Structurer et animer une innovation organisationnelle
Les mécanismes et les acteurs de la diffusion de l’innovation
Dans cette section, nous abordons la littérature sur la diffusion des innovations (Sous-section 1), par les mécanismes en jeu (Sous-section 2).
Recensement théorique de la diffusion d’innovations
La littérature sur la diffusion spatio-temporelle d’innovations a largement été étudiée. En ce sens, nous évoquons différents modèles de diffusion identifiés dans la littérature tels la S-curve (Rogers, 1995) ou encore le « chasm » ou l’abîme (Moore, 1991, 2006) (1.1.). Dans un second temps, nous abordons les contextes favorables à la diffusion de pratiques innovantes (1.2.).
La diffusion : premiers travaux théoriques sur les innovations
Nous proposons d’étudier la littérature sur la diffusion des innovations et des enjeux sous-jacents abordés dans la littérature sur les organisations. Nous évoquerons tout d’abord les travaux majeurs, en exposant les différentes définitions théoriques, les enjeux et exemples liés à la diffusion (1.1.1). Ensuite, nous présenterons les spécificités liées à la diffusion des pratiques innovantes soutenues par des innovations organisationnelles et managériales (1.1.2.).
La diffusion d’innovations : premières définitions théoriques
La diffusion des innovations consiste en la dernière étape du processus d’innovation. Dans le cadre des innovations « classiques », un premier et large ensemble théorique s’est centré sur les mécanismes et les efforts de diffusion impliqués. Dans un premier temps, nous proposons d’étudier les fondements théoriques de la diffusion des innovations, au sens large, et ce que nous retirons comme enseignements pour notre recherche. Enfin, dans un second temps, nous proposons de nous focaliser sur la diffusion des innovations organisationnelles et managériales, qui intéressent plus particulièrement notre recherche. Notre recensement théorique visera à mettre en exergue les mécanismes et les efforts identifiés dans la littérature sur les organisations. La diffusion des innovations, au sens classique, a été largement abordée par Rogers, théoricien de la communication, dans ses travaux datant de 1995 et suivants. Avec plus de 100.000 citations3 et cinq éditions de son ouvrage du même nom, les travaux de Rogers abordent la diffusion comme « le processus selon lequel une innovation est communiquée par certains canaux dans le temps, parmi des membres d’un système social » (Rogers, 2003, p.5-6). L’auteur mobilise une approche de la diffusion par la communication d’idées ou de pratiques entre individus (ou une autre unité d’adoption) dont la conséquence peut être un changement social (Rogers, 2003, p.6). Nous proposons de revenir sur les différentes facettes de cette première définition. Premièrement, nous nous appuyons sur les deux dimensions diffusion d’une innovation selon Rogers (1995) : le temps et l’espace. La diffusion dans le temps se compose de cinq phases au cours desquelles des acteurs aux rôles distincts vont adopter et concourir à la diffusion de l’innovation. Dans le modèle de Rogers, la diffusion se mesure dans le temps et l’espace par les consommateurs. Nous reviendrons plus longuement sur les catégories d’acteurs concernés par la diffusion au point suivant. Deuxièmement, les canaux de communication issus des travaux de Rogers font référence à deux éléments complémentaires. D’une part, le biais par lequel deux individus communiquent ou la manière dont la communication s’opère : la communication peut être directe (face à face) ou encore virtuelle via internet. D’autre part, nous retenons de l’approche communicationnelle de Rogers, les difficultés à échanger et diffuser dans les situations les plus courantes caractérisées par l’hétérophilie des individus (au sens de la diversité) alors que la tendance des individus est de se rapprocher d’individus similaires (homophilie). En effet, l’hétérophilie des individus peut entraîner « des communications inefficaces, comme deux individus ne parlant pas le même langage » (Rogers, 2003, p.18) et freiner la diffusion. Selon Rogers (2003), le mécanisme de diffusion comprend deux formes d’activité : une diffusion planifiée et une diffusion spontanée de nouvelles idées (Rogers, 2003, p.6). Ces activités concourent à l’adoption d’une innovation. L’adoption d’une innovation dépend de plusieurs caractéristiques : l’avantage de l’innovation par rapport aux solutions existantes, la compatibilité de l’innovation (au sens de l’assurance de la pertinence de celle-ci pour prévenir son rejet), sa complexité à la comprendre et à l’utiliser, l’expérimentation cadrée (ou « triability ») de l’innovation pour limiter l’incertitude et apprendre par la pratique, et l’observabilité (degré de visibilité de l’innovation, au sens de la stimulation des discussions entre pairs, cf. Rogers, 2003, pp.15-16). Schéma 4 – La courbe de diffusion et son abîme (d’après Rogers, 1995 ; Moore, 1991) La typologie des consommateurs et la courbe de diffusion proposées par Rogers sont reprises par Moore (1991) éclairées du concept de « chasm », correspondant à une abîme ou un fossé entre