La douleur chronique
Définition de la douleur et de la douleur chronique. L’Association internationale sur l’étude de la douleur (International Association for the Study of Pain, 1979; 1994; 2002; 2011) (IASP) et la 11e révision de la Classification internationale des maladies (CIM-11) (World Health Organization, 2018) définissent la douleur comme étant une « expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite dans des termes évoquant une telle lésion ». L’expérience sensorielle concerne tout ce qui a trait à la détection de la douleur, sa localisation, son intensité et son irradiation. L’expérience émotionnelle réfère à l’aspect désagréable et insupportable de cette douleur (Melzack & Casey, 1968). Beaucoup de personnes rapportent des douleurs en l’absence de lésions tissulaires ou de causes pathophysiologiques, ce qui explique pourquoi elle est associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle (International Association for the Study of Pain, 2017).
Cette définition intègre la dimension affective de l’expérience douloureuse à la dimension sensorielle (Melzack & Wall, 1989). Ainsi, la douleur est un phénomène caractérisé non seulement par une composante sensorielle mais aussi par une composante affective, ce qui lui confère ses caractéristiques d’expérience subjective et singulière (Lumley & al., 2011; Turk & Wilson, 2013). La perception de la douleur est influencée par divers facteurs psychosociaux (p. ex. : les émotions, le contexte social, le contexte environnemental, les antécédents socioculturels, les croyances et la signification subjective de la douleur (Beaupré & al., 2012; Turk & al., 2002)), jouant un rôle important dans le développement, le maintien et l’exacerbation de la douleur chronique (Cui & al., 2009; Turk & al., 2002). La douleur devient chronique avec la confluence de divers facteurs (Cui & al., 2009; Turk & al., 2002); elle peut donc être perpétuée par des facteurs qui sont à la fois « pathogéniquement » et physiquement éloignée de la cause d’origine (Muaka Dituba, 2012). Plusieurs chercheurs contemporains ont présenté des classifications dans l’optique de mieux définir la douleur (Doleys, 2014; Schopflocher & al., 2011).
Traditionnellement, la douleur était décrite comme aigue, chronique ou encore sous-jacente à un cancer (Doleys, 2014). La douleur aigue est généralement considérée comme adaptative, elle alerte l’organisme à propos d’un dommage tissulaire réel ou potentiel. La douleur chronique outrepasse le caractère de signal d’alarme que présente la douleur aigue puisqu’elle se prolonge dans le temps, malgré la résolution de l’évènement déclencheur (Marchand, 2009) et un traitement adéquat (American Psychological Association, 2007). Une douleur deviendra chronique si elle persiste plus de trois mois tandis qu’une douleur aigue dure généralement moins de trente jours (International Association for the Study of Pain, 2002). La définition de la douleur chronique de l’IASP (1979; 1994; 2002; 2011) apparaît faire l’objet de consensus au sein de la communauté scientifique puisqu’elle a été reprise dans la 11e révision de la Classification internationale des maladies (qui est parue en juin 2018 et qui entrera en vigueur en janvier 2022 (World Health Organization, 2018)).
Statistiques concernant la prévalence de la douleur chronique.
