Spectroscopie X de plasmas chauds et denses générés par lasers UHI et XFEL

Spectroscopie X de plasmas chauds et denses générés par lasers UHI et XFEL

La spectroscopie X 

A la fin du XIXe siècle, un autre phénomène fait s’interroger la communauté scientifique. En 1869, les rayons cathodiques, générés par l’impact de cations sur une cathode, sont découverts par Hittorf et étudiés en détail par Crookes[3]. Reprenant l’expérience en 1895, Röntgen rend luminescente une plaque photosensible placée derrière une paroi. Il décide alors de tester différents obstacles et remarque que la luminescence évolue en fonction de leurs épaisseurs. C’est grâce à cette intuition que Röntgen découvre des rayons encore inconnus, invisibles et très pénétrants, qu’il appelle rayons X [4,5]. S’en suit la première radiographie effectuée sur la main de sa femme. Les premières unités de radiologie ouvrent en 1897, comme celle de Béclère en France. Röntgen reçoit le premier Prix Nobel de Physique en 1901. A la suite de cette découverte, il faut attendre les observations de De Broglie en 1913 pour qu’un spectre X soit obtenu[6]. Ce décalage de presque 20 ans entre la découverte des rayons X et leur décomposition en spectre est dû à une contrainte technique. Il est en effet impossible d’utiliser des réseaux de diffraction pour ce type de rayonnement. La longueur d’onde des rayons X est trop petite pour être diffractée par des fentes. Ainsi, l’utilisation de cristaux possédant une structure géométrique parfaite et de distance interatomique du même ordre de grandeur que la longueur d’onde des rayons X est mise au point. Durant son expérience, De Broglie monte un cristal sur un goniomètre et réussit à diffracter des rayons X de différentes énergies en suivant la loi de Bragg, publiée en 1913[7-9] : (1.2) Où dhkl est la distance interatomique du cristal définie par son indice de Miller hkl, q l’angle de Bragg, l la longueur d’onde, E l’énergie du rayon incident, n l’ordre de diffraction et h = 6,626.10-34 J.s est la constante de Planck (hc = 12,3984 Å.keV). 1 c = RZ2 ( 1 n1 2 − 1 n2 2 ) 2dhkl sinθ = nλ = n hc E Chapitre 1 – État de l’Art 4 Il faut noter que par cette formule, chaque longueur d’onde (ou énergie) diffractée l’est pour un angle donné. Il s’agit d’une approximation. Pour être plus juste, il est nécessaire de considérer une largeur angulaire Dq, dite de Darwin. C’est au sein de celle-ci qu’une longueur d’onde donnée est diffractée. La théorie de la diffraction dynamique permet de calculer Dq[10,11]. Par ces résultats, De Broglie est le premier à mesurer l’absorption des rayons X par le seuil K de l’Argent et du Brome. Ces derniers étaient contenus dans le film photographique utilisé pour enregistrer le spectre. En 1913 également, Moseley publie sa loi empirique décrivant les énergies de plusieurs raies caractéristiques et établit une proportionnalité en Z2. Ces raies, générées par fluorescence X (XRF), sont dénommées Ka et La selon la notation de Siegbahn . Cette étude a pour la première fois mis en avant que la masse atomique n’est pas un paramètre clé pour les propriétés physiques et chimiques des éléments. Mais qu’au contraire ces propriétés dépendent du numéro atomique, Z. Moseley est ainsi considéré comme le père du tableau périodique des éléments sous sa forme actuelle. En effet, la forme de Mendeleïev classe les éléments par masse atomique. C’est en 1916 que le premier spectromètre X fonctionnant sous vide est mis au point par Siegbahn et Stenström . Cet outil permet de grandes avancées dans la mesure des seuils K et L dans les années 1920 et 1930 . Les premières techniques de mesure de spectres X n’utilisent que des cristaux plans et des schémas géométriques basiques . Ces derniers, bien que très pratique car d’utilisation simple, ne permettent d’obtenir ni de bonnes résolutions spectrales ni un signal important sur le détecteur. Ainsi, durant les années 1930, différentes techniques, toujours utilisées de nos jours, sont mises au point par des chercheuses et chercheurs tels que Cauchois, Johann ou Von Hamos . Ces méthodes sont basées sur l’utilisation d’optiques courbes (sphériques, cylindriques, etc.) en réflexion ou en transmission. Dans le premier cas, on parle d’optique de Bragg (Figure 1a). Dans le second, d’optique de Laue (Figure 1b). Jusque dans les années 1970 et l’arrivée des lasers et des synchrotrons, la spectroscopie X d’émission n’est étudiable que dans des milieux solides. Les recherches sont alors uniquement centrées sur l’observation de phénomènes liés à l’ionisation collisionnelle par électrons, ou à la distribution de photons émis par des tubes X ou des sources radioactives. 