deux marchés. Ainsi, l’abîme permet de distinguer deux raisons menant à l’adoption d’une innovation. La première raison justifiant et soutenant l’adoption d’une innovation est la sensibilité à la technologie des consommateurs. En reprenant la typologie de Rogers, les innovateurs et les adeptes précoces (« early adopters ») sont concernés par l’adoption pour raison technologique et représentent environ 16% de la population et par leur adoption provoquent la diffusion : « on les qualifie de diverses façons : adopteurs précoces (early adopters), pionniers, passeurs, portiers, traducteurs, cosmopolites, etc. Ces individus minoritaires prennent un risque considérable, celui de transgresser les normes : être le premier à faire quelque chose de nouveau amène à ne pas respecter les conventions établies, et toute société a tendance à sanctionner par l’exclusion ceux qui ne respectent pas les normes, soit les déviants. » (Alter, 2012, p.6). De l’autre côté de l’abîme, la majeure partie de la population reste à « conquérir » : la majorité précoce, la majorité tardive et les retardataires. L’intérêt de l’adoption réside dans la recherche de solutions ou de praticité de l’innovation. La majorité précoce représente près d’un tiers de la population et s’appuie sur les retours des premières adoptions avant l’achat. À ce stade, près de 50% de la population est devenue consommatrice du produit. La majorité tardive suit le mouvement d’adoption et se laisse séduire par les retours expérimentés sur le produit. La majorité tardive représente également un tiers de la population. Enfin, les retardataires sont les derniers consommateurs à se laisser convaincre d’acheter. Les retours expérimentés et l’efficacité prouvée du produit sont accompagnés d’une large disponibilité et d’un usage devenu courant du produit.
La diffusion des innovations : le parcours de l’innovation
Alors que les travaux de Rogers et Moore s’intéressent à la propagation spatio-temporelle des innovations et la conquête des consommateurs, les travaux de Garud et al. (2016) basés sur les travaux de Jolly (1997) (Schéma 8), tout comme Alter (2010), insistent sur la non-linéarité caractéristique du parcours d’une innovation. Nous retenons de ces travaux les efforts nécessaires pour encourager la diffusion de l’innovation, et ainsi favoriser son succès (au sens commercial pour les innovations « classiques », mais pas uniquement). Schéma 5 – Hauts et bas dans le parcours de l’innovation (« innovation journey »), d’après Garud et al. (2016, p.460) et Jolly (1997) La mobilisation des travaux de Garud et al. (2016) entre en cohérence avec l’analyse porterienne, à savoir la prise en compte de l’environnement dans la conception et la diffusion de l’innovation. En effet, de l’émergence de l’idée à la diffusion de l’innovation, un grand nombre d’acteurs se trouve à son contact et, pour aller plus loin, contribue à l’activité de diffusion de celle-ci. Nous reprenons les travaux questionnant les formes organisationnelles favorables à la diffusion telles que les clusters et les réseaux afin d’en comprendre les ressorts. La réinvention de l’innovation lors de sa diffusion est abordée par la littérature comme l’activité de certains acteurs à customiser et adapter l’innovation dans l’objectif de s’adapter à leur situation. Le concept d’adaptation ou de l’anglais « fit » est plus récemment mobilisé dans la littérature de la diffusion (Ansari et al., 2014). L’adoption peut être décidée au niveau individuel, communautaire ou organisationnel, voire à un niveau systémique (Rogers, 2003, p.21). Ainsi, plus le nombre d’individus impliqué dans la décision de diffusion (c’est-à-dire d’adoption ou de rejet de l’innovation) est élevé, plus la décision de diffusion est difficile à prendre.
Les contextes favorables au soutien et à la diffusion de pratiques innovantes
Dans cette partie, nous étudions les contextes favorables au soutien et à la diffusion de pratiques innovantes. Pour ce faire, nous regardons les innovations organisationnelles et managériales comme de tels contextes (1.2.1.) et ce qui se diffuse d’un contexte à un autre (1.2.2.).
Les innovations organisationnelles et managériales comme des contextes favorables
Dans le cas d’une innovation managériale, Birkinshaw et Mol (2008, p.832) identifient un processus récursif spécifique de l’innovation managériale mêlant dix activités (schéma suivant). Dans ce schéma, la récursivité est indiquée par des flèches à sens contraire, et les activités sont numérotées dans l’ordre correspondant au processus établi. La lecture du processus proposée par Birkinshaw et Mol. (2008) est mise en perspective à trois niveaux. Premièrement, les auteurs distinguent (1) l’influence des contextes organisationnels (liée au management interne) et environnementaux (en externe et institutionnel) pour chaque activité ; deuxièmement, les acteurs internes et externes en charge des activités et troisièmement, sous la forme d’un processus hybride en quatre phases : motivation, invention, implémentation et l’ultime phase de théorisation et d’étiquetage (au sens de l’anglais « labelling »).
INTRODUCTION |