Stabilité asymptotique des fronts d’invasion dans les équations de réaction-diffusion
Réaction-diffusion
Les équations de réaction-diffusion sont des équations paraboliques semi-linéaires, qui modélisent l’évolution d’une population d’individus au cours du temps et dans l’espace. Les premiers modèles considérés sont de la forme ∂tu = D∆u +R(u). L’inconnue u(t, x) ∈ R n modélise les nombres d’individus u1,…,un de chacune des espèces, à l’instant t ∈ (0,+∞) et à la position x ∈ Ω, où Ω est un ouvert de R d . La dynamique de cette population est gouvernée par deux phénomènes. Premièrement, les individus se déplacent de façon homogène en espace, suivant un mouvement brownien. Lorsque le nombre d’individus devient grand, ce mouvement fait apparaître le terme de diffusion D∆u, où la matrice de diffusion D est diagonale – à coefficients diagonaux strictement positifs – et où le laplacien est défini par ∆ = ∂ 2 x1 + ··· + ∂ 2 xd . Deuxièmement, le nombre d’individus en un point donné est susceptible de varier, notamment par des naissances, des morts, des compétitions entre espèces ou par une pression venant de l’environnement. Toujours dans la limite d’un grand nombre d’individus, ce phénomène fait apparaître le terme de réaction R(u), où R : R n → R n est souvent une fonction polynomiale. Une dérivation formelle de ces équations est expliquée plus en détails dans [Roq13, chapitres 1 et 2].
Stabilité asymptotique
L’équation présentée au paragraphe précédent s’écrit sous la forme d’une équation d’évolution ∂tu = F(u), pour une certaine application F. Par analogie avec les équations aux dérivées ordinaires (EDO), on dit que u¯ est un équilibre si F(u¯) = 0. Ceci assure que u(t) = u¯ est une solution constante de l’équation ci-dessus. On dit de plus que l’équilibre u¯ est stable si pour tout ε > 0, il existe un δ > 0 tel que : si on se fixe une condition initiale u0 qui soit δ proche de u¯, alors la solution associée u(t) est ε proche de u¯ pour tout temps. Par opposition, on dit que l’équilibre u¯ est instable s’il n’est pas stable, c’est à dire s’il existe ε > 0 tel que pour toute condition initiale u0, la solution u(t) associée n’est pas ε proche de u¯ pour au moins un temps t. Enfin, on dit de l’équilibre u¯ qu’il est asymptotiquement stable s’il est stable, et qu’en plus d’être majorée par ε, la distance entre la solution u(t) et l’équilibre u¯ tend vers 0 quand t → +∞. Pour les problèmes qui nous intéressent, l’inconnue u appartient à un espace de dimension infinie. Plusieurs choix sont donc possibles pour mesurer la distance entre u(t) et u¯. On utilisera les espaces de Sobolev W k,p(R), et plus particulièrement L ∞(R). Dans ce contexte, un résultat générique sera de la forme suivante. Theorem A. Il existe C et δ des constantes strictement positives telles que : si une condition initiale u0 s’écrit u0 = u¯ + v0 avec kv0kY ≤ δ, alors la solution de (1.1.2) avec condition initiale u0 existe pour tout temps, et s’écrit u(t) = u¯ + v(t), où la perturbation v vérifie kv(t)kX ≤ C h(t) kv0kY . La fonction h : (0,+∞) → (0,+∞) est appelée taux de décroissance, et on s’attend à ce que h(t) → 0 quand t → +∞. Les normes k.kX et k.kY dépendront du problème considéré, il se trouve que nous utiliserons des espaces de Sobolev à poids : kv(t)kX def = kv(t)ω−1 kL∞(R) . On renvoie à la fin de la section 1.4.2 pour des définitions de ces poids.
Fronts d’invasion
Un exemple largement étudié, et tout à fait représentatif du contenu que l’on présentera, est l’équation de Fisher, Kolmogorov-Petrovsky-Piskunov (KPP) ∂tu = d∂xxu + ru 1 − u K . Cette équation scalaire (n = 1) de réaction-diffusion a été introduite simultanément dans [Fis37] et [KPP37]. Elle modélise une population soumise à un taux de naissance r constant et à un taux de mort ru K proportionnel à la taille de la population. Les constantes strictement positives d et K représentent respectivement le taux de diffusion de l’espèce, et la capacité d’accueil de l’environnement. Un changement d’échelle – en temps, en espace et de la solution – permet de Figure 1.1 – Solution de l’équation de FKPP pour une condition initiale à support compact (en rouge avec petits pointillés). À t = 12, la solution est proche de la concaténation de deux fronts (en bleu avec grands pointillés). À t = 24, chacun de ces deux fronts s’est propagé à vitesse constante vers la droite ou la gauche (en vert avec trait plein). Des temps intermédiaires équidistants sont représentés en traits rouges fins, les abscisses varient entre 0 et 200. se ramener à l’équation adimensionnée ∂tu = ∂xxu + u(1 − u). (1.1) Cette EDP admet deux solutions constantes : u(t, x) = 1 et u(t, x) = 0. Elles sont respectivement asymptotiquement stable et instable. 1 D’autre part, (1.1) admet des solutions en forme de fronts u(t, x) = qc (x − ct) se déplaçant à vitesse c et avec un profil qc . Theorem B ([KPP37], [AW78]). Pour tout c ≥ 2, il existe une fonction qc : R → (0,1), solution de 0 = ∂yyq + c∂yq + q(1 − q), (1.2) qui soit de classe C ∞ et qui connecte les deux états constants à l’infini : lim y→−∞ qc (y) = 1, lim y→+∞ qc (y) = 0. L’équation (1.1) est précisément étudiée pour ces solutions en forme de front. En effet, lorsque la condition initiale est à support compact – ce qui peut représenter biologiquement un patch de population – la solution ressemble après un certain temps à la concaténation de deux fronts qui se propagent vers +∞ et −∞ à la vitesse la plus faible c∗ def = 2, voir la figure 1.1. De même, si la condition initiale a un comportement spatial proche du front qc à l’infini – par exemple si u0(x) ∼ qc (x) quand x → +∞ – alors la solution ressemble après un certain temps à un front de vitesse c. Voir [RR18, section 1.1] pour une discussion plus précise. Dans les deux cas, l’espace vide (état u = 0) est progressivement envahi par l’espèce considérée (état u = 1), on parle donc de fronts d’invasion. 2 D’un point de vue biologique, comprendre précisément des modèles comme (1.1) permet de prédire la vitesse d’invasion d’une espèce en fonction de la répartition initiale de la population, ou des coefficients d, r, et K. Pour finir, le théorème B montre également que chaque profil qc est monotone, et unique à translation près. 3 De plus lorsque c ∈ (0,2), il existe encore des solutions de (1.2) connectant 1 à 0 mais celles-ci ne sont ni positives, ni monotones. Voir la figure 1.2.
Résumé |