Le métier de policer est une profession stressante et dangereuse. En cause : l’exposition aux affrontements, à la violence, aux incidents traumatisants, à la misère humaine et au risque d’être gravement blessé voire même tué. A cela viennent s’ajouter une demande d’efficacité, une charge de travail importante, de longues journées de travail… qui augmentent encore la pression exercée sur les policiers (Chao & al., 2006). Que l’on s’intéresse aux fonctionnaires de police ou à la population en général, le stress est identifié comme un facteur de risque pour la santé mentale et, plus particulièrement, comme un facteur de risque de dépression (Bayingana & Tafforeau, 2002 ; Chao & al., 2006 ; Blackmore & al., 2007 ; Gershon & al., 2009). Dill & al. (2018) mettent en avant, malgré des variations inter-individuelles, un pattern de mauvaise santé mentale chez les fonctionnaires de police avec une prévalence de dépression supérieure (bien que variable selon les études) à celle mesurée dans la population générale.
Cette santé mentale dépendrait, pour les fonctionnaires de police, de facteurs organisationnels (propres à l’organisation des services de police), opérationnels (propres à la nature des interventions) et individuels (la personnalité et les caractéristiques des fonctionnaires). La présence cumulée de ces facteurs de risque ou de protection exercerait une influence sur la présence de problématiques de santé mentale et notamment sur la prévalence des symptômes dépressifs. La question de la santé mentale reste néanmoins difficile à approcher au sein de la fonction, en raison des restrictions liées au secret professionnel existantes mais également de l’existence d’une culture policière réfractaire au dévoilement et à la discussion autour de ces problématiques. Ces dernières sont néanmoins bel et bien présentes au sein de notre pays comme en attestent les récentes discussions politiques, médiatiques et syndicales, mais qui sont également soulignées par des faits tragiques tels que le suicide chaque année de près d’une vingtaine de policiers. Malgré cela, peu de recherches se sont penchées sur la question de la santé mentale des fonctionnaires de police belges et, lorsqu’elles l’ont fait, elles se sont principalement penchées sur la présence de symptômes post-traumatiques. C’est de là qu’est née la volonté de mener une étude sur la prévalence de symptômes dépressifs auprès des policiers belges. La littérature existante provenant principalement des Etats-Unis, l’intérêt de cette recherche réside également dans les différences fondamentales existant entre les contextes policiers nordaméricain et européen, voire plus particulièrement le contexte policier belge, les réalités sociétales ainsi que l’organisation policière variant énormément d’un pays à l’autre.
La dépression est définie par l’Organisation Mondiale de la Santé (n.d.) comme étant « un trouble mental courant se caractérisant par une tristesse, une perte d’intérêt ou de plaisir, des sentiments de culpabilité ou de dévalorisation de soi, un sommeil ou un appétit perturbé, une certaine fatigue et des problèmes de concentration ». Une définition intéressante qui reprend une partie des critères diagnostiques identifiés par le DSM-IV (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) de l’American Psychiatric Association (2015). Parmi ceux-ci : une humeur dépressive la plus grande partie de la journée, une diminution marquée de l’intérêt ou du plaisir, une perte ou prise de poids significative, de l’insomnie ou hypersomnie, une agitation ou un ralentissement psychomoteur, une fatigue ou perte d’énergie, un sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inappropriée, une diminution de l’aptitude à penser/se concentrer ou indécision et des pensées de mort récurrentes/idées suicidaires. La qualification du trouble dépressif va également dépendre du nombre de symptômes présents, de leur intensité et de la durée de leur présence. Afin d’éviter les freins liés au secret médical, ce n’est pas la présence d’un syndrome psychiatrique (dépendant d’un diagnostic clinique) qui sera évaluée dans cette étude mais bien la présence de symptômes qui, par leur nombre, leur intensité et leur occurrence conjointe, laisse présager l’existence d’un tel trouble (Gisle, 2014).Il est important de souligner que le stress est significativement associé à la présence de dépression, celui-ci participant au développement des symptômes dépressifs (Gershon & al., 2002 ; Chao & al., 2006 ; Henn-Haase & al., 2010).
