Styles cognitifs, langue et culture chinoise et apprentissage des mathématiques et de la statistique
Approches contextuelle et théorique
Dans cette partie, nous allons présenter les courants théoriques que nous avons adoptés et les théories qui nous inspirent. Dans un premier temps, nous procéderons à une présentation générale du contexte. Nous présenterons certaines de ses caractéristiques particulières à partir d’expériences personnelles et de supports documentaires. Cette première souspartie nous invite à considérer notre sujet de recherche à travers des jumelles culturelles chinoises, et nous amène aussi à l’étape suivante. Dans une deuxième souspartie, nous évoquerons la culture scolaire en nous inspirant des perspectives anthropologique et sociologique. Cela nous permettra d’expliciter l’approche que nous avons adoptée pour étudier le sujet de notre recherche, en tenant compte du fait que la culture scolaire aurait un effet sur la sélection et la formation des élèves. Dans une troisième partie, nous parlerons des théories concernant les styles cognitifs. Ce sont les noyaux théoriques de cette étude ; nous nous en servirons comme point de départ dans cette recherche. La dernière composante de cette partie sera la présentation de la problématique et les hypothèses que nous proposons à partir des références théoriques. 1. Approche du contexte chinois de la recherche Cette souspartie illustre et explicite le contexte dans lequel s’est déroulée cette étude de recherche. A partir d’expériences personnelles et de documentation, nous allons tenter de repérer des caractères distincts dans le contexte chinois. Comme nous l’avons mentionné antérieurement, les écoles que nous avons contactées pour effectuer ces recherches n’ont souvent pas accepté notre requête. Nous avons eu l’impression que la recherche à titre personnel n’a pas autant d’importance que les recherches dirigées par des institutions nationales. La raison apportée à ce refus demeure presque identique : les élèves n’auraient pas de temps de participer à ce genre d’enquête. En tant que Chinois, ayant été élevé dans ce système éducatif, cela me paraît néanmoins tout à fait probable. C’est pour cette même raison que nous n’avons pas pu enquêter auprès des élèves de l’année terminale, qui passent le Gao Kao au mois de juin. Ils n’ont tout simplement pas de temps à consacrer à d’autres activités ; quantité d’exercices et d’examens blancs les attendent chaque semaine. Ce fait nous amène à l’élément le plus important du système éducatif chinois : le Gao Kao.
L’éducation au lycée en Chine et le Gao Kao
Dans cette partie, nous allons explorer des éléments essentiels dans le contexte éducationnel au lycée et essayer de définir le contexte dans lequel nous nous situons dans cette recherche. Dans une première partie, nous évoquerons le concours d’entrée dans les universités en Chine. Cet événement a un impact très important sur plusieurs aspects de la société ; nous pouvons retrouver nombre de représentations concernant ce sujet. Ainsi, une exploration sur le développement de ce sujet pourrait nous aider à mieux comprendre le contexte lycéen en Chine. Dans une deuxième partie, nous tenterons de résumer les caractéristiques de ce contexte en prenant en considération la place de ce système de sélection dans l’éducation au lycée. En nous appuyant sur les études concernant le Gao Kao, nous pouvons repérer certains effets positifs ou négatifs que ce système apporte à la fois à l’école et la société. Dans une troisième partie, nous analyserons le Gao Kao et son impact sur l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques au lycée en Chine. Pour illustrer cet impact, nous utiliserons comme références des documents réels issus du terrain. 1.1.1. Développement du système de sélection en Chine d’un point de vue historique Selon Kang, Tu et Du (), le concours sélectif remonte à la dynastie Han. Pour entrer à Tai Xue, équivalant de l’université actuelle, il fallait passer un concours qui avait lieu une fois tous les deux ans. C’est dire que l’examen d’entrée dans les universités a existé il y a plus de deux mille ans. Kang, Tu et Du () ont aussi mentionné que, pendant la dynastie Han, un réseau éducatif d’enseignement primaire (Yang, Xu), secondaire (Guo Xue) et supérieur (Tai Xue) couvrant tout le pays avait déjà été établi. À partir de cette époque, le système de sélection évalue les élèves au fur et à mesure de leur scolarité. A la fin de la dynastie Ming cependant, des bouleversements sociaux ralentissent le développement du système sélectif jusqu’à la fondation de la République Populaire de Chine. Nous pouvons constater de nombreux changements aujourd’hui : le système de sélection continue à se développer. Le concours actuel d’entrée aux universités en Chine, connu sous le nom de Gao Kao, se base sur l’ancien système de sélection chinois de la dynastie Qing, qui fut influencé par les idées occidentales. A la fin de la dynastie Qing, deux approches visàvis de l’enseignement supérieur ont émergé. L’une plus traditionnelle, est représentée par « 国子监 »2 (Guo Zi Jian) ; on attache plus d’importance à la performance d’un individu pendant