La douleur chronique semble relativement courante, mais les évaluations publiées sur sa prévalence au sein de la population sont variables en raison des différences retrouvées dans la définition de la douleur chronique et la méthode retenue dans les études (Schopflocher & al., 2011). Un consensus se dégage selon lequel il existe une forte prévalence (c.-à-d. de 2 % à 40 %) de douleur chronique chez les populations adultes qui habitent dans des pays industrialisés (Schopflocher & al., 2011). L’étude de Reitsma, Tranmer, Buchanan et Vandenkerkhof (2011) traite de l’estimation de la prévalence de la douleur chronique au Canada par la reprise des données de 1994 à 2008 de l’Enquête nationale sur la santé de la population et de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC). Elle a permis d’estimer la prévalence de la douleur chronique de 15,1 % à 18,9 % chez les Canadiens et de démontrer qu’elle était plus fréquente chez les femmes (de 16,5 % à 21,5 %) et chez les personnes âgées (23,9 % à 31,3 %). Les données de l’ESCC de 2007-2008 (Ramage-Morin & al., 2010) suggéraient qu’elle touchait plus de 1,5 million de Canadiens de 12 à 44 ans, soit 9 % d’hommes et 12 % de femmes. Une étude de Schopflocher et al. (2011) indique que la prévalence de la douleur chronique se situait à 16 % chez les Canadiens de plus de 18 ans. T
oujours selon cette étude, elle était plus élevée chez les adultes plus âgés, et les femmes présentaient une prévalence plus élevée à un âge avancé que les hommes (31,5 % chez les femmes et 22,2 % chez les hommes âgés de 66 ans et plus). Environ la moitié des participants mentionnaient en souffrir depuis plus de dix ans. Environ le tiers des participants qui signalaient des douleurs chroniques en évaluaient l’intensité dans la catégorie très grave. Les données les plus récentes répertoriées provenant de l’ESCC de 2011-2012 (Gilmour, 2015), qui estimait à 6 millions le nombre de Canadiens âgés de 18 ans et plus faisant état de douleur chronique, soit 22 % des Canadiens, ce qui constitue potentiellement une augmentation comparativement au 16 % répertorié par Schopflocher et ses collègues en 2011. En bref, l’absence de consensus dans la définition et la classification de la douleur chronique ne permet pas d’en établir un portrait juste. Selon les études recensées (Gilmour, 2015; Reitsma & al., 2011; Schopflocher & al., 2011), 15 à 22 % des Canadiens souffriraient de douleur chronique. Celle-ci toucherait davantage les femmes (Ramage-Morin & al., 2010; Reitsma & al., 2011) et serait plus fréquente à un âge plus avancé (Schopflocher & al., 2011). En plus de ses conséquences sur la santé physique, elle se répercute dans tous les domaines de vie, que ce soit au niveau des activités quotidiennes (Canadian Pain Coalition & al., 2014), des activités professionnelles (Canadian Pain Coalition & al., 2014; Ramage-Morin & al., 2010), des relations interpersonnelles (Canadian Pain Coalition & al., 2014) ainsi que sur la santé psychologique (Choinière & al., 2010; Gilmour, 2015; Ramage-Morin & al., 2010) et financière (Choinière & al., 2010; Ramage-Morin & al., 2010) des personnes atteintes de douleur chronique.
Statistiques concernant les conséquences de la douleur.
Les activités quotidiennes. L’enquête menée par la Canadian Pain Coalition et la Boston Scientific Corporation (2014) a révélée que la réalisation des activités quotidiennes simples comme se doucher, s’habiller et faire des tâches ménagères exigeait des efforts importants pour les personnes souffrant de douleur chronique. La capacité à faire des exercices en était influencée également; 70 % des répondants ont mentionné que de pratiquer une activité physique s’avérait difficile à gérer pour eux et 15 % des répondants ont dit en être complètement incapables. Les activités professionnelles. Les données de l’ESCC de 2007-2008 ont permis d’indiquer qu’au cours de la semaine précédant l’entrevue, 78 % des hommes1 et 65 % des femmes2 âgés de 25 à 44 ans occupaient un emploi comparativement à 87 % des hommes et 72 % des femmes n’éprouvant pas de douleur (Ramage-Morin & al., 2010). Une enquête menée par la Canadian Pain Coalition et la Boston Scientific Corporation (2014) auprès de 1003 Canadiens âgés entre 18 et 64 ans souffrant de douleur chronique démontrait qu’au cours des 12 derniers mois, les participants avaient dû s’absenter pendant une moyenne de 8 jours de travail en raison de leur condition et pour 4 % d’entre eux, ce sont plus de 49 jours qu’ils ont dû manquer. De plus, quatre personnes sur dix croyaient que des opportunités au travail leurs avaient échappées en raison de leur douleur chronique.