Après revue de la littérature existante, les facteurs de stress propres à la fonction de police sont de deux natures : les facteurs organisationnels et les facteurs opérationnels (Boyle & Chae, 2013 ; Soomro & Yanos, 2019). Les facteurs organisationnelsse rapportent au fonctionnement et à la structure des forces de police de manière générale. Barocas et al. (2009) démontrent que les facteurs organisationnels, plus que les incidents critiques, sont d’importants prédicateurs de la dépression. Dans une étude d’Amaranto & al. (2003), les participants mettent en avant les facteurs de stress relatifs à l’organisation policière comme étant les plus proéminents. Les résultats obtenus par Best & al. (2002), mais aussi Inslicht & al. (2009), indiquent que les problèmes de santé mentale chez les policiers s’expliqueraient le mieux par l’inefficacité administrative, par une mauvaise gestion et par les stress générés par le travail de routine. Une structure autoritaire, un manque de participation du personnel dans les décisions, un manque de soutien administratif, une philosophie punitive, un système de promotion perçu comme manquant d’intégrité et influencé par les politiques (Aron & Violanti, 1995), mais également une mauvaise communication entre les services, une rigidité concernant les politiques et procédures policières, un manque d’opportunités de promotions et une charge de travail importante (Gershon & al., 2009) sont autant de facteurs de stress supplémentaires. Le caractère anxiogène des investigations internes est également avancé par plusieurs auteurs (Gershon & al., 2009 ; International Association of Chiefs of Police, 2017). D’autres auteurs (Chao & al., 2006) ont également identifié le devoir de retenue des émotions et de contrôle de soi, propres à la fonction, comme facteurs de risque. Des symptômes de dépression, de stress post traumatique et des idées suicidaires se développent lors de l’hospitalisation d’un membre du personnel des suites d’un incident critique (Carlier & al., 1997). Les personnes concernées attribuent alors le développement de ces symptômes non pas à l’incident en soi mais à l’absence de suivi et de débriefing de la part de leurs départements de police. Ces mêmes auteurs ont d’ailleurs identifié un manque général de soutien et de réponse vis-à-vis des besoins du personnel dans les organisations policières. Aron & Violanti (1995) soulignent aussi ce manque de soutien dans le chef des superviseurs comme étant un important facteur de stress. Ils mettent également en avant le travail par pauses comme étant une source majeure de stress. Une étude plus récente de Brand & al. (2010) démontre que les policiers prestant des heures supplémentaires durant les pauses de nuit présentent plus de stress en lien avec le travail, de l’insatisfaction professionnelle et de troubles du sommeil que leurs collègues qui ne prestent pas ou peu d’heures de travail par pauses. Ces troubles du sommeil peuvent apparaître en lien avec la prestation de pauses de nuit et leur caractère variable (Haus & Smolensky, 2006). Ils sont associés à une diminution de l’activité sérotoninergique dans le système nerveux central ainsi qu’à la symptomatologie dépressive (Bernert & Joiner, 2007).
Parallèlement à ces facteurs organisationnels existent des facteurs opérationnels qui sont eux en lien direct avec la nature du travail. Bien qu’il s’agisse d’évènements non fréquents, l’exposition à la violence et aux traumas, comme par exemple la poursuite d’un suspect armé ou un coup de feu sur une personne, reste un facteur de stress potentiellement invalidant pour les policiers (Boyle & al., 2010). Concernant les incidents critiques, l’une des situations les plus stressantes est la mort ou la blessure d’un collègue (Gershon & al., 2009). Les transitions soudaines entre les périodes d’inactivité prolongée et les interventions d’urgence peuvent sensiblement augmenter le niveau de stress des fonctionnaires de police (Crank, 2004). Les recherches menées dans le domaine démontrent que les changements soudains d’état émotionnel présenteraient un risque sérieux de conséquences physiologiques et psychologiques à long terme (Burke & Mikkelsen, 2007). Brough (2004) s’est intéressé dans son étude à l’impact des facteurs de nature organisationnelle et opérationnelle et s’est rendu compte que ce sont les facteurs opérationnels, associés aux expériences professionnelles traumatisantes, qui prédisent le mieux des niveaux élevés d’anxiété, de dépression et de gestion du stress passive. Si ces résultats viennent contredire ceux précédemment cités (l’étude de Barocas & al., 2009), il faut savoir que l’exposition conjointe aux facteurs organisationnels et opérationnels inhérents à la fonction de police peut impacter négativement la qualité de vie générale du personnel et de leur famille (Boyle & Chae, 2013). Le stress rencontré dans le travail quotidien combiné à celui engendré par l’exposition aux incidents critiques peuvent engendrer un large éventail de problématiques psychologiques et physiques (Burke & al., 2009).
Abstract |