l’enseignement qui précède l’examen final. Cela renvoie à l’idée d’un contrôle continu pour évaluer la performance. L’autre approche est représentée par les « 中国近代学堂 » (Écoles modernes de la Chine), qui ont repris les idées occidentales. Ces dernières sont de deux types. Les écoles « 洋务学堂 » (Écoles Yang Wu), mises en place par Zeng Guofan et Li Hongzhang, visent à introduire des connaissances occidentales en Chine. Les formations dispensées dans ces écoles touchent principalement trois domaines : celui des langues, des technologies et le domaine militaire. Dans cette approche on ne cherche pas réellement à réformer le système éducatif de l’époque ; l’objectif principal demeure l’introduction de connaissances avancées issues du monde occidental. Le système du concours sélectif n’étant pas encore standardisé, il se présente souvent sous la forme du concours traditionnel chinois, auquel sont ajoutées d’autres études plus modernes venues de l’Occident. De l’autre côté, Liang Qichao et Kang Youwei ont lancé la Réforme des Cent Jours, qui vise à apporter des systèmes modernes occidentaux à la société chinoise. Bien que cette réforme ait échoué, elle a effectivement permis l’apport de nouveaux éléments dans plusieurs champs de la société. Dans le champ éducatif principalement, où l’accent a été mis sur plusieurs domaines d’études qui touchent des sciences modernes comme la médecine, l’agriculture et l’économie ; l’ouverture d’écoles privées est encouragée. Parallèlement, ils réintroduisent des établissements d’enseignement supérieur dans chaque province. Parmi ces écoles figurent des « 时务学堂 » (École Shi Wu), dans lesquelles les étudiants étudiaient non seulement la littérature et la pensée chinoises, mais aussi la loi, l’histoire et les mathématiques. Leur méthode de recrutement ressemble davantage à celles employées aujourd’hui. Selon Kang, Tu et Du (), ces écoles recrutent publiquement leurs étudiants ; la sélection se fait sous la forme d’un concours d’entrée. La « 奏定各学堂考试章程 »3 (Kang et al., ), proposée par Zhang (张百熙) en 4, est considéré comme le premier programme qui définit le contenu et le système de classement en pourcentage pour établir la note d’examen. Il marque un tournant dans le système de sélection chinois, et des changements sont constatables sur plusieurs plans. 2 L’établissement de l’enseignement supérieur de l’ancienne Chine 3 Programme d’éducation : il s’agit du premier programme d’éducation de la Chine moderne qui définit les trois phases de l’éducation : primaire, secondaire et supérieure. D’après Kang et ses collègues (), le premier changement tient au fait que l’on attache désormais plus d’importance à la compréhension et l’application des connaissances : c’est là l’inverse de la méthode traditionnelle, qui souligne plutôt l’importance de la mémorisation et la récitation des connaissances. Concernant le contenu de l’enseignement, on attache moins d’importance à la littérature et la pensée classique chinoise ; on élève la position des sciences modernes dans l’enseignement secondaire. Concernant le contenu de l’examen, on le standardise, tout comme les matières étudiées dans l’enseignement secondaire, qui comprennent la littérature chinoise, les mathématiques, l’histoire et la géographie. En , le gouvernement chinois de l’époque publie le « 修正大学令 »4, qui exige que tous les élèves passent le concours d’entrée aux universités. En 38, la publication du « 师范学院规程 » (Régulations des écoles normales) précise que toutes les écoles normales doivent proposer le même concours pour recruter leurs élèves. Au même moment, la publication du « 统 一 招 生 办 法 大 纲 » (Programme unifié du recrutement d’élèves) définit la composition et les matières de l’examen. Le concours est composé de deux parties, une écrite et une orale. Pour la partie écrite, les matières obligatoires à l’examen sont précisées : la littérature chinoise, l’histoire et la géographie chinoises, l’anglais et les mathématiques. Dans l’ouvrage de Kang, Tu et Du (), nous pouvons aussi constater quatre phases de développement du concours d’entrée à l’enseignement supérieur sous la direction du Gouvernement National de la République de Chine. Au cours des années et 32, les établissements construisent leur propre concours d’entrée à l’école ; chaque établissement choisit ses propres élèves. Le contenu de l’examen variait donc grandement d’un établissement à l’autre. Au cours des années 33 et 37, le recrutement des élèves de chaque établissement est régulé, en appliquant des proportions fixes d’élèves aux différents parcours à tous les établissements. Le recrutement de chaque école est par conséquent restreint, à cause de cette limitation. Pendant les années 38 et 4, à cause de la guerre, un programme conjoint d’admission des universités ainsi que la création d’un comité de recrutement sont proposés. A partir de cette période, ce n’est plus l’établissement mais chaque région du pays qui conçoit le 4 L’ordre qui institue l’établissement du concours d’entrée de l’enseignement supérieur concours d’entrée à l’enseignement supérieur. La standardisation du contenu du concours se produit alors ; à l’époque, le ministre de l’éducation introduit