Définition de la santé psychologique Il n’existe pas de conceptualisation consensuelle de la définition de la santé psychologique. Il s’agit d’un concept multidimensionnel pour lequel les chercheurs ont utilisé des indicateurs variés pour l’évaluer. Sa mesure implique de considérer simultanément le bien-être psychologique et la détresse psychologique (Massé, Poulin, Dassa, Lambert, Bélair & Battaglini, 1998), deux construits indépendants mais interreliés (Gilbert, Dagenais-Desmarais & Savoie, 2011; Karademas, 2007). Le bien-être correspond à l’évaluation subjective de sa vie (satisfaction de vie) ainsi qu’au fonctionnement psychologique (c.-à-d., la présence d’émotions positives et peu d’affects négatifs) (Diener, 1984). La détresse psychologique recouvre des construits tels que l’anxiété, la dépression, les problèmes cognitifs et l’irritabilité (Ilfeld Jr, 1976). S’inspirant du modèle de la santé mentale de Labelle et ses collaborateurs (2001), le concept de santé psychologique retenu dans la présente étude regroupe la satisfaction de vie, le fonctionnement psychologique et la détresse psychologique. Puisque le concept de santé de psychologique est une variable opérationnalisée pour les fins de la présente étude, les études recensées en lien avec la santé psychologique et la douleur chronique portent sur les composantes de la santé psychologique, soit la satisfaction de vie et le fonctionnement psychologique (le bien-être psychologique) ainsi que la détresse psychologique. En ce qui concerne les personnes souffrant de douleur chronique, elles déclarent que la douleur affecte significativement tous les aspects de leur vie et plus particulièrement, leur bien-être émotionnel et leur joie de vivre (Turk & al., 2008).
La santé psychologique et la douleur chronique
La présence d’une affection chronique influence négativement la condition psychologique des individus atteints (Mangelli, Gribbin, Büchi, Allard & Sensky, 2002). De nombreuses études ont démontré que le bien-être psychologique pouvait être corrélé avec plusieurs variables chez les personnes souffrant de douleur chronique, telles que le niveau d’incapacité physique, les perceptions concernant les conséquences de la maladie et le soutien social. Schleicher et ses collaborateurs (2005) ont examiné les relations entre le bien-être psychologique, la douleur et le niveau d’incapacité physique chez des femmes présentant de la fibromyalgie ou de polyarthrite rhumatoïde et chez des femmes ne présentant pas de telles atteintes. Les résultats suggéraient qu’un niveau de bien-être psychologique plus élevé était associé à moins d’incapacité physique et de fatigue mais pas nécessairement à moins de douleur chez les femmes souffrant de fibromyalgie. L’évaluation positive de soi et de son passé, la maîtrise de l’environnement, la poursuite de buts dans la vie et les relations positives avec les autres sont ressortis comme des construits importants expliquant les corrélations entre le bien-être psychologique et le niveau d’incapacité. Treharne, Kitas, Lyons et Booth (2005) ont étudié les relations entre les facteurs psychosociaux (l’anxiété, la dépression, la satisfaction de vie et les symptômes physiques) et le bien-être chez des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde (PR). Leurs résultats ont démontré l’importance de considérer les facteurs psychosociaux dans l’étude du bien-être de patients atteints de PR. Les perceptions concernant la maladie influençaient le bien-être des patients, en particulier chez ceux étant nouvellement diagnostiqués (au cours des six mois précédents). Les patients percevant des conséquences graves à la PR ont rapporté plus de symptômes de dépression, de douleur, de fatigue et de raideurs matinales ainsi qu’une détérioration de la satisfaction de vie plus marquée que les autres participants. Quant aux patients bénéficiant d’un meilleur soutien social provenant du conjoint, des enfants et d’autres parents et amis, ils ont déclaré une plus grande satisfaction de vie.
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