Spéciation du mercure dans les produits de la pêche
Au cours des dernières décennies, de nombreuses revues de synthèse abordant la spéciation du Hg ont été publiées (Cano-Pavon et al, 1999, Carro et Mejuto, 2000, Harrington, 2000, Bouyssiere et al., 2002, Siepak et Boszke, 2004, Leermakers et al., 2005, Stoichev et al., 2006, Bjorn et al., 2007). Les méthodes analytiques développées font intervenir toutes sortes de techniques de préparation d‟échantillon (solide-liquide (SLE), extraction assistée par micro-ondes (MAE), micro-extraction sur phase solide (SPME), etc.) (Sparr Eskilsson et Bjorklund, 2000, Gomez-Ariza et al., 2001, Diez et Bayona, 2008, Issaro et al., 2009), de séparation (chromatographie en phase gazeuse (GC), chromatographie en phase liquide (HPLC), etc.) (Carro et Mejuto, 2000, Harrington, 2000) et de détection (spectrophotométriques, spectroscopies atomiques, spectrométrie de masse (MS), etc.) (Lobinski et Adams, 1997, Bjorn et al., 2007). L‟apparition de la spectrométrie de masse couplée à un plasma induit (ICP-MS) dans les années 90 a permis d‟améliorer considérablement les performances analytiques et la qualité des mesures. La lecture de l‟ensemble de ces travaux montre que l‟utilisation d‟une séparation par GC et d‟une détection par ICP-MS est le couplage le plus répandu, en raison de ses capacités multi-élémentaires, de sa large gamme dynamique et de sa capacité à mener des analyses en dilution isotopique (ID) (Lobinski et Adams, 1997, Bouyssiere et al 2002, Wuilloud et al., 2004, Bjorn et al., 2007, Popp et al., 2010). La mise en œuvre d‟une technique d‟analyse des espèces organomercurielles requiert des procédures qui comportent typiquement les étapes suivantes : extraction et/ou enrichissement de la matrice, dérivation, nettoyage (si nécessaire), séparation chromatographique et détection sélective. Chaque étape reste critique pour la justesse et la comparabilité des résultats finaux (Leermakers et al 2005). Les exigences requises pour déterminer la spéciation du Hg dans les matrices environnementales et biologiques sont très rigoureuses, nécessitant des limites de quantification (LQ) de l‟ordre du ng L-1 ou du µg kg-1 , une spécificité importante pour éviter les interférences de la matrice tout en permettant la détermination simultanée des différentes espèces d‟intérêt, une excellente justesse et fidélité (répétabilité et reproductibilité). Il convient de noter qu‟il n‟existe, à notre connaissance, aucune méthode de spéciation du Hg normalisée ou validée en inter- et intra-laboratoire(s) en France et que par conséquent, il existe un réel besoin concernant le développement d‟une méthode validée voire normalisée au niveau international, pour la production de données fiables des teneurs en MeHg dans les aliments. Il existe une methode normalisée américaine nommée « EPA Method 6800: elemental and speciated isotope dilution mass spectrometry » mais celle-ci n‟est pas spécifique au mercure (EPA 6800)
Méthode de préparation d’échantillon
En amont de la séparation et de la détection des espèces mercurielles, une étape d‟extraction pour la mise en solution des espèces du mercure contenues dans des matrices biologiques est cruciale. En effet, il est primordial de mettre au point une méthode de digestion douce n‟impliquant pas de modifications ou de pertes des espèces initialement présentes dans l‟échantillon. Différentes méthodes d‟extraction ont été envisagées dans la littérature pour la mise en solution des espèces mercurielles dans les aliments et les matrices biologiques et de nombreux articles de synthèse bibliographiques généralement exhaustifs se sont intéressés aux différentes méthodes d‟extraction utilisées pour la détermination en spéciation des métaux lourds (dont le Hg) (Gomez Ariza et al., 2001, Baltussen et al., 2002, Diez et Bayona, 2008, Issaro et al., 2009). Les tableaux 6 à 9 présentent l‟ensemble de ces études publiées depuis 1995 en distinguant principalement 4 méthodes : extraction solide-liquide (SLE), extraction assistée par micro-ondes (MAE), extraction assistée par sonication (SAE) et autres méthodes alternatives telles que la microextraction sur phase solide (SPME). Les réactifs utilisés et les matrices étudiées sont également indiqués dans ces tableaux. La signification des nombreuses abréviations utilisées, indispensables pour alléger ces tableaux, est indiquée dans la liste des abréviations. II.1.1 Extractions solide/liquide (SLE) Le premier protocole de SLE (Tableau 6) utilisé pour l‟analyse du MeHg a été développé en 1966 par Westöö (Westöö, 1968, Cano-Pavon et al., 1999). Ce protocole consistait en une extraction acide des analytes par HCl suivi d’une extraction par le benzène. L’analyte était ensuite hydroxylé par une solution d’hydroxyde d’ammonium saturée en sulfate de sodium. Pour une séparation des composés mercuriels par chromatographie en phase gazeuse (GC), le mélange aqueux était acidifié par du HCl concentré et les analytes étaient extraits une nouvelle fois par le benzène. La majorité des procédures analytiques développées par la suite pour l’extraction acide du MeHg est basée sur la méthode de Westöö et a des rendements d’extraction compris entre 50 et 80%, à l‟exception des travaux de Taylor et al. (2008) qui obtient un rendement d‟extraction du MeHg de 101% après extraction acide par HNO3. Ces taux de récupération généralement insuffisants s‟expliquent par une hydrolyse partielle des tissus biologiques sous condition acide selon Lobinski et al. (1998). Un intérêt croissant pour le développement d‟une méthode permettant de déterminer simultanément les teneurs en iHg et en MeHg dans les