également l’utilisation de la moyenne et de l’écarttype pour créer une manière d’évaluation standardisée. Enfin, de 41 à 49, le comité de recrutement unique est remplacé par plusieurs comités de recrutement, en fonction des différentes régions et établissements. A l’intérieur de chaque comité, on détermine de manière autonome le contenu des examens, les modalités de correction, et d’inscription des établissements. A partir de l’année 49, sous la direction du gouvernement de la République Populaire de Chine, le ministre de l’éducation a émis des programmes pour régulariser le recrutement des établissements de l’enseignement supérieur. Par contre, à partir de l’année 66, à cause des mouvements sociaux, les recrutements des universités ont été suspendu jusqu’à l’année 77. Dans l’ouvrage de Kang, Tu et Du (), à partir de l’année 77, nous pouvons récupérer cinq phases de développement du concours d’entrée aux universités. De 77 à 8, le recrutement dans l’enseignement supérieur reprend peu à peu. De 81 à 84, il s’agit d’une phase de conception d’un système sélectif adapté à la société de l’époque. En 85 et 9, des expérimentations sont menées dans la Province de Canton ; les résultats contribuent à la standardisation d’un système sélectif stable adopté de 91 à 97. Pour standardiser le concours d’entrée aux universités, de nombreux éléments qui favorisent la préparation de l’élève au concours, y compris le système de notation et le programme du Gao Kao sont explicités en termes de contenu, d’objectif et de structure, ce avant qu’il ait lieu. En même temps, à travers les recherches des années précédentes, un lien entre la compétence de l’élève et le contenu de l’examen pour chaque matière est établi.
Gao Kao et le contexte culturel à l’école en Chine
Pourtant, l’application avec succès de ce système de sélection exerce en même temps des influences sur le champ éducationnel. A la suite de ce succès se produit le phénomène de « 应试教育 » (Éducation pour réussir l’examen). Le développement de ce système de concours oriente fortement l’étude vers la poursuite d’une bonne note. Le programme de Gao Kao devient peu à peu plus important que le programme de chaque matière. Ce document devient un objet d’étude en soi, on cherchait constamment à y trouver des indices et en déduire des régularités concernant le contenu du concours. Du côté de l’enseignement, il a également eu des influences significatives. A court terme, pour chaque matière, on s’oriente vers l’acquisition de connaissances présentes dans le programme du Gao Kao et leur renforcement de la manière intensive avant le concours. A long terme, le centre de gravité des connaissances dans l’enseignement se déplace vers celles qui reviennent le plus souvent dans le concours. Comme la sélection humaine, même si dans notre cas, on sélectionne des connaissances en fonction de leur importance, celleci étant mesurée par les préférences des concours d’entrée aux universités. Cela touche non seulement l’enseignement, mais aussi l’apprentissage. Pour réussir l’examen, une bonne acquisition des connaissances ne suffit pas toujours. Les stratégies d’examen, l’état mental et même la condition physique jouent un rôle important. Par ailleurs, la réussite des élèves au concours devient au fur et mesure une sorte de publicité pour l’école, un critère d’évaluation qui détermine la réputation d’une école. Dans les écoles privées notamment, où une bonne réputation signifie des revenus en conséquence. Quand il s’agit d’écoles très réputées dans une région, le concours d’entrée à cette école de l’enseignement secondaire est déjà concurrentiel. Pour certaines, les frais d’études dépendent de la note que l’élève obtient au concours. Néanmoins, les parents ont tendance à soutenir économiquement leur enfant, même si les frais sont parfois très élevés. En revanche, dans le cas de familles disposant de revenus modestes, cela crée des inégalités, dans la mesure où leurs enfants ont moins de chances de pouvoir accéder à ces écoles secondaires. Pour ces enfants issus de familles moins aisées, ils n’ont en effet pas d’autre choix que de réussir le concours en obtenant une bonne note afin d’intégrer une école. Ainsi, l’effet négatif de ce système de sélection se manifeste sur plusieurs plans. Pour y répondre, le ministre de l’éducation a proposé « 高考改革建议方案 » (Proposition des réformes du concours Gao Kao) pendant l’année 97. En 99, un rapport sur la réforme et sur le recrutement des établissements supérieurs traduit le commencement d’une nouvelle phase de développement du concours d’entrée aux universités. A travers cette perspective historique, nous pouvons mettre en évidence deux points importants qui touchent le centre de notre sujet d’étude. Premièrement, nous pouvons voir que la place des mathématiques demeure centrale tout au long du siècle. Cela est strictement lié au contexte chinois et au développement de la Chine. Avec l’industrialisation et la modernisation du pays, les matières scientifiques sont de plus en plus valorisées ; or, elles nécessitent souvent une bonne connaissance mathématique. Ainsi, nous pouvons voir cette idée reflétée dans l’enseignement secondaire.
Résumé |