LES PETITS MÉTIERS
Quelques indications à la portée des moins riches. – La noblesse et la valeur de l’effort. – Comment on arrive. – Exemple d’un camelot devenu millionnaire. – M. Whiteley, l’universal provider. – Conseils autorisés.
Sachez dénicher les bonnes occasions
Mais, me direz -vous, jusqu’à présent vous nous avez parlé de gens, commerçants, spécialistes, fabricants, qui ont déjà un capital et sont à même de le faire fructifier. Mais ceux qui n’ont rien, comment s’y prendront-ils pour faire fortune, et pouvez-vous nous indiquer ce moyen ?
Parfaitement. Je vous prierai d’abord de vous reporter à la ramasseuse d’écorces d’orange dont je parle plus haut. C’est un exemple, les écorces d’orange peuvent être remplacées par autre chose ; par des bouchons qui se vendent bien et que l’on jette ordinairement, par des os, par tout ce que l’imprévoyance humaine abandonne sur la voie publique.
Saviez -vous que les chardons sont utilisés dans certaines industries ? Les chardons ont donc une valeur.
De même les coquilles d’huître broyées qui servent à la nourriture des volailles et augmentent la ponte des canes et des poules. Ces coquilles se vendent jusqu’à 30 euros les 100 kilos.
Saviez-vous que les prunelles qui poussent dans les haies peuvent faire une boisson de goût assez agréable ? Oui peut-être. Eh bien ! fabriquez de cette boisson qui ne coûte rien et allez l’offrir, en été, autour des chantiers où l’on travaille dur et ferme, vous trouverez facilement amateur.
Vous gagnerez peu, mais vous gagnerez tout de même, vous finirez par avoir un petit capital. Ce petit capital, si vous êtes habile, si vous savez dénicher les bonnes occasions, grossira tous les jours un peu plus. Avec de la ténacité, du courage, il augmentera encore, vous permettant d’élargir votre champ d’action et de donner libre cours à votre initiative.
« Un peu mis avec un peu, si la chose se répète, fera bientôt beaucoup », disait le vieil Hésiode. D’échelon en échelon, lentement mais sûrement, vous gravirez, je ne dis pas sans fatigue, sans luttes, sans les déceptions inévitables de la vie, le sommet que vous vous étiez assigné pour but, vous toucherez le salaire de peines vaillamment surmontées, vous serez riche, ainsi que vous rêviez de l’être.
L’effort est la seule noblesse de l’homme
Bien des fortunes ont eu des origines aussi obscures, les artisans de ces fortunes ont droit d’en être fiers. Elles sont la démonstration de leur ténacité, de leur énergie, de leur valeur. Elles dénoncent les vertus de leur propriétaire : l’ordre, l’épargne, la conduite.
Elles représentent une somme d’efforts devant laquelle nous devons nous incliner. « L’effort est la seule noblesse de l’homme ! L’effort porte en lui- même sa propre récompense ! Le résultat n’est bon que quand il a coûté, et en proportion de ce qu’il coûte. » EDMOND HARAUCOURT.
Dans les Minutes Parisiennes (Ollendorf, éditeur), M.
Gabriel Mourey exprime la même idée : « Tout effort humain, si infime que soit son but, pare l’être qui l’accomplit de noblesse et de beauté. Dans le geste du travailleur, quel qu’il soit, se manifeste la force organisatrice de la vie.
Il n’est point le travaux manuel qui n’ait son rythme et son harmonie. Elle s’en dégage, cette harmonie, souvent émouvante, toujours logique et sincère. Elle est spontanée, elle est primesautière ; elle est puissante d’être depuis tant d’années, depuis tant de siècles, depuis des générations et des générations, en parfaite conformité avec les besoins et les facultés de l’espèce.
Le bras du semeur qui, rythmiquement, lance dans les sillons le germe des moissons futures, a la majesté d’un geste sacerdotal.
