelle dont 70% d’entre eux à temps partiel. Une large majorité d’entre eux estimaient le retentissement fonctionnel au travail du SFC comme significatif sur leur productivité et leur carrière, estimaient souhaitable un aménagement de leur poste, 70% d’entre eux rapportaient avoir été arrêtés au cours de l’année précédente dont un tiers pour une durée totale supérieure à six mois. Concernant les individus sans emploi la totalité des sujets interrogés estimaient leur situation 2 comme directement imputable à leur condition de santé. L’évaluation du retentissement sur la société en termes de coûts de l’EM/SFC est ainsi majeur. Aux Etats-Unis en 2019, les coûts annuels directs de santé et indirects par défaut de productivité imputables à L’EM/SFC ont été estimés entre 17 et 24 milliards de dollars [23]. Ainsi, les limitations fonctionnelles de l’EM/SFC impliquent un retentissement professionnel limitant l’accès et le maintien dans l’emploi des personnes atteintes. En France, plusieurs organismes peuvent proposer des prestations financières ou en nature afin de permettre aux patients souffrant de limitations fonctionnelles en lien avec une condition de santé d’adapter leur environnement quotidien et professionnel à leurs limitations et/ou de compenser une éventuelle perte financière imputable à ces limitations. La caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) peut attribuer une pension d’invalidité à un patient qui, à la suite d’une maladie ou d’un accident d’origine non professionnelle ou encore d’une usure prématurée de l’organisme, a perdu une partie (ou la totalité) de sa capacité de travail [24] ou indemniser temporairement un Temps Partiel Thérapeutique (TPT) [25]. La Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH), peut accorder une Reconnaissance en Qualité de Travailleur Handicapé (RQTH) et orienter la personne vers divers services et prestations visant à l’accès ou au maintien de la personne dans l’emploi et la mise en place d’aménagements professionnels [26]. Elle est également chargée de l’attribution d’une Allocation Adulte Handicapé (AAH), et de l’attribution d’une carte d’invalidité permettant un accès facilité à certains services, notamment en lien avec la mobilité. Le Service de Santé au Travail (SST), entre autres missions, est responsable du suivi de l’état de santé au travail des salariés. Les salariés bénéficiant d’une RQTH ou d’une reconnaissance d’Invalidité peuvent bénéficier d’une prise en charge plus rapprochée auprès du médecin du travail. Celui-ci peut, en lien avec l’employeur, établir des recommandations d’aménagement de poste. Enfin, le médecin du travail peut remettre au travailleur et à l’employeur un avis d’inaptitude et proposer une réorientation professionnelle au salarié [27]. L’EM/SFC ne fait actuellement pas partie de la liste des 30 pathologies éligibles à la reconnaissance d’Affection Longue Durée exonérante 3 [28] et sa reconnaissance dans la société pose problème. Initialement assimilé à une pathologie psychiatrique dans l’histoire de sa découverte, la prévalence de comorbidités anxiodépressives ou d’autres troubles somatiques fonctionnels, en font une pathologie difficile à appréhender pour les professionnels de santé, l’entourage, et les organismes de santé [3;29]. L’objectif de ce travail était d’étudier l’impact de la reconnaissance de handicap et des aménagements professionnels sur la situation professionnelle des travailleurs atteints d’EM/SFC.
Patients
Il s’agit d’une enquête transversale descriptive, prospective, réalisée au sein d’une cohorte de patients atteints d’EM/SFC [5] pris en charge dans un service de médecine interne référent (Hôpital Européen de Marseille). Les patients éligibles étaient âgés de 20 à 60 ans, exerçant une activité professionnelle ou ayant été en situation professionnelle au début de la maladie. Etaient exclus les patients présentant, de manière comorbide une autre pathologie chronique. Données de l’enquête Le recueil des données a été réalisé sur la période de juin/2020 à août/2020 par le biais d’un formulaire en ligne généré via le logiciel Google Form®. Ce format offre la capacité d’adresser un formulaire informatique aux patients, leur permettant de choisir à quel moment le remplir, simplifie la procédure de retour du questionnaire et facilite également le traitement en temps réel des réponses. Les données socio-démographiques générales collectées étaient : le sexe, l’âge, le niveau d’études et le niveau socio-économique empiriquement réparti en trois catégories (mauvaise, moyenne, bonne) selon l’auto-évaluation du patient [30], la situation professionnelle du patient au moment de la survenue de la maladie. Les données en lien avec la maladie étaient : l’année de début des symptômes, l’année de diagnostic, la sévérité de l’atteinte évaluée à l’aide de l’Indice de Santé Perceptuelle de Nottingham (ISPN) [31-32]. L’ISPN consiste en 38 items binaires répartis en 6 catégories : mobilité (8 items), isolation sociale (5 items), douleur (8 items), énergie (3 items), réponse émotionnelle (9 items) et sommeil (5 items). Chaque item est quoté 1 si la réponse est « oui », 0 si la réponse est « non ». À chaque item est associé un coefficient et les résultats sont 5 exprimés sous la forme d’un pourcentage dans chaque item et de la moyenne des six thèmes. Un pourcentage élevé est associé à un plus haut niveau de limitation dans le domaine en question. Les démarches en vue d’une reconnaissance de handicap ont été recueillies selon 3 groupes : 1. Les prestations obtenues auprès de la CPAM : TPT, Invalidité, Congés longue maladie (CLM); 2. L’existence d’une RQTH ; 3. L’information de leur pathologie au SST, et l’existence d’une déclaration d’inaptitude. Le retentissement professionnel depuis le début de la maladie a été recueilli selon les questions suivantes : – Exerçaient-ils au même poste depuis le début de la maladie ? Avaient-ils eu besoin de réduire leur volume horaire ? Avaient ils changé de poste depuis le début de la maladie ? Avaient-ils cessé de travailler depuis le début de la maladie ? Nous avons également demandé aux patients d’évaluer leurs recours aux arrêts de travail. Devant les conditions particulières imposées par la crise sanitaire de 2020 nous avons décidé de demander aux patients d’estimer la durée cumulée de leur(s) arrêt(s) de travail en lien avec l’EM/SFC sur l’année civile 2019. Nous avons également demandé aux patients d’estimer si des aménagements professionnels les ont aidés ou auraient pu les aider à conserver leur emploi, maintenir leur temps de travail et réduire leurs besoins en arrêts de travail
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