Applications dans les plasmas 

Définition

 Un plasma peut être défini comme un milieu gazeux suffisamment ionisé pour devenir hautement conducteur électrique. Ainsi, l’influence de champs électriques et magnétiques domine son comportement par des effets collectifs. Les plasmas se trouvent partout dans la nature dans des conditions de température et de densité très différentes. Sur Terre, les éclairs sont des plasmas dits de décharge et les aurores boréales (ou australes) des plasmas froids très peu denses générés par l’interaction de particules solaires avec l’atmosphère. Ces aurores émettent d’ailleurs des raies dites interdites grâce à la quasi-absence de collisions dans ces plasmas. Dans l’Univers, les nébuleuses sont également des plasmas froids de densité extrêmement faible. A l’opposé, les cœurs des étoiles sont des plasmas chauds et denses où se produisent des réactions de fusion nucléaire. Les plasmas sont pour la première fois identifiés par Crookes en 1879  puis décrits une nouvelle fois par Thomson en 1897 . C’est Langmuir qui en 1928 utilise le nom plasma pour la première fois . La recherche autour des plasmas est devenue en 90 ans un domaine très étudié en physique. La gamme de température de plusieurs millions de degrés Kelvin et la gamme de densité de plusieurs dizaines d’ordres de grandeur rendent le nombre d’applications très important et interdisciplinaire. De la médecine  à la géologie  en passant par l’industrie  ou encore l’astrophysique  et la fusion nucléaire.

