Survenue d’un syndrome de Tako-Tsubo dans un centre médico-éducatif
INTRODUCTION
La cardiomyopathie de Tako-Tsubo, appelée aussi syndrome de ballonisation apicale du ventricule gauche a été décrite au Japon en 1990 (1). Il s’agit d’un tableau clinique mimant un syndrome coronarien aigu (SCA), sans lésion coronarienne pouvant l’expliquer. Le terme « Tako-Tsubo » signifie « piège à poulpe » en japonais. Lors de ce syndrome, le cœur prend en effet un aspect similaire à la jarre qu’utilisaient les pêcheurs japonais pour capturer les pieuvres (Figure 1 et 2). La physiopathologie reste encore incomplètement élucidée. Il s’agirait d’une cardiopathie de stress d’origine catécholaminergique (2) affectant principalement les femmes (90 %) de plus de 55 ans (3,4) et survenant dans la majorité des cas suite à un stress émotionnel ou physique intense. Elle se traduit par une douleur thoracique associée à des modifications de l’électrocardiogramme (ECG) et à une élévation des enzymes cardiaques (3). La prévalence est faible dans la population générale mais son incidence représente 1,7 à 2,2 % des SCA (4) avec un taux de récidive de 3,5 % à quatre ans et un risque de décès de 1 à 3,2 % (5). L’âge médian des patients est de 66 ans (3). Un seul cas de Tako-Tsubo d’origine professionnelle a été décrit dans la littérature (6). Cette étude décrit un cas de Tako-Tsubo survenu dans un centre médico-éducatif.
DESCRIPTION DU CAS
Il s’agit d’une éducatrice spécialisée de 56 ans, travaillant dans un institut thérapeutique public éducatif et pédagogique pour jeunes adolescents dont la plupart présentent des troubles du comportement et de la personnalité. Cette salariée assure quotidiennement l’accompagnement de huit à dix adolescents notamment lors d’activités sportives, créatives et de soutien scolaire. Elle ne présente aucun antécédent médical, ne déclare aucune consommation de tabac ou d’alcool et ne reçoit pas de traitement. Alors qu’elle assure l’accompagnement d’un groupe d’usagers dans un collège, cette éducatrice est insultée, frappée et projetée à terre par l’un d’entre eux placé sous sa responsabilité. Ne présentant aucune lésion immédiate, elle poursuit son activité professionnelle malgré une sensation de mal être psychique et un sentiment d’incapacité. Ces signes la conduisent à consulter son médecin traitant. Apres avoir essayé de la rassurer face à la normalité de son examen clinique, ce dernier lui prescrit un arrêt de travail d’une journée. Quarante-huit heures après l’incident, elle ressent une douleur thoracique avec une sensation de mort imminente, motivant une hospitalisation en urgence. A l’admission, l’examen clinique objective une dyspnée de grade 4 NYHA, une douleur précordiale évaluée à 8/10 et une tension artérielle de 150/80 mmHg. L’ECG révèle une tachycardie sinusale à 97 battements par minute, des QRS fins et des ondes T négatives en aVL. Le taux de troponine T obtenu à l’admission est modérément élevé (0,6 g/L) et le taux de peptide natriurétique B (BNP) est augmenté à 1850 pg/ml. Ce tableau motive le transfert de la patiente en unité de soins intensifs cardiologiques et l’administration d’un traitement par bêtabloquant, diurétiques et oxygène. L’échocardiographie trans-thoracique (ETT) montre alors une dysfonction ventriculaire gauche majeure avec une hypokinésie apicale (Figure 3), une fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) évaluée à 29 % et des cavités gauches dilatées. Figure 3 : Hypokinésie apicale du ventricule gauche La coronarographie révèle des artères coronaires saines (Figures 4 et 5). Figure 4 : Réseau coronaire gauche normal sans sténose 6 Figure 5 : Réseau coronaire droit normal sans sténose L’IRM myocardique objective une akinésie apicale du ventricule gauche sans thrombus endocavitaire en faveur d’une cardiomyopathie dilatée non ischémique (Figure 6, 7 et 8). L’injection de gadolinium montre une absence de rehaussement secondaire tardif du myocarde prouvant l’absence de mort cellulaire (Figure 9). Figure 6 : Ventricule gauche en systole avec akinésie apicale 7 Figure 7 : Coupe sagittale du ventricule gauche en systole Figure 8 : Aspect typique de ballonisation apicale du ventricule gauche Figure 9 : Après injection de gadolinium Durant l’hospitalisation, l’état clinique de la patiente est stable, sans nouvel épisode d’angor. Dix jours après l’admission, l’évolution clinique est favorable et l’ETT montre une régression de la ballonisation apicale ainsi qu’une amélioration de la FEVG. La patiente rentre à son domicile avec une surveillance cardiologique. Trois mois après sa sortie, l’ETT montre une FEVG évaluée à 55 % traduisant une récupération ventriculaire satisfaisante. Par la suite ce stress émotionnel ressenti sur son lieu de travail sera retenu par l’organisme d’assurance maladie comme le facteur déclenchant et le SCA sera reconnu comme un accident du travail. La salariée reprendra son activité professionnelle d’éducatrice spécialisée après avis favorable du cardiologue et du médecin du travail. Toutefois ce dernier préconisera un aménagement de poste avec son affectation dans un service d’éducation spéciale et de soins à domicile .
I. INTRODUCTION |