Susciter le plaisir d’apprendre et quête professionnelle

La séance magique : description d’une séance inattendue

En première période, dès les premières APC, au vu du peu d’enthousiasme des élèves, j’ai rapidement mis de côté les exercices répétitifs (qui visaient à accélérer la vitesse de lecture). Cette situation faisait écho à la pensée de Meirieu (2014) qui, face à l’ennui, au décrochage, au non-sens des apprentissages, insiste sur l’urgence de « ré-internaliser le désir d’apprendre ». Le peu de motivation des élèves avait mis en lumière l’impérieuse nécessité de leur redonner du plaisir au sein d’une situation d’apprentissage. Je me suis donc tournée vers des situations collectives favorisant les interactions entre élèves avec des formes plus ludiques.
C’est en deuxième période, au mois de novembre 2016, que la séance magique se déroule : Suite à des explications sur la décomposition des nombres à trois chiffres, j’observe soudain chez Lara un déclic. Elle comprend enfin ce qui lui est demandé ainsi que la manière de procéder. Je suis réellement ébahie car le cheminement a été laborieux et je la félicite chaleureusement. Elle se lance alors frénétiquement au tableau dans une série de décompositions. Son enthousiasme se communique aux autres élèves qui demandent à comprendre avant de se lancer à leur tour, d’abord en imitant Lara, puis en s’appropriant totalement la tâche. La réussite des élèves est spectaculaire, et leur plaisir à renouveler leur exploit est tel que je dois presque les forcer à quitter la classe en fin de séance. « On pourrait pas rester toute la nuit à l’école ? » me demande alors Lara mirieuse, mi-sérieuse

Le pilotage de la leçon : une différence de dispositifs permettant une plus grande liberté du corps et des codes

Le temps des APC est un temps privilégié. Le petit nombre d’élèves permet de casser l’espace-classe et les règles de fonctionnement qui lui sont liées. J’ai profité de ces moments pour permettre aux élèves de circuler plus librement (ils ont l’autorisation de rester debout ou de passer d’une table à une autre), et pour leur laisser la liberté de choix concernant les espaces que nous investissons (un élève décide des tables où nous nous installons). C’est une véritable interrogation que j’ai par rapport à la concentration des élèves en général et qui est née également de l’observation de CP pour lesquels le passage à la position assise obligatoire est une tâche complexe (voire pour certains une véritable souffrance). Il me semble en effet que la position assise, et donc la contrainte du corps, ne facilite pas pour certains élèves les apprentissages, voire génère un frein qu’il est possible dans ce cadre d’assouplir. L’observation des enfants m’a ici permis de percevoir la nécessité de leur offrir des contextes différents pour apprendre, y compris dans les espaces de travail.
L’« espace de la maitresse » et ses outils (le tableau, l’effaceur, craies, feutres effaçables) est dans ce cadre, totalement accessible. Il est donc possible d’une certaine manière « de jouer à être la maitresse », cette situation faisant écho à la scène en maternelle avec la « petite maitresse » au milieu de ses pairs. Jouer à être la maitresse, n’est-ce pas d’une certaine manière s’emparer du savoir ? Devenir maitre de ses apprentissages ?
Ces petites libertés, ces choix possibles considérés comme des privilèges constituent également, à mon avis, une des raisons pour lesquelles les élèves apprécient les APC.
De plus, ma place d’enseignante se modifie également. Ma situation au sein de l’espace n’est plus la même : le rapport frontal qui se joue avec le groupe-classe (un face au groupe) évolue ici différemment. Il s’agit avec ce petit groupe d’être « avec », « au milieu de », « au niveau de », et surtout « entièrement» avec chacun, permettant, de fait, une différence dans l’étayage.