La spectroscopie d’émission 

X (XES) des plasmas Bien qu’au XIXe siècle la nature des étoiles soit encore très peu comprise, les premiers spectroscopistes ont réalisé des études liées aux plasmas sans le savoir. Ainsi, le premier spectre observé de manière détaillée par Fraunhofer est celui du Soleil. Secchi, lui, établit différentes classes d’étoiles. Cependant, hormis les spectres d’objets stellaires, la spectroscopie de plasmas est restée quasi inexplorée jusqu’à l’arrivée dans les années 1960 de la technologie laser, acronyme anglais de Light Amplification by Stimulated Emission of Radiation. Einstein énumère le principe en 1916  qui est validé expérimentalement par Winter, Brossel et Kastler en 1952 . Ce dernier obtient d’ailleurs le prix Nobel de physique pour ces travaux en 1966. A partir de l’invention du laser, il est possible de chauffer la matière en focalisant des impulsions de quelques nanosecondes (ns) sur la cible. Ce chauffage par laser permet ainsi de développer plusieurs techniques pour étudier la composition du matériel chauffé. Parmi elles, la méthode LIBS, Laser-Induced Breakdown Spectroscopy, fait office de référence[48]. Cependant, ces techniques ne concernent que les plasmas froids. L’étude des plasmas chauds et denses par spectroscopie X a nécessité des progrès en science des lasers et la construction de grands instruments spatiaux. A partir des années 1970 des satellites équipés de spectromètres X à haute résolution sont envoyés en orbite terrestre. Ces derniers récoltent de précieuses données sur les phénomènes se produisant au sein du Soleil, lors desquels de nombreuses raies X peuvent être observées[49]. Ces études ne sont pas réalisables depuis la surface terrestre à cause de l’absorption des rayons X par l’atmosphère. Ainsi, depuis ces années, de nombreux spectromètres X sont déployés pour comprendre de multiples phénomènes astrophysiques[50-52]. Dans cette lignée, une nouvelle branche d’étude existe depuis maintenant une vingtaine d’années et ne cesse de se développer. Il s’agit de l’astrophysique de laboratoire dont l’objet est de recréer via des moyens accessibles sur Terre des conditions proches de celles observées dans l’Univers[53]. Au sein de cette thématique, l’utilisation de moyens spectroscopiques X est primordiale[54]. L’autre moteur qui fait avancer les études spectroscopiques X des plasmas chauds et denses est lié à la recherche sur la fusion nucléaire. Les fusions nucléaires par confinement inertiel (FCI) et par confinement magnétique (FCM) sont les plus concernées. L’arrivée d’installations lasers de haute énergie dédiées à cette recherche à partir de la fin des années 1960, notamment L5 au CEA de Limeil, marque la XES et va permettre son développement rapide. La cible utilisée est chauffée et compressée par l’action des rayons X[55]. Ainsi, la recherche sur la FCI dépend essentiellement de la capacité à mesurer le rayonnement et les phénomènes par lesquels il est induit. Par exemple, la génération d’électrons suprathermiques, ou chauds, lors de l’interaction laser-matière a d’importantes conséquences sur la compression de la cible[56,57].   Les autres techniques de fusion, développées dans des installations telles qu’ITER en France pour la branche magnétique ou la Z-Machine aux États-Unis pour la branche Z-pinch, utilisent toutes la XES pour une partie de leurs diagnostics[58,59]. En 1985, arrive une importante découverte en physique des lasers. Strickland et Mourou réussissent à appliquer la technique d’Amplification par Dérive de Fréquence (CPA), déjà utilisée dans les technologies radar, aux lasers de puissance[60]. Ils obtiennent le prix Nobel de physique en 2018 pour leurs travaux. Les frontières en termes de puissance laser peuvent ainsi être dépassées. Cette technique basée sur l’étirement puis la recompression d’un faisceau laser permet son amplification sans risque pour les optiques de la chaîne laser. Depuis cette date, plusieurs régimes de lasers de puissance ont été développés avec des énergies allant de la centaine au million de Joules et des durées d’impulsion de la dizaine de nanosecondes (ns) à la dizaine de femtosecondes (fs). Ces multiples régimes entraînent la création de plasmas aux conditions physiques très différentes. En complément de ces lasers de puissance, une nouvelle source de rayons X offre des possibilités innovantes pour sonder la matière en condition extrême au début des années 1970 : les synchrotrons. L’arrivée de telles machines, comme la Stanford Synchrotron Radiation Lightsource (SSRL) au SLAC à Stanford, ouvre le champ des possibles dans l’application de la XES: que ce soit pour étudier la matière solide ou un plasma préalablement chauffé à l’aide d’un laser optique. Pour la première fois, les chercheurs ont à leur disposition une source X de haute brillance, pour laquelle l’énergie des rayons peut être facilement modulée, la polarisation modifiée, etc.[61]. De même, il devient possible de focaliser le faisceau X en une tache de quelques microns et d’obtenir des faisceaux monochromatiques avec des dispersions énergétiques très faibles (DE/E » 0.02%). Grâce au rayonnement synchrotron, les physiciens atomiques sont ainsi capables d’étudier les phénomènes de photo-pompage résonant (RXES) et de création d’ions creux, notamment au sein des plasmas chauds et denses[62-64]. Cependant, la durée d’impulsion (de l’ordre de plusieurs dizaines de picosecondes (ps)) ne permet pas de réaliser d’études temporelles d’évolution des plasmas. Depuis la fin des années 2000, des instruments de pointe sont disponibles pour réaliser de nouvelles études de physique atomique basées sur la spectroscopie X d’émission. Cette source, appelée Laser X à Électrons Libres (XFEL) et dénommée 4e génération de source de lumière, offre la possibilité de réaliser des études de dynamique ultra rapide en irradiant un plasma avec une impulsion X. Les XFEL, descendants des traditionnels FEL tels que FLASH à Hambourg, permettent l’obtention de faisceaux X ultra courts, de l’ordre de la dizaine de femtosecondes (fs)[65,66]. Ainsi, l’étude temporelle de plasmas chauds et denses devient possible en modifiant le retard entre laser optique et XFEL[67]. De plus, la fluence particulièrement importante (>1012 photons/impulsion) ainsi que la quasi parfaite cohérence spatiale du faisceau ouvrent de nouvelles opportunités quant à l’étude de phénomènes encore jamais observés