Décomposez la série des mouvements que fait un manœuvre chargeant des fardeaux et les déchargeant. Il n’en est pas un où ne resplendisse la beauté de l’effort. Qu’il ait une pièce de bois à dégrossir ou une pierre fine à graver, la lutte de l’homme contre la matière qu’il veut dompter a quelque chose de grandiose et d’altier.
Que le lecteur se souvienne toujours de ces lignes éloquentes, elles lui rappelleront que l’aristocratie des mains calleuses peut être opposée sans humilité à toutes les autres, et qu’il n’y a que les esprits étroits, les cerveaux farcis de préjugés périmés pour y voir une différence.
Trouvez le travail le plus productif
Le choix du travail à faire est subordonné aux aptitudes de chacun, aux lieux, aux époques. C’est à l’homme intuitif et clairvoyant de savoir trouver la recette ou le travail le plus productif.
Surveillez les besoins du public : public d’ouvriers aussi bien que public d’oisifs. L’homme, à quelque condition qu’il appartienne et quel que soit le motif qui le fait agir, recherche partout le minimum d’effort.
Épargnez-lui l’effort en vous plaçant comme intermédiaire, soyez un trait d’union entre le désir et l’objet convoité, vos services seront toujours agréés, vous pourrez même devenir indispensable. L’humble camelot, autant que l’industriel ou le commerçant, doit être un psychologue avisé, un sagace observateur. Il doit rapidement se rendre compte du parti qu’il est possible de tirer de telle ou telle habitude sociale, de tel engouement, de telle manie, de telle sottise.
Il doit être serviable, empressé, éloquent, débrouillard. S’il est économe par-dessus le marché, il fera fortune, peut-être aussi vite qu’un capitaliste.
L’histoire d’un camelot qui a fait fortune
L’histoire suivante que j’emprunte au livre de M. A. Coffignon : Le Pavé Parisien, très curieuse et intéressante étude sur les camelots, en est la preuve.
Il y a une vingtaine d’années, un agent de police qui passait le long d’un terrain vague, situé à l’angle de l’ancienne rue Taranne et de la rue des Saints-Pères, à l’endroit même où se trouve aujourd’hui le boulevard Saint -Germain, remarqua un camelot qui s’efforçait de vendre quelques articles aux passants.
Il lui demanda d’exhiber l’autorisation en vertu de laquelle il rendait dans les rues et, comme le camelot n’en était pas muni, il le conduisit chez le commissaire de police.
Au commissariat, le camelot fut amené devant le secrétaire, pour être interrogé. Ce secrétaire était M. D… , qui vient d’être retraité comme commissaire de police de la ville de Paris.
Au cours de l’interrogatoire, le secrétaire et le camelot reconnurent qu’ils étaient du même pays. Tout aussitôt, ledit interrogatoire se transforma en une causerie amicale. Le camelot fut remis en liberté et partit avec l’assurance de ne plus être inquiété à l’avenir.
Cette arrestation et cette rencontre décidèrent de la fortune du camelot. Après avoir vendu quelque temps dans les rues de Paris, il se fit chineur, puis soldeur . Ce fut lui qui eut la première idée de s’installer dans une boutique à louer pour mettre en étalage les articles provenant de ses soldes. Ses affaires prospérant, il fonda un bazar rue d’Amsterdam, en face la gare Saint- Lazare. Il abandonna dans la suite cet emplacement pour la rue de Rivoli, et l’on sait quelle extension prodigieuse a pris le bazar de l’Hôtel-de-Ville.
Ayez de l’audace et de l’imagination
La vie de M. Whiteley, l’universal provider de Londres, mystérieusement, est également à citer comme une remarquable démonstration de ce qu’est capable de faire un homme d’initiative, ambitieux, persévérant, énergique.
Sans prétendre atteindre le résultat obtenu par ce commerçant extraordinaire et supérieurement doué, nous pouvons tirer des lignes suivantes, des indications particulièrement intéressantes. L’histoire de M. Whiteley est en effet curieuse à plus d’un titre. Le voisin de ses parents était drapier ; il reçut le jeune William comme apprenti.
