Stratégies et tactiques au sein de la société de consommation

Cours stratégies et tactiques au sein de la société de consommation, tutoriel & guide de travaux pratiques en pdf.

Emission et réception (1/2) : le modèle classique

Il y a déjà presque vingt ans, Andrea Semprini, contestait la distinction proposée par Jean-Noël Kapferer entre « l’identité de marque », constituée de l’ensemble des signes émis par l’entreprise et « l’image de marque », engendrée par la réception de ces signes par les consommateurs. Il soulignait l’erreur qui consiste à assigner exclusivement à l’entreprise la paternité de son identité de marque, dans la mesure où le contexte de réception et l’interprétation des signes par les destinataires, transforment toujours cette identité et requalifient en permanence la signification des messages de la marque. Semprini proposait alors de concevoir l’identité de marque selon un modèle contractuel de la communication, comme étant l’œuvre d’une interaction incessante entre un système de production et un système de réception.Mais si ce modèle contractuel reconnaît bien au consommateur (ou « pôle de réception ») un rôle décisif dans la définition de l’identité de la marque, l’asymétrie structurelle qu’il postule entre production et réception n’en reste pas moins évidente : l’entreprise parle, son public écoute, l’entreprise le sonde, ajuste son message et reprend la parole. Communication, monitoring, communication : les consommateurs valident ou rejettent les propositions que l’entreprise leur soumet, ils enrichissent ces propositions de leur perception, de leur imaginaire, de leur expérience, mais ils ne formulent d’eux-mêmes aucune proposition propre. Ainsi, parler comme le fait Semprini de « dialectique » ou d’ « intersubjectivité » risque de semer la confusion : il n’y a pas de dialogue entre la marque et ses cibles. Au contraire, la parole des consommateurs est enregistrée à distance par des dispositifs d’études qualitatives ad hoc2, qui l’analysent, détectent les écarts entre les intentions de la marque et l’interprétation du public, et alimentent enfin la réflexion stratégique qui débouchera sur de nouvelles campagnes.

Emission et réception (2/2) : la route tourne

Cette asymétrie entre les rôles respectifs de l’entreprise et des consommateurs dans la production du discours de marque n’est cependant pas un absolu. Elle dépend en réalité des moyens de communication auxquels ont accès entreprises et consommateurs. A l’arrière-plan du système sémiotique décrit par Semprini, un système médiatique distribue les rôles au sein d’une économie « verticale » de la communication, où tandis que les entreprises ont accès à l’espace public, et diffusent leurs messages à grande échelle, les consommateurs y occupent une position subalterne d’écoute, de réception, et ne sont producteurs de signes que dans la sphère privée.

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Le réel : une nouvelle donne pour les marques ?

Les modes de communication que les entreprises vont devoir inventer pour continuer de séduire et de convaincre, avec cette nouvelle contrainte du partage nouveau, et à priori plus égalitaire, de l’espace public, sont sans doute encore largement inconnus. On peut néanmoins dégager trois grandes tendances esquissant un nouveau cadre de référence pour le discours de marque, où le réel, objet par excellence de l’opinion publique qui se manifeste dans les échanges entre internautes, reprend ses droits sur l’imaginaire et le symbolique, chasses gardées de la marque dans la théorie sémiotique classique.
La marque entreprise: première conséquence de la démocratisation de la parole publique, la marque et l’entreprise ne se distinguent plus très nettement. Tout ce que la marque dit d’elle-même, sur un plan imaginaire ou symbolique, est systématiquement mesuré à l’aune de données réelles concernant l’entreprise, ses dirigeants, ses résultats économiques, les conditions de production et de travail, ou encore son Histoire. A présent que l’information est diffusée, rediffusée, et discutée à l’infini, sur les sites des quotidiens de presse écrite où les lecteurs commentent les articles et les commentaires des autres lecteurs, ou sur des réseaux comme Twitter où chacun est virtuellement dans la position d’un journaliste de terrain postant les dépêches du jour, la portée d’affaires comme le scandale Woerth-BanierBettencourt, la vague de suicides chez Orange, ou encore la mise en accusation de grands cadres (soupçonnés d’avoir trahi le secret industriel) chez Renault, est nécessairement décuplée et structure plus lourdement la perception de toute communication signée L’Oréal, Orange ou Renault. De même, la surexposition de Marc Zuckerberg, réputé gourou manipulateur et machiavélique, ne peut que rejaillir sur l’image de la marque Facebook, certainement moins évocatrice de l’album photo des amis de fac (ce que le nom Facebook connote à l’origine) que d’un effrayant observatoire orwellien. Cela ne veut pas dire que la marque ne peut plus communiquer que sur la réalité de l’entreprise, mais que dans le choix des signes qu’elle émet, elle est sans doute moins libre qu’autrefois et que, pour reprendre l’expression de Semprini, les « mondes possibles » que sont les marques ne peuvent plus être aussi éloignés du monde réel qu’ils ne l’ont été, et enfin, qu’à l’heure de l’hypermédiatisation, les messages de marque sont condamnés à être interprétés à côté des messages qui circulent à propos de l’entreprise bien réelle, et sans doute à travers eux.

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