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Table des matières

Résumé
Remerciements
Table des Figures et des Tableaux
Table des Abréviations
État de l’art
1. La spectroscopie
2. La spectroscopie X
3. Applications dans les plasmas
a. Définition
b. La spectroscopie d’émission X (XES) des plasmas
4. Quels défis pour la XES dans les plasmas chauds et
denses ?
Références
Méthodes spectroscopiques pour l’étude des plasmas
1. Les dispositifs à transfert de charge (CCD) en milieu
fortement radiatif
a. Fonctionnement du capteur
b. Intérêt en spectroscopie X pour l’étude des plasmas chauds et denses
i. Avantages des caméras CCD
ii. Inconvénients des caméras CCD
2. Procédé algorithmique de mesure de signaux de très
faibles intensités
a. Principe général du comptage de photons uniques (SPC)
b. « Fast Photon Analysis » (FPA), développement d’un code rapide et flexible
i. Paramètres de FPA, entrées et sorties
ii. Précision de FPA
iii. Vitesse de FPA
3. La géométrie de Johann
a. Principe général
b. Focusing Spectrometer with Spatial Resolution (FSSR), un spectromètre pratique et de hautes résolutions
i. FSSR-1D
ii. FSSR-2D
Références
Étude spatiale des états de charge de couche M en milieu plasma généré par laser de haute énergie (ns-kJ)
1. Propriétés des lasers de haute énergie
a. Temps d’impulsion long (ns)
i. Expansion du plasma
ii. Équilibre Thermodynamique Local (ETL) et Équilibre Collisionnel Radiatif (ECR)
b. Haute énergie (kJ)
2. Décalage de l’émission X des états de charge de couche
3d-ouverte
a. Caractéristiques du Prague Asterix Laser System (PALS)
b. Électrons suprathermiques et ionisation collisionnelle
i. Définition
ii. Distribution non-maxwellienne
iii. Ionisation collisionnelle et raies Ka / Kb
c. Procédé expérimental
d. Dépendance angulaire de l’émission des états de charge de la couche M
i. Structure d’un spectre X de plasma chaud et dense
ii. Cinétique atomique du plasma
iii. Structure M froide
iv. Dépendance angulaire de l’émission de la structure froide M
3. Simulation de l’émission des états de charge
a. Méthode Multi-Configuration-Hartree-Fock (MCHF)
b. Synthétisation du spectre
c. Simulation d’un spectre X de Cuivre
i. Constitution du fichier de niveaux atomiques
ii. Interprétation des structures simulées
iii. Simulation du spectre total
iv. Observation du décalage vers les basses énergies de la structure M froide
4. Une seconde expérience de précision
a. Caractéristiques du laser NANO2000
b. Procédé expérimental
i. Une configuration spectroscopique particulière (FSSR HiSp-1D)
ii. Implémentation en chambre expérimentale
c. Résolution spatiale de la structure M froide
i. Structure spatiale
ii. Synthétisation du spectre
d. Comparaison avec des conditions expérimentales différentes
e. Perspectives
Références
Étude d’une distribution d’états de charge en milieu plasma
généré par laser UHI
1. Propriétés des lasers Ultra-Haute Intensité (UHI)
a. Temps d’impulsion court (fs)
i. Expansion de l’émission X du plasma
ii. Cinétique des plasmas hors équilibre
b. Haute puissance
c. Caractéristiques du laser JETI40
2. Procédé expérimental
a. Impact des impulsions électromagnétiques (IEM)
b. Configuration expérimentale
i. Cibles
ii. Optiques du laser
iii. Implémentation du FSSR
3. Extrême largeur de la distribution d’états de charge
a. Mesure et reconstruction spectrale
b. Extrême largeur de la distribution des états de charge
c. La raie Kb comme séparateur de l’émission M froide
i. Spectre expérimental
d. Perspectives
Références
Première étude de la redistribution de fréquences et de
populations par seeded XFEL dans un plasma dense
1. Les Lasers X à Électrons Libres (XFEL) : d’excellents
outils pour la physique atomique
a. Propriétés des XFEL
i. Self-Amplified Spontaneous Emission (SASE)
ii. Hard X-Ray Self-Seeding (HXRSS)
b. Interaction avec la matière
i. Photo-ionisation
ii. Photo-excitation
iii. Photo-pompage résonant
c. Un exemple d’étude : la cinétique des plasmas
2. Contexte scientifique de l’expérience
a. Levée de dégénérescence et effet Stark
b. Étude des redistributions et confrontation de la théorie
i. Contexte scientifique
ii. Photo-pompage résonant et redistribution de fréquences
3. Expérience préliminaire de mesure de l’émission X du
Vanadium (Z = 23)
a. Intérêt scientifique de l’expérience
i. Une CCD comme outil de comparaison
ii. Étude de l’état de charge Héliumoïde du Vanadium (Z = 23)
b. Procédé expérimental
4. Préparation et configuration expérimentale de
l’expérience au LCLS
a. Paramètres du XFEL
b. Paramètres du laser optique
c. Design de la cible
d. Installation des optiques
i. Lentilles de Béryllium (Be lenses)
ii. Optiques de transport du laser
iii. Imagerie en contraste de phase
iv. Contraintes géométriques posées
e. Diagnostics spectroscopiques
i. Le FSSR comme outil de mesure de la série de Rydberg
ii. Un spectromètre de Von Hamos comme outil de surveillance
5. Étude des raies de la série de Rydberg Héliumoïde du
Vanadium (Z = 23) par seeded XFEL dans un plasma dense
a. Étude du gradient de densité électronique ne au sein du plasma
b. Étude de la redistribution de populations
i. Cas de la raie Hed
ii. Cas de la raie Heg
c. Redistribution de fréquences au sein de la raie Heg
d. Comparaison de la redistribution des raies de la série entre plasma optique et photo-pompé
e. Perspectives
Références
Conclusion et Perspectives
Annexes

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