Aujourd’hui, l’innovation est perçue comme étant le moteur de la crOIssance économique des entreprises et des régions (OCDE, 2009). L’innovation n’est cependant pas répartie également dans l’espace (Marshall, 1890) et certaines régions concentrent plus d’entreprises innovantes que d’autres. Afin d’évaluer ces disparités interrégionales, différentes études comparatives sont publiées, tant à l’étranger (par exemple European Commission, 2009; Massachussetts Technology Collaborative, 2009; Navarro et al., 2009) qu’au Québec (MDEIE, 2007a; Joanis et Martin, 2005; DEC, 2003 ; Polèse et Shearrnur, 2002). Ces études, qui reposent sur des comparaisons statistiques, indiquent qu’en général les régions les plus innovantes sont urbaines alors que les régions les moins innovantes sont périphériques.
En plus d’être moms innovantes, les régions périphériques québécoises sont confrontées à de nombreux défis socio-économiques. Ces défis, qui se manifestent de manière différente dans chaque région, sont notamment liés à des taux de chômage élevés, à une population en déclin ou en croissance relative faible , à des revenus inférieurs à la moyenne, à une main-d’œuvre moins qualifiée, à la concurrence internationale accrue dans le secteur ressource, et à la diminution des stocks de ressources naturelles disponibles (lSQ, 2010; DEC, 2003).
Afin d’aider les régions périphériques à faire face à ces défis, les autorités publiques canadiennes et québécoises ont instauré, depuis les années 1960, des politiques de développement économique destinées spécifiquement à ces régions et modulé leurs interventions à l’échelle des régions administratives (Dugas, 2005). Dans les régions périphériques québécoises , les politiques récentes visent à favoriser le développement de systèmes régionaux d’innovation (SRI) (MDEIE, 2007a), tout en soutenant le développement de clusters régionaux, notamment via le Programme ACCORD (Doloreux et al., 2010; Fonteneau, 2002).
Les politiques publiques qui utilisent le SRI et le cluster pour l’analyse, la planification et le soutien du développement de l’innovation régionale sont actuellement très en vogue à l’échelle internationale. En fait, selon Bellandi et Caloffi (2010) les politiques de ce type constituent la norme plutôt que l’exception au sein des économies développées. Ces politiques, qui s’insèrent dans une compréhension renouvelée de l’ innovation cherchent à agir sur les déterminants régionaux de l’innovation afin de renforcer le contexte au sein duquel les entreprises innovent en tentant de combler les déficits de connectivités entre acteurs régionaux de l’innovation et en tentant de structurer le soutien à l’innovation offert à l’échelle de la région (Edquist, 2008; Laranja, 2004).
La présence de politiques publiques visant à soutenir l’innovation à l’échelle régionale suggère que plusieurs gouvernements, qu’ils soient canadiens ou étrangers, croient fermement qu’ils sont à même de contribuer au développement de l’innovation au sein des régions, et qu’il est de leur ressort de soutenir ce développement. Cette position est cependant largement débattue dans la littérature en développement régional.
Panni les auteurs qUI croient qu’une intervention publique est souhaitable (voir notamment Navarro et al., 2009; Isaksen, 2009; Asheim, Cooke et Martin, 2006; Maskell, 2005 ; Cooke et al., 2004; Asheim et al., 2003; Porter, 2003; Solvell et al., 2003, Todtling et Kaufmann, 2001), un certain consensus semble se dégager quant à l’importance d’adapter les politiques publiques aux contextes régionaux et sectoriels spécifiques.
En ce qui concerne l’adaptabilité aux contextes régionaux, Todtling et Trippl (2005, 1203) indiquent que « a differentiated regional innovation policy approach [is needed] as there is no ‘ ideal model’ for innovation policy as innovation activities differ strongly between central, peripheral and old industrial areas ». Les politiques mises en place dans les régions périphériques devraient donc tenir compte du contexte propre à ce type de région, notamment en ce qui a trait aux barrières à l’innovation qui caractérisent celles-ci. Panni ces barrières spécifiques, la « minceur institutionnelle et organisationnelle » est fréquemment identifiée (Doloreux et Dionne, 2008; Lagendijk et Lorentzen, 2007; Todtling et Trippl, 2005: Asheim et al. , 2003; Isaksen, 2001). Ainsi, à cause d’un nombre trop limité d’acteurs clés de l’ innovation (minceur organisationnelle) ou à cause de réseaux trop faiblement développés entre ces acteurs (minceur institutionnelle), l’infrastructure organisationnelle et institutionnelle régionale n’est pas toujours assez développée pour donner un caractère systémique aux processus d’apprentissage interactifs régionaux et pour pennettre aux entreprises de trouver à l’échelle régionale les connaissances et autres ressources dont elles ont besoin pour innover. Pour contourner les barrières de ce type, de nombreuses pistes de solutions sont proposées dans la littérature. Par exemple,certains auteurs suggèrent la création de nouvelles organisations de soutien (Todtling et Trippl, 2005) alors que d’ autres mettent en garde contre les risques associés à cette stratégie (Oughton et Landabasco, 2002). Le type de réseau à développer (régional ou interrégional) est quant à lui débattu (Todtling et Trippl, 2005; Lagendijk et Lorentzen, 2007; Virkkala, 2007), et la pertinence de favoriser le développement de clusters dans les régions périphériques est questionnée (voir Asheim et Isaksen, 2003; Rosenfeld, 2002; Lagendijk et Cornford, 2000). Étant donné la diversité de points de vue exprimés, il devient difficile d’identifier les avenues de développement les plus porteuses pour une région donnée.
Pour ce qui est de l’adaptabilité aux contextes industriels spécifiques, depuis les travaux de Pavitt (1984), il est reconnu que des différences importantes caractérisent les processus d’innovation des industries. Afin de mieux tenir compte de ces différences sectorielles, le concept de base de connaissance industrielle différenciée (Laestidius, 1998; Dosi, 1988) est de plus en plus utilisé pour expliquer comment les processus d’ apprentissage interactif se déroulant à l’échelle régionale diffèrent d’une industrie à l’autre. Ce concept propose un cadre permettant d’analyser le type de soutien considéré nécessaire pour renforcer l’ apprentissage interactif à l’échelle régionale, et ainsi y favoriser l’innovation (Asheim et Coenen, 2005). À cet effet, Asheim et Coenen (2005) affirment que des différences doivent caractériser le soutien offert aux entreprises qui opèrent dans des industries synthétiques, c’est-à dire des industries où les activités d’innovation impliquent l’application (ou la recombinaison) de connaissances existantes dans le but de résoudre des problèmes de nature pratique, et le soutien offert aux entreprises opérant dans des industries analytiques, soit des industries où l’innovation résulte de processus déductif reposant sur des modèles formels. Les manières exactes de soutenir l’ innovation au sein des entreprises et industries ayant des bases de connaissance différenciées demeurent cependant encore méconnues. L’application de ce concept théorique, et sa pertinence pour guider les politiques publiques destinées à soutenir l’ innovation à l’échelle régionale demeurent encore incertaines.
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