Problèmes liés à l’interprétation des premiers analytiques
L’objectif de cette partie consiste à exposer les problèmes rencontrés notamment au sein de la partie modale des Premiers Analytiques. On commencera par une présentation des notions élémentaires de la syllogistique tout en introduisant la notation qui sera employée au sein de cet ouvrage8 . Cette notation s’inspire fortement de celle employée par Corcoran dans son article intitulé Complétude d’une Logique Ancienne9 ainsi que de celle employée par Malink dans l’article intitulé Une Reconstruction de la Syllogistique Modale d’Aristote, publié en 2006 dans le journal Histoire et Philosophie de la Logique et dans son ouvrage intitulé Syllogistique Modale d’Aristote publié en 201310 . On formalisera d’abord la syllogistique assertorique et ensuite la syllogistique modale. Cette dernière comprend une partie que l’on nomme apodictique et une partie problématique. On emploiera les instruments de la logique formelle afin de fournir une interprétation susceptible de justifier l’ensemble des règles du système. C’est à cette occasion que l’on mettra en évidence un certain nombre de problèmes rencontrés dans la partie modale des Premiers Analytiques.
La syllogistique assertorique
Sur quoi porte la « syllogistique » ?
Le traité des Premiers Analytiques est une étude portant « sur la démonstration » et qui « étudie la science démonstrative. » C’est en réalité l’ensemble des Analytiques qui traite de ce sujet. Mais à l’étude de la démonstration (apodeixis) précède celle de la déduction (sullogismos)12 . La définition de sullogismos est donnée en ces termes : « discours dans lequel, certaines choses ayant été posées, une chose distincte de celles qui ont été posées s’ensuit nécessairement, du fait que celle-là sont13 . » La démonstration est plus spécifique que la déduction car ce qui a été posé est « vrai et a été admis en raison des hypothèses de départ14 . » On ne discutera pas, en détail, de la distinction entre le terme grec sullogismos et le terme syllogisme15. Cependant, la caractéristique centrale du sullogismos est la contrainte qu’il exerce. En effet, dans le livre Δ de la Métaphysique16, la nécessité est définie comme « contrainte de faire. » C’est en ce sens qu’il faut comprendre l’adverbe « nécessairement » dans la définition du terme sullogismos. Autrement-dit, la déduction exerce une contrainte à admettre quelque chose en raison de quelque chose ayant été dit auparavant. Ainsi, le terme syllogisme recouvre l’ensemble des discours qui produisent la contrainte.
Cette définition recouvre beaucoup plus de cas que le terme syllogisme. Ce dernier est plus spécifiquement employé pour désigner un schéma comportant trois propositions : deux prémisses et une conclusion. Le syllogisme est une espèce de sullogismos car il contraint à admettre la conclusion en raison de ses prémisses. Dans son introduction au Premiers Analytiques, Michel Crubellier présente le texte d’Aristote en trois moments.
Un moment qu’il qualifie de théorique, dans lequel Aristote expose son « système » à l’aide duquel il détermine la validité ou l’invalidité des syllogismes. Un moment qu’il qualifie d’heuristique, où il s’agit d’exposer une « méthode » permettant de trouver les prémisses adéquates à une conclusion donnée. C’est ce qu’on nomme traditionnellement le « pont aux ânes » (pons asinorum en latin). Un dernier moment, qui consiste à analyser les inférences « quotidiennes » au moyen du système exposé en première partie. Ce que l’on va nommer syllogistique dans cette étude, c’est l’ensemble de la première partie, qui comprend les chapitres 1 à 26. Pris en ce sens, la syllogistique développe un système d’inférence permettant de déterminer la validité ou l’invalidité des syllogismes « imparfaits ». B. Qu’est-ce qu’un syllogisme ? Comme on vient de le dire auparavant, un syllogisme assertorique est un ensemble de propositions composé de deux prémisses et d’une conclusion.
Chacune de ces propositions comporte deux termes, dont l’un est nié ou affirmé de l’autre18. Le terme qui est nié ou affirmé est appelé prédicat, et celui dont on affirme ou nie quelque chose est appelé sujet. Une proposition peut être universelle ou particulière19, c’est ce qu’on appelle la quantification. On a donc quatre types (en effet, on peut nier ou affirmer universellement) de propositions que l’on désigne traditionnellement à l’aide des quatre premières voyelles de l’alphabet latin. A : Universelle affirmative ; par exemple, « tous les hommes sont mortels » E : Universelle négative ; par exemple, « aucun homme n’est un cheval » I : Particulière affirmative ; par exemple, « quelques animaux sont des hommes » O : Particulière négative; par exemple, « quelques animaux ne sont pas des hommes » Un syllogisme met en relation trois termes. Un grand terme qui est prédicat dans la conclusion et que l’on trouve dans la prémisse majeure.
Un petit terme qui est sujet dans la conclusion et que l’on trouve dans la prémisse mineure. Un moyen terme qui ne figure pas dans la conclusion et que l’on trouve dans les deux prémisses. Ce dernier permet de faire, en quelque sorte, le lien entre le petit et le grand terme. À partir de ces éléments, il est possible d’obtenir plusieurs combinaisons. On peut faire varier la position du moyen terme. C’est de cette manière qu’Aristote obtient les « trois figures » (du terme grec schema). La première figure se caractérise par le fait que le moyen terme soit sujet dans la prémisse majeure et prédicat dans la prémisse mineure. Dans la deuxième figure, le moyen terme est prédicat dans les deux prémisses. Dans la troisième figure, le moyen terme est sujet dans les deux prémisses.