Mais l’ambition dévorait William. Quand il eut 20 ans, l’année même où Londres tenait sa fameuse exposition universelle, il vint dans la capitale. Il s’y fit employer par divers drapiers de la Cité, resta 4 ans à étudier le marché, revint au village natal comme associé de son ancien maître, mais ne resta à Agbrigg que quelques semaines.
Il avait subi la séduction de Londres, il devait y faire sa vie. Avec 34.000 euros d’économies péniblement amassées, il finit par prendre, au 31 de Westbourne Grove, la succession d’un petit détaillant. Ce devait être la maison mère des immenses établissements Whiteley, qui occupent aujourd’hui 36 immeubles et ont peu à peu absorbé tout ce coin de quartier, au nord de Bayswater road.
Whiteley commença avec 2 employés et 1 groom. Il avait hier sous ses ordres plus de 6.000 personnes. Et les 34.000 euros de capital se sont en 40 ans transformés en 90 millions.
Whiteley avait non seulement une énergie exceptionnelle et un sens précis des affaires, mais il jouissait par-dessus tout d’une audace et d’une fertilité d’imagination peu communes.
Ce fut lui qui prit cette fameuse formule : universal provider (pourvoyeur universel), qui devait faire son succès.
Il a réalisé tout ce qui est possible
Il prétendait en effet pouvoir procurer à ses clients tout ce qu’il est humainement possible d’obtenir avec de l’argent.
La fable fut souvent racontée qu’Adam, arrivant ceint des feuillages du paradis terrestre et tenant en main un paquet de billets de la Banque d’Angleterre chez Whiteley, pourrait en ressortir non seulement vêtu à la dernière mode, mais marié, et locataire d’un appartement où la soupe fumerait sur la table.
Au besoin, même un yacht l’attendrait tout armé dans le plus proche port de plaisance.
On mit sa forfanterie d’universal provider à l’épreuve. Un client lui demanda et obtint dans les 24 heures un éléphant. Un autre eut sur sa demande un cercueil d’occasion.
Mais la plus curieuse commande qu’ait eu à enregistrer le célèbre négociant fut celle d’un original qui demandait « un boisseau de puces vivantes ».
Mes employés me demandèrent ce qu’il fallait faire de cette commande. Je répondis : L’exécuter.
J’envoyai aussitôt, raconte -t- il lui-même, chez M. Bartlett, le directeur du Jardin zoologique, et chez M. Jamrach, le grand marchand d’animaux sauvages. On fit la toilette des singes et on obtint ainsi un demi-boisseau de puces.
« Je le fis envoyer au client avec une note disant que c’était tout ce qu’il était possible de mettre de puces dans un boisseau, sous peine de les empêcher de respirer. Le client dut payer. »
Il a fait tout ce qui est nécessaire dans l’existence
En dehors de ces ordres fantaisistes dont la réalisation découragea les mauvais plaisants, Whiteley procurait en effet tout ce qui est nécessaire ou même superflu dans l’existence.
Le développement graduel de ses établissements avait fait des magasins un extraordinaire endroit. On passait du département des légumes verts à celui de l’ameublement, des jouets aux fromages, et de là par la pâtisserie, au rayon des cigares, etc. Whiteley exécutait les déménagements comme les aménagements, était agent en douane, assureur, cuisinier.
Rien ne lui était étranger. En téléphonant chez lui, on pouvait obtenir un médecin aussi facilement qu’un électricien ou un valet de chambre.
Cette variété était devenue proverbiale dans le peuple anglais. On invitait à l’occasion un ministre en quête d’arguments à s’adresser à Whiteley qui ne manquerait pas de les lui fournir.
Le développement de cette gigantesque industrie n’avait pas été sans incidents. Par 4 fois, les établissements Whiteley furent incendiés, probablement par jalousie et malveillance.
Les assureurs ayant fait des difficultés pour l’assurer à nouveau, il se fit son propre assureur, de même qu’il avait ses propres fermes d’élevage et de culture, sa propre blanchisserie.