Soutien des comportements prosociaux
Pour ce faire, dans les écoles nord-américaines, une panoplie de programmes de valorisation des habiletés sociales est implantée dès l’éducation préscolaire dans le but de favoriser, entre autres, les comportements prosociaux des enfants (voir Durlak et al., 2011; Vadeboncoeur & Bégin, 2005). Dans leur méta-analyse portant sur l’implantation de programmes de promotion des habiletés sociales dans les écoles, Durlak et ses collaborateurs (2011) ont relevé un effet positif et significatif de ceux-ci sur les comportements prosociaux des enfants, de l’éducation préscolaire à la fin du secondaire. Ce même effet positif avait auparavant été souligné par Vadeboncoeur et Bégin (2005) dans une méta-analyse portant sur les programmes implantés en contexte québécois, à l’éducation préscolaire et au primaire.
Toutefois, les effets observés sont généralement modérés et diminuent avec le temps (Durlak et al., 2011; Jones & Bouffard, 2012; Vadeboncoeur & Bégin, 2005). Effectivement, il semble que les enfants aient de la difficulté à transférer les comportements prosociaux appris dans le cadre de ces programmes dans les situations réelles de la vie quotidienne (Eisenberg et al., 2013; Jones & Bouffard, 2012; Vadeboncoeur & Bégin, 2005). Qui plus est, les apprentissages effectués à l’aide de ces programmes ne se maintiennent généralement pas sur une période prolongée audelà de six mois (Jones & Bouffard, 2012; Vadeboncoeur & Bégin, 2005).
En tant que piste d’explication, dans un rapport sur le développement des habiletés sociales et émotionnelles de l’enfant, Jones et Bouffard (2012) font remarquer que le morcèlement dans l’horaire des séquences d’apprentissage proposées par les programmes actuels constitue une limite importante à leur efficacité. En effet, la plupart des programmes recensés par Durlak et al. (2011) ont recours à des ateliers isolés, d’une durée moyenne de 30 minutes, généralement dispensés sur une base hebdomadaire (Durlak et al., 2011; Jones & Bouffard, 2012). Toutefois, l’acquisition des comportements prosociaux est un processus graduel et continu, qui débute dès la naissance et se poursuit jusqu’à l’âge adulte, à travers les activités quotidiennes de l’enfant (Girard et al., 2011; Jones & Bouffard, 2012).
À l’éducation préscolaire, ce sont l’augmentation, la diversification, l’intensification et la complexification des interactions sociales que vit l’enfant qui lui permettent de développer graduellement ses comportements prosociaux au contact des autres (Bouchard, Coutu, et al., 2012). Les interactions qui ont lieu entre l’enfant, ses pairs et l’enseignante représentent un moment privilégié où celui-ci est accompagné dans la mise en œuvre de ses comportements prosociaux (Bierman & Erath, 2006; Jones & Bouffard, 2012; Vadeboncoeur & Bégin, 2005). En ce sens, les comportements prosociaux gagneraient à être soutenus dans les interactions quotidiennes de la classe, au fur et à mesure que les occasions d’apprentissage et de développement se présentent (Bergin, 2014; Jones & Bouffard, 2012).
De plus, la difficulté de transférer les habiletés (p. ex. les comportements prosociaux) enseignées par ces programmes dans la vie réelle et à les maintenir dans le temps pourrait s’expliquer par la décontextualisation des séquences d’apprentissage proposées aux enfants (Jones & Bouffard, 2012; Vadeboncoeur & Bégin, 2005). Les conclusions tirées par Jones et Bouffard (2012) sont sans équivoque : en dehors des périodes prévues pour l’enseignement de ces programmes, les habiletés sont rarement soutenues en classe de façon significative, durable et intégrée dans les interactions quotidiennes qui ont lieu entre les enfants et avec l’enseignante.
Pourtant, il s’avère que le développement des habiletés sociales, dont font partie les comportements prosociaux, nécessite de multiples occasions de pratique soutenues dans des contextes naturels, afin de permettre la généralisation des compétences des enfants aux situations de la vie quotidienne (Bierman & Erath, 2006). Tenant compte de l’importance des interactions entre les enfants et entre ceux-ci et l’enseignante dans le développement de leurs compétences sociale et émotionnelle, dont font partie les comportements prosociaux, Jones et Bouffard (2012) recommandent que les efforts mis en œuvre pour soutenir les habiletés sociales des enfants soient davantage intégrés aux interactions qui se déroulent dans la classe. Plus spécifiquement, elles suggèrent que la qualité de ces interactions devrait être au centre de l’intervention mise en place dans les classes (Jones & Bouffard, 2012).
QUALITÉ DES INTERACTIONS EN CLASSE
Dans cet ordre d’idées, le cadre de référence Teaching Through Interactions [TTI] (Hamre & Pianta, 2007) suggère que, dans les contextes éducatifs tels que l’éducation préscolaire cinq ans, la qualité des interactions vécues par l’enfant en classe exerce l’influence la plus directe sur ses apprentissages et son développement. Pour bien représenter la variété des interactions qui se déroulent en classe, celles-ci y sont regroupées selon trois domaines : 1) Soutien émotionnel, 2) Organisation de la classe et 3) Soutien à l’apprentissage (Pianta et al., 2008) .
Selon les travaux de Sabol et ses collaborateurs (Downer et al., 2010; Sabol et al., 2013; Sabol & Pianta, 2012), l’observation de la qualité des interactions à l’aide des trois domaines du CLASS constitue un moyen fiable et valide afin de mesurer les effets du milieu éducatif sur la réussite éducative de l’enfant, à laquelle sont rattachés ses comportements prosociaux. Plus précisément, Mashburn et al. (2008) ont montré un lien entre la qualité des interactions à l’éducation préscolaire, telle que mesurée par le CLASS, et la compétence sociale de l’enfant, qui inclut ses comportements prosociaux. Ce lien entre la qualité des interactions et la compétence sociale des enfants a été montré de façon constante dans plus de 6 000 classes aux États-Unis (Center for Advanced Study of Teaching and Learning [CASTL], 2013). Comme les comportements prosociaux font partie intégrante de la compétence sociale de l’enfant, on peut penser que la qualité des interactions pourrait y être reliée. Toutefois, à notre connaissance, les études disponibles jusqu’à présent (Burchinal et al., 2010; Downer et al., 2010; Mashburn et al., 2008) incluent seulement quelques comportements prosociaux comme items de mesure d’une échelle plus globale de la compétence sociale de l’enfant. Le lien entre la qualité des interactions et la variété de comportements prosociaux manifestés par les enfants à l’éducation préscolaire mérite donc d’être étudié plus en profondeur, de manière à soutenir la réussite éducative de ces derniers dès leur entrée à l’école.
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