poissons a été à l’origine de nouvelles Partie II 44 méthodes d’extraction. Plusieurs études utilisant des extractions alcalines par KOH/MeOH et par TMAH ont indiqué des taux de récupération en MeHg pouvant atteindre 97% (Ebdon et al., 2002, Qvarnstrom et Frech, 2002, Hintelmann et Nguyen, 2005, Yin et al., 2008, Kuballa et al, 2009). Les extractions alcalines sont désormais plus utilisées que les extractions acides car elles hydrolysent totalement les tissus biologiques en conservant les liaisons C-Hg intactes. Même si les méthodes SLE classiques ont montré leur relative efficacité pour l’extraction des espèces mercurielles dans les matrices biologiques, elles restent néanmoins longues à mettre en œuvre et requièrent une importante consommation de solvant organique. L‟utilisation d‟appareil tel qu‟un digiPREP permet toutefois de diminuer la durée d‟extraction (2-3 h au lieu de 12-24h) (Gomez-Ariza et al., 2001). De plus, afin d‟éliminer les matériaux insolubles, une étape supplémentaire de centrifugationfiltration ou de sonication est souvent inévitable et pourrait être responsable du tiers des erreurs expérimentales (Lobinski et al., 1998). II.1.2 Extractions assistée par sonication (SAE) De nombreux travaux effectués depuis 1995 utilisent la méthode d‟extraction « classique » liquide-solide assistée par ultra sons (SAE) (Tableau 7)La sonication repose sur un phénomène de cavitation dont le fonctionnement a été expliqué pour la première fois en 1894 par Sir John Thornycroft et Sydney W. Barnaby. Le phénomène de cavitation consiste en la formation de cavités gazeuses dans un liquide où la pression en un lieu donné devient inférieure à celle de la vapeur de ce liquide, il y a donc un effondrement violant des bulles dans le liquide irradié (température = 4000 K, pression = 200 bar). L‟utilisation de températures et pressions extrêmes causées par l‟effondrement des bulles de vapeur fait que la SAE augmente la solubilité et la diffusion du mélange, favorisant la pénétration et le transport des analytes d’une phase vers l’autre. Ce phénomène combiné à l‟énergie d‟oxydation des radicaux libres formés par solvolyse explique la puissance et l‟efficacité de la SAE (Luque-Garcia et al., 2003, Capelo-Martinez et al., 2004). Autant d‟extractions alcalines que d‟extractions acides sont dénombrées, avec toutefois une nette préférence pour le TMAH, le mélange KOH/MeOH et l‟HCl comme solvant d‟extraction. Des taux de récupération légèrement plus élevés sont observés avec des extractions alcalines (100% en moyenne pour les extractions alcalines contre 91% pour les extractions acides) (Wilken et Falter 1998, Kuballa et al 2009, Lopez et al., 2010, Batista et al., 2011). Enfin, elles sont relativement rapides et moins consommatrices de solvant que la SLE. Le principal inconvénient de la SAE est son manque de robustesse et de répétabilité. L‟utilisation d‟un bain d‟ultrasons ne permet pas une distribution uniforme de l‟énergie dans l‟ensemble de l‟échantillon, l‟extraction peut donc être incomplète et non répétable (CapeloMartinez et al., 2004). Les sondes sont plus performantes car la puissance des ultrasons est localisée, le volume d‟échantillon est plus petit et le temps d‟extraction est de quelques minutes, mais elles tendent à détruire les composés organométalliques et donc les risques de modification des espèces naturelles de l‟échantillon sont non négligeables. Enfin, une étape de filtration est obligatoire après l‟extraction, ce qui allonge le temps de préparation de l‟échantillon (Luque-Garcia et al., 2003, Capelo-Martinez et al., 2004).
Extractions assistée par micro-ondes (MAE)
Le plus grand nombre des travaux effectués pour la détermination du Hg dans les produits de la pêche utilisent une méthode d‟extraction assistée par micro-ondes (MAE), avec une préférence pour l‟extraction alcaline par le TMAH (Lobinski et al., 1998, Martin-Doimeadios et al., 2002, Arleny et al., 2007, Point et al., 2007, Monperrus et al., 2008) (Tableau 8). La MAE consiste à utiliser les propriétés de certains composés (solvants caractérisés par une constante diélectrique plus faible que la matrice considérée et relativement transparents aux microondes) capables de transformer l’énergie électromagnétique (captée sous forme de radiation de longueur d’onde entre 1 cm et 1 m) en chaleur. En effet, les molécules dipolaires et les ions vont aligner leur moment dipolaire avec le champ électrique des micro-ondes. Ce champ étant en perpétuel mouvement, les molécules tournent dans tous les sens et provoquent ainsi des collisions avec les molécules voisines. Ces agitations créent un dégagement d’énergie donc une augmentation de la température et de la pression dans les récipients de digestion. Les composés d’intérêts vont alors être solubilisés dans le solvant en un minimum de temps (Paré et al., 1994, Bélanger et Paré 2006). La MAE permet de réduire significativement le temps conventionnel des SLE (de plusieurs heures à quelques minutes). En contrepartie, les échantillons doivent supporter d‟importantes températures et pressions, ce qui peut provoquer leur destruction totale ou partielle (Szpunar et al., 1996). D‟après l‟étude de comparaison entre plusieurs méthodes d‟extraction menée par Skip Kingston et al. (2008) sur le matériau de référence certifié BCR-464 (tissu de thon), l‟extraction alcaline par MAE et TMAH présente le meilleur compromis en terme de rendement d‟extraction, transformations inter-espèces engendrées (méthylation et déméthylation) et temps d‟extraction, par rapport aux autres techniques d‟extraction telles que l‟extraction enzymatique, l‟extraction acide ou la SAE.