L’atmosphère : de l’instauration de la confiance au plaisir d’apprendre

Ces moments d’étayage où il est possible d’échanger avec des contraintes moindres, sont également sous l’influence de l’atmosphère où baigne l’ensemble des relations qui se jouent entre les protagonistes.
Les interactions maitre-élève(s) sont ainsi d’une autre teneur. Ces séances me permettent de développer une relation plus affective avec les élèves, sans rien évacuer de la rigueur nécessaire à l’apprentissage. Je m’accorde donc d’utiliser des mots que je ne me permettais pas en classe («Mon grand», « Ma belle » par exemple), je m’accorde de plaisanter et accepte avec plus d’indulgence leur (très) grande énergie. Je me sens ainsi moins coincée dans le carcan d’autorité que je me dois d’endosser avec ma classe de 28 élèves (charmants individuellement mais très vite dissipés en collectif). Par ailleurs, je peux aussi énormément verbaliser et valoriser ces élèves sur leurs tentatives et leurs réussites ponctuelles, ce qui est moins simple en classe.
Tout comme Defrance (1997) qui tisse un lien très fort entre son plaisir d’enseigner et le plaisir d’apprendre de ses élèves, je mesure l’impact de la réussite d’un élève et du groupe sur la valorisation de ma propre pratique. Ce plaisir que Defrance convoque en amenant les élèves à penser par eux-mêmes et à développer leur propre estime, je le perçois également au travers de mes élèves. Leur enthousiasme et leurs réussites retentissent en effet énormément sur
la confiance que je peux avoir dans mes capacités à exercer ce métier et augmente mon désir de continuer mes recherches dans ce sens.
Ainsi le groupe restreint, l’attention ciblée et le temps permettent d’instaurer une atmosphère plus sereine, propice à la mise en confiance, mais ils n’en sont pas les seuls facteurs :
Les interactions entre pairs jouent également un rôle prépondérant. En APC, le groupe agit comme un cocon. Ces cinq élèves se connaissent bien, ils savent qu’ils sont présents aux APC en raison de difficultés qu’ils connaissent en classe. Au sein de ce petit groupe de niveau homogène, la prise de parole s’opère spontanément. Ici, pas de remarques désobligeantes, comme celles parfois entendues en classe.

Instaurer une ambiance sereine basée sur une relation de confiance

L’ambiance sereine est une des dimensions sur laquelle je travaille depuis le début de l’année, en laissant la parole aux élèves, en soulignant et en encourageant leurs efforts, en installant des règles claires de fonctionnement et de sanctions. La notion de bienveillance et son impact sur la qualité des apprentissages (qui étaient jusqu’alors de l’ordre de l’intuition pour de nombreux pédagogues) s’appuient aujourd’hui sur des fondements scientifiques que Guéguen (2016) développe dans ses recherches en neurosciences affectives et sociales. Suite à l’analyse de mes séances en APC, je décide donc de développer en classe : la relation maitre-élève(s), la relation élève(s)-élève(s), la gestion de l’espace.
La relation maitre-élève(s) : J’assouplis ma relation à chaque élève en laissant transparaitre un aspect plus affectif, en utilisant parfois des mots plus doux, en laissant de la place pour les échanges plus informels et individualisés (avant ou après la classe, pendant la récréation). Je souhaite ainsi signifier à mes élèves que je ne les considère pas uniquement comme des apprenants mais comme des individus à part entière.
Dans la relation maitre-élèves : je m’appuie sur les processus d’imitation en valorisant les élèves ayant un comportement positif (écoute, rigueur, propositions…) sans mettre en balance ceux qui ne l’auraient pas (par exemple, je remercie les élèves qui se mettent en position d’écoute sans pointer ceux qui ne le font pas, ce qui en général provoque une volonté de bien faire de la part du groupe entier).
La relation élève(s)-élève(s) : L’attitude positive des élèves en APC m’incite à encourager la bienveillance entre élèves notamment en renforçant la coopération (recherche en duo ou groupe) et en appuyant sur le statut formateur de l’erreur. Une erreur devient un objet d’étude pour la classe sur laquelle il est possible de s’interroger, d’argumenter, elle est donc digne d’intérêt et positive. Je travaille aussi à la mise en place de codes et de critères pour inciter à l’écoute et/ou à l’observation active des autres (en EPS ou poésie par exemple).
L’instauration du tutorat sur la base du volontariat permet également de valoriser les élèves experts et de développer une solidarité au sein de la classe. Je souhaite néanmoins que les élèves en difficulté ne se retrouvent pas systématiquement à la place des tutorés. Au fur et à mesure de l’avancée des séances d’APC, je décide donc de travailler sur l’atmosphère et le relationnel entre les élèves afin de moduler la perception (souvent négative) que les élèves ont d’eux-mêmes et celle qu’en ont les autres. Je m’appuie alors sur le tissage entre ces séances décrochées et celles avec le groupe-classe. Au lieu de remédier, je souhaite au contraire prévenir et enclencher les apprentissages avec ces élèves en difficultés en amont. J’aborde donc la notion en APC avant de le faire en classe. Ce fonctionnement permet non seulement de percevoir les éventuelles difficultés à venir et d’être immédiatement réactif, mais également de valoriser mes élèves face au groupe-classe puisqu’ayant accès aux savoirs en amont, ils peuvent répondre à des questionnements avant les élèves en réussite, maitriser du vocabulaire, participer et expliquer aux autres élèves en classe.

