La qualité des pratiques éducatives en milieu de garde
Deux enquêtes, la première réalisée en 2003 (Drouin et al., 2003) et la deuxième en 2014 (Gingras et al., 2015; Lavoie et al., 2015), se sont penchées sur la quaI ité des services de garde éducatifs au Québec. Ces évaluations de la qualité s’intéressaient à la mise en 10 oeuvre du programme éducatif par rapport à différents aspects, dont : 1) la façon de structurer l’environnement physique; 2) l’ organisation et la diversification des types d’ activité; et 3) les échanges entre le personnel éducateur et les enfants. Des observations dans les milieux ont permis une codification à l’ aide d’indices de qualité allant d’extrêmement faible (1 ,00 à 1,49) à excellent (3 ,50 à 4,00). Un score en deçà de 2,5 témoignait d’ un niveau de qualité jugé insatisfaisant. Des faiblesses sur le plan de la qualité des services dispensés ressortent des deux enquêtes. Certains items des échelles d’ observation n’ atteignent pas un niveau de qualité satisfaisant pour les deux groupes d’ âge, soit de 0 à 18 mois et de 18 mois et plus. Notamment, sur le plan de l’ organisation physique des lieux, les besoins des enfants ne seraient pas entièrement comblés en raison d’ un manque quant à la disponibilité et à l’ accessibi 1 ité du matériel. Les scores les plus bas, soit 1,88 pour les poupons et 2,12 pour les plus vieux, mettent en lumière que l’aménagement favoriserait peu la manipulation et l’ utilisation du matériel directement par l’ enfant.
Ensuite, le jeu, de façon générale, ne serait pas suffisamment valorisé. Le personnel éducateur ne suivrait pas assez les activités dirigées par les enfants (18 mois et moins: 2,39; 18 mois à 5 ans: 2,21). Pour les 18 mois et plus, l’ accessibilité à des ateliers de jeu libre permettant à l’ enfant d’être le maître d’oeuvre de ces apprentissages paraît insuffisante (1 ,68). Pour les deux groupes d’âge, un manque d’ interventions quant à l’ organisation des lieux et du matériel pour soutenir le jeu ressort. En somme, bien que les services éducatifs présentent un niveau de qualité d’ensemble allant d’ acceptable à bon, certains problèmes quant à la mise en oeuvre des pratiques d’ intervention recommandées semblent présents. Pour Odom (2009), les difficultés quant à la mise en oeuvre fidèle de pratiques pour soutenir le développement des jeunes enfants pourraient s’ expliquer par les défis de l’ implantation. Il importe donc de s’ attarder à ces défis pouvant être présents lors de l’ implantation d’ un programme ou de pratiques en intervention précoce. Avant d’aborder ces défis, il faut préciser que lorsque les auteurs (Franks et Schroeder, 2013 ; Metz, Halle, Bartley et Blasberg, 2013 ; Yeaton et Sechrest, 1981) définissent l’ implantation, ils réfèrent à la mise en oeuvre en milieu d’ intervention d’un programme, de pratiques d’ intervention, d’ activités, d’ innovations ou même d’ initiatives. Afin de garder une constance et de refléter le plus fidèlement possible les écrits, les deux termes, à savoir programme ou pratiques d’ intervention (PP!) seront utilisés dans les prochaines sections de cette thèse.
Les défis d’implantation de PPI en intervention précoce
D’abord, des problèmes d’ implantation peuvent découler du passage d’un PPI des conditions d’une étude au milieu d’ intervention (Bingham, Culatta et Hall-Kenyon, 2016; Franks et Schroeder, 2013; Ocak, 20 Il ; Shire et al. , 2017; Wenz-Gross et Upshur, 2012). Les conditions d’ implantation en milieu d’intervention peuvent différer considérablement des conditions utilisées pour évaluer l’ efficacité des pratiques d’intervention (Franks et Schroeder, 2013). Par exemple, dans une étude visant à évaluer l’efficacité d’ un PPI, des restrictions sur le plan des participants (d iagnostic, âge de développement) peuvent être présentes (Shire et al. , 2017). De même, les personnes qui implantent en milieu d’ intervention peuvent posséder un niveau de formation initial différent du personnel impliqué dans l’étude d’ efficacité (Franks et Schroeder, 2013; Shire et al. , 2017). De surcroît, ces personnes peuvent ne pas posséder les prérequis nécessaires à l’uti lisation du PPI, ce qui affectera l’ implantation (Peterson, 2013). Ceci est sans compter que le niveau de soutien offert aux intervenants des milieux d’ intervention peut être différent de celui dispensé dans le contexte des études (B ingham et al. , 20 16; Shire et al. , 2017). Des adaptations dans la façon d’ utiliser le PPI peuvent s’avérer nécessaires pour répondre aux besoins du milieu d’ intervention. Ainsi, des différences dans l’actualisation réelle comparativement aux attentes initiales peuvent être présentes (Franks et Schroeder, 2013).
Ensuite, les PPI complexes et individualisés en fonction des besoins des enfants peuvent s’avérer plus difficiles à implanter (Chang, Shire, Sh ih, Gelfand et Kasari, 2016). La flexibilité nécessaire pour mettre en oeuvre certaines dimensions de ces PPI, par exemple suivre les in itiatives de l’ enfant, présentent des défis (Chang et al. , 2016; Stahmer et al. , 2015). Les