Substitution du milieu naturel comme partie prenante
Problématique du milieu naturel comme client
A la fin du Chapitre 1, les déséquilibres entre les différents types d’acteurs dans les processus d’autorisation de projets ayant potentiellement un impact sur l’environnement ont été évoqués. En particulier, il apparait que les milieux naturels sont des acteurs absents, de par leur nature, et représentés par des acteurs « faibles », c’est-à-dire ne possédant pas de pouvoir décisionnaire. Nous revenons dans les paragraphes suivants sur la notion de partie prenante, largement répandue dans les systèmes de management en milieu industriel, qui rejoint la notion plus générale d’ « acteur » utilisée en sciences humaines et sociales. Ceci afin de mettre en évidence la légitimité et la problématique engendrées par la proposition faite dans le paragraphe précédent de prendre en compte les milieux naturels comme des clients. En particulier, nous avons cherché à spécifier la notion de besoin pour un écosystème. Nous avons par la suite déterminé les éléments existants ayant tenté de répondre à cette question, en particulier au travers de la tentative de modélisation des écosystèmes aquatiques. Cependant, nous verrons que l’état de maturité de ces outils ne permet pas aujourd’hui de répondre de manière satisfaisante à la problématique de prise en compte des écosystèmes aquatiques comme clients. Ce constat nous a amenés à nous intéresser à la notion de services écosystémiques.
Retour sur la position des milieux naturels : acteurs absents des processus décisionnels
D’ordinaire, le terme d’acteur, désigne une personne humaine ou un groupe d’humains, c’est à dire des entités capables d’exprimer et de défendre leur point de vue. Les milieux naturels n’ayant pas la faculté de s’exprimer, ils peuvent être considérés comme des acteurs « non-humains », encore appelés des « actants » (Barbier & Trepos, 2007), (Ruffier, 2006). Dans la littérature sur l’action dans le milieu industriel, le statut de l’objet a d’ailleurs été revu pour être considéré comme un acteur à part entière formant avec l’acteur humain un «collectif hybride » (Barbier & Trepos, 2007). Dans le cadre de l’ISO 9000, les acteurs impliqués dans le management de la qualité sont appelés « Parties prenantes ». Il s’agit plus précisément de « personne ou groupe de personnes ayant un intérêt commun dans les résultats de l’organisme fournisseur et dans l’environnement dans lequel il agit. » Le Tableau 6 montre les différentes parties prenantes considérées pour un fournisseur dans la norme ISO 9000 :Ainsi, dans la norme ISO 9000 (norme de management de la qualité en entreprise), l’environnement n’est pas considéré comme un acteur, il n’est d’ailleurs pas défini dans le cadre du système de management de la qualité (ISO, 2005). La famille des normes ISO 14000 concerne le management environnemental. Les définitions des termes « environnement » et « partie intéressée » sont proposées dans la norme ISO 14001 : « Environnement : milieu dans lequel un organisme fonctionne, incluant l’air, l’eau, le sol, les ressources naturelles, la flore, la faune, les êtres humains et leurs interrelations. Dans ce contexte, le milieu s’étend de l’intérieur de l’organisme au système global. Partie intéressée : individu ou groupe concerné ou affecté par la performance environnementale d’un organisme. » Là encore, l’environnement est considéré à part des parties intéressées. Pourtant, l’environnement peut potentiellement être « affecté par la performance environnementale » à travers les rejets d’une installation industrielle. La difficulté de prendre en compte un écosystème comme client ou de manière plus générale comme partie prenante est liée à son incapacité à exprimer un besoin. Quels sont alors les besoins d’un écosystème et comment les évaluer ? Les paragraphes suivants ont pour objectif de répondre à cette question, plus particulièrement en ce qui concerne les écosystèmes aquatiques.
