De nos jours, quand nous évoquons la communication, il nous faut préciser à quoi nous faisons référence. D’une part, la communication peut être vue comme un moyen de transmettre des données, ce qui est un sujet très complexe et sophistiqué. Les moyens de communication modernes sont utilisés mondialement pour transmettre de manière quasi instantanée via la télévision, internet, ou les smartphones, des contenus très variés tels que les informations (souvent illustrées par des photos et des vidéos, ce qui peut faire beaucoup de données), des documents professionnels (de plus en plus de personnes travaillent à distance de nos jours), des films, de la musique, voire même des quantités insoupçonnées de photos de chats. Pour ce faire, et avec l’augmentation des flux de données, de nombreux outils théoriques et pratiques sont développés pour permettre ces échanges .
D’autre part, la communication peut être vue comme un « simple » échange entre deux personnes. C’est un moyen de transmettre des connaissances. Il y a ce besoin de compréhension mutuelle : si les personnes qui échangent ont un objectif commun, il est évident que communiquer peut être bénéfique pour l’atteindre. Dans le cas d’intérêts conflictuels, communiquer ses intentions peut également être utile d’un point de vue stratégique pour arriver à ses fins. Certains grands conflits historiques tels que la crise de Cuba (1962) n’auraient sans doute pas eu la même issue sans communication.
Que les objectifs des différents agents soient alignés ou non, l’absence de communication peut entraîner des conséquences désastreuses. Un des exemples les plus insolites, tiré de [37] est le suivant : sur une petite route de montagne en Italie, une petite section a été réduite à une voie. Les voitures arrivant de directions opposées passaient donc tour à tour via un accord implicite. Jusqu’à ce que deux voitures s’engagent en même temps et se bloquent mutuellement le passage. Refusant de reculer, et les voitures s’accumulant derrière, il fallut trois jours aux autorités italiennes pour faire disparaître cet embouteillage !
Communiquer est donc primordial dans bon nombre de situations, et peut prendre plusieurs formes :
• une forme explicite, comme par exemple fixer le lieu et la date d’un rendez-vous, ce qui de nos jours est grandement simplifié par les moyens de communication modernes, ou encore répartir les tâches dans un travail de groupe, et ce via un échange en face à face, téléphonique, de SMS ou par mail. Selon le contexte, ces deux exemples peuvent rendre compte d’objectifs communs ou non pour les agents : deux personnes qui ont pour objectif commun de passer du temps ensemble chercheront juste un accord sur l’heure et l’activité qu’ils feront ; en revanche, dans une entreprise, chaque individu peut avoir un objectif personnel plus ou moins éloigné de l’objectif général de son entreprise. Dans ce cas, la communication peut amener à réduire partiellement ou complètement le biais entre les objectifs .
Un autre exemple de communication explicite est l’action de freiner en voiture. En effet, l’appui sur la pédale de frein actionne instantanément les feux stop, qui signalent aux automobilistes situés derrière le véhicule que ce dernier freine et qu’il faut probablement freiner aussi pour éviter la collision. Bien que cet exemple fasse partie de la communication explicite, l’information « cette voiture est en train de freiner » n’est pas envoyée telle quelle, elle est codée en un message (les feux stop sont allumés). Comme nous le verrons dans ce manuscrit, coder l’information est primordial. Un dernier exemple de conflit où la communication a un rôle central est l’ultimatum. Nous pouvons citer l’un des plus célèbres, celui du 23 juillet 1914 de l’Autriche-Hongrie à la Serbie, qui entraînera, par le jeu des diverses alliances militaires de l’époque, la Première Guerre mondiale. Cet ultimatum est un exemple où le résultat de l’échange aboutit à la meilleure solution pour aucune des parties ;
• une forme implicite. Nous l’utilisons quotidiennement sans même nous en rendre compte. Un exemple basique est le simple fait de marcher dans la rue. En effet, quand deux personnes se retrouvent face à face, faire un mouvement pour indiquer de quel côté la personne va éviter l’autre est une forme de communication implicite : l’échange n’est pas verbal, il se fait via un mouvement, une action. Dans ce cas précis, l’action est interprétée de manière claire par la personne en face, qui pourra à son tour choisir le « bon » côté, celui qui permet d’éviter la collision. Il est important de souligner ici que nous avons supposé que la communication explicite à voix haute « Je vous évite par ce côté ! » n’est pas une option, car dans les faits, personne ne l’envisage.
La communication n’a pas toujours pour but d’améliorer la connaissance de celui qui reçoit le message. Parfois, c’est l’effet inverse et la communication amène à une plus grande incertitude sur l’information détenue par celui qui envoie le message, ce qui peut lui être bénéfique. Au football lorsqu’un tir au but s’apprête à être effectué, la position du gardien, la course d’élan du tireur ou encore la position de son pied font autant office d’actions que de messages, aboutissant à de la communication implicite. Par exemple, en 2002, MickaëlLandreau, alors gardien du FC Nantes, s’est positionné sur la gauche de son but (et non au milieu comme habituellement), envoyant alors un message qui perturba le tireur brésilien du Paris Saint-Germain Ronaldinho. Ce qui fonctionna puisque Landreau arrêta le tir au but.
La théorie de l’information modélise la communication au sens technique du terme. La signification du message que nous voulons transmettre n’a que peu d’importance. La sémantique est exclue de cette théorie, l’essentiel étant de transmettre des messages de manière fiable. Pour ce faire, la communication est modélisée par différentes composantes : sources d’information, émetteurs, récepteurs, canaux de transmission (possiblement bruités), relais, etc. Grâce à cette modélisation, nous sommes en mesure de connaître les capacités théoriques de transmission d’information d’un certain nombre de systèmes. Par exemple, nous savons que le taux minimal de compression d’une source est égale à l’entropie de la variable aléatoire correspondant à cette source , et qu’il existe un code qui atteint ce taux minimal. Nous connaissons aussi la capacité maximale d’un canal de transmission point à point . De nos jours, avec l’augmentation du nombre d’échanges d’information, il est très important de savoir comment transmettre une information de la manière la plus concise possible, tout en gardant une grande fiabilité (typiquement une probabilité d’erreur au décodage proche de zéro). D’autre part, ce genre de résultats, ainsi que les techniques de codage de source et de codage canal, nous seront très utiles dans cette thèse, que ce soit pour la communication implicite ou explicite. En effet, lorsque nous sommes dans une configuration où la communication est faite de manière explicite, l’information est codée, compressée en un certain nombre de messages qui seront envoyés au récepteur. Nous ferons ici des liens avec la quantification, lorsque le nombre de messages qui peuvent être transmis est bien plus petit que le nombre d’états de la source. Il nous faudra créer un codage de la source d’information pour utiliser le système de manière optimale. Dans le cas de la communication implicite, les actions prises par un agent deviennent des messages, qui seront interprétés par un autre agent. Les messages sont donc codés en actions. Le nombre d’actions pouvant être plus petit que le nombre de messages à transmettre, il y a un besoin de compression des messages de la source. Grâce à la théorie de l’information, nous pouvons savoir comment coder ces messages de manière optimale.
Chapitre 1 Introduction |