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Le jeu et la création au service du plaisir d’apprendre

En développant mes recherches sur les déclencheurs d’émotion, je m’appuie également sur ma propre pratique artistique (exercée pendant une vingtaine d’années) avec deux maitres-mots : jeu et création. Le jeu (d’imitation, de société, de scène…) repose sur des codes et des inattendus, en laissant la part belle tout autant à la maitrise qu’au hasard et au risque. Il s’agit donc d’un puissant vecteur d’émotions. En classe, suite aux séances en APC, je commence donc à mettre en œuvre des rituels jeu en étude de la langue. J’en mesure le fort pouvoir d’enrôlement auprès des élèves avec la difficulté toutefois de la mise en œuvre matérielle et la nécessité de régulièrement ramener les élèves aux objectifs visés.
Le jeu d’acteur s’invite dans la lecture expressive ou la poésie durant lesquelles les élèves s’investissent énormément : de manière individuelle mais également en développant une attitude très soutenante pour les élèves moins à l’aise à l’oral. Il est à noter d’ailleurs que les cartes se redistribuent parfois très différemment entre les élèves généralement en réussite, dans la moyenne ou en difficulté.
Durant ces mises en pratique, je remarque un fort enjeu interactionnel entre les élèves. L’émotion est ici partagée qu’il s’agisse d’un jeu à deux, de l’écoute d’un pair, ou face à un public : la relation duelle ou le collectif permettent l’émergence d’une émotion positive. Mais le jeu d’acteur apporte une dimension supplémentaire puisqu’il propose également une implication personnelle sensible et créative.
Si la dimension créative n’apparait pas dans la séance magique, elle est pourtant une des entrées par lesquelles je souhaite poursuivre mes recherches autour du plaisir d’apprendre car elle me semble en être la clé de voûte. Elle peut en effet convoquer à la fois la motivation, la coopération, la réflexion, ainsi qu’un aspect émotionnel, possiblement ludique et toujours valorisant. C’est notamment au sein de la pédagogie de projets que j’ai pu la mettre en œuvre : avec la création d’une bande-son pour le concours « Des mots et des choses » : un projet mêlant production d’écrits et éducation musicale , avec la création d’un arbre à poèmes autour de la découverte et la production de haïkus.
Ces projets qui ont généré un vif intérêt et une belle implication des élèves m’encouragent à poursuivre dans ce sens .

Table des matières

Introduction
Le plaisir d’apprendre : une préoccupation constante depuis mon entrée en formation
1. Questionnements et hypothèses
2. Analyse d’une situation de référence avec un apprentissage réussi : la séance magique
2. 1. La séance magique : description d’une séance inattendue
2. 2. Cinq élèves, cinq profils différents
2. 3. Des différences entre les APC et le groupe-classe
2. 3. 1. Le pilotage de la leçon : une différence de dispositifs permettant une plus grande liberté du corps et des codes
2. 3. 2. L’étayage : la place du jeu et une attention plus individualisée
2. 3. 3. L’atmosphère : de l’instauration de la confiance au plaisir d’apprendre
3. Transpositions possibles au groupe classe
3. 1. Instaurer une ambiance sereine basée sur une relation de confiance
3. 1. 1. La relation maitre-élève(s)
3. 1. 2. La relation élève(s)-élève(s) :
3. 1. 3. La gestion de l’espace
3. 2. Convoquer une émotion positive collective
3.2.1. L’émotion au service des apprentissages : qu’en disent les pédagogues et les chercheurs ?
3. 2. 2. Le jeu et la création au service du plaisir d’apprendre
4. Conclusion
Bibliographie
Annexes 
– Retranscription de la séance autour des jeux
– Retranscription de l’entretien avec Lara
– Retranscription de l’entretien avec Milan
– Les projets « Sur le bout de la langue … » et « L’arbre à poèmes »

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