Notion de besoin
S’il parait ainsi légitime de considérer le milieu récepteur naturel comme client du produit : effluent aqueux. Il est alors indispensable de pouvoir évaluer et quantifier ses besoins vis-à-vis de ce produit. Le besoin est défini comme une « exigence née d’un sentiment de manque, de privation de quelque chose qui est nécessaire à la vie organique », autrement dit, comme une « chose nécessaire à l’existence » (Larousse, 2014). D’un point de vue scientifique, les besoins d’un être humain ont été hiérarchisés par Maslow (1943) selon plusieurs catégories : les besoins physiologiques viennent en premier, suivent le besoin de sécurité, d’appartenance, d’estime de soi et d’autoréalisation (Maslow, 1943). Les besoins que nous allons tenter d’appréhender dans cette partie sont les besoins primaires des milieux récepteurs. Pour un organisme vivant, ils sont par définition les besoins élémentaires et biophysiologiques (Maslow, 1943). Ces besoins sont résumés par le concept d’homéostasie, développé par Bradford Cannon en 1932. L’homéostasie est un équilibre dynamique obtenu grâce à un ensemble de processus de régulation qui permettent la pérennité d’un système quelconque (vivant ou non, fermé ou ouvert) en dépit des contraintes extérieures (Cannon, 1932) (Larousse). Notons que cette notion est étendue au domaine du non vivant. Ainsi les besoins d’un milieu naturel se définissent aussi bien en termes d’état (qualité de l’eau, biodiversité, morphologie et hydraulique) que de mécanismes de régulation internes à l’écosystème qui lui permettent de conserver un état quasi stationnaire. La notion de besoin est ainsi appréhendée au travers de l’homéostasie de l’écosystème, c’est-à-dire de la composition de l’eau et des mécanismes de régulation, couramment appelés mécanismes d’autoépuration.
Appréhension des besoins d’un écosystème aquatique par l’autoépuration
L’autoépuration est un ensemble de mécanismes visant à restaurer le milieu dans son état initial suite à une modification physique, chimique, et/ou biologique du milieu (Vagnetti et al. 2003). Ce processus a été mis en évidence et étudié dès les années 1970 (Knowles & Wakeford, 1978). La dynamique d’autoépuration est propre à chaque milieu. Elle est constituée d’un ensemble de processus physiques, chimiques, photochimiques et biologiques tels que la dilution, l’adsorption, la sédimentation, la volatilisation, l’ensemble des réactions d’oxydo- réduction, acido-basiques, de précipitation, coagulation/floculation, dégradation, assimilation… Elle se produit au niveau de la colonne d’eau ainsi que dans les sédiments. En ce qui concerne la partie biologique, ce phénomène ne concerne que les nutriments nécessaires à la vie des organismes vivants de l’écosystème, qu’ils soient présents dans le milieu de manière naturelle ou artificielle (rejet, apport anthropique) : matière organique, composés azotés et phosphorés, sels minéraux, certains métaux (en quantité limitée), oligo-éléments. L’évaluation de l’autoépuration dans un cours d’eau peut se faire de deux manières : expérimentale ou théorique. L’approche expérimentale repose sur l’acquisition d’un important jeu de données sur le milieu étudié qu’il s’agira d’interpréter par la suite. L’approche théorique repose sur une modélisation de l’écosystème. Un modèle expérimentale permet d’évaluer de façon précise sur un tronçon de rivière donné, la capacité d’autoépuration de manière empirique, par exemple la quantité de tel composé dégradé par unité de longueur du cours d’eau en question. Cependant, ce type de modèle (expérimental) ne permet pas de faire de la prévision à long terme (Cox, 2003) car le fonctionnement d’un cours d’eau peut varier dans le temps. C’est ce que montrent Vagnetti et al. dans leur étude d’un canal en 2002 (Vagnetti et al., 2003). Ils ont également montré la difficulté d’interprétation des données pour certains paramètres. Des modèles existent pour représenter le fonctionnement des écosystèmes : SIMCAT et TOMCAT tous deux utilisés par les autorités environnementales au Royaume-Uni, QUAL2E développé par l’USEPA et utilisé aux Etats-Unis, QUASAR, parmi d’autres (Whitehead et al., 1997), (Piper et al., 1988). Ces logiciels modélisent le fonctionnement hydraulique du cours d’eau (équations de Saint-Venant), le phénomène de dilution et de transport et les procédés (équations) de transformation de certains composés. Ces modèles ne prennent pas tous en compte les mêmes paramètres pour la mise en équation des procédés de transformation, ni les mêmes procédés (ex : photosynthèse pas toujours prise en compte), mais dans l’ensemble, ils ne tiennent comptent que des nutriments nécessaires à la croissance bactérienne et algale (oxygène dissous, azote, phosphore, DBO). Dans l’ensemble, il n’y a pas de prise en compte des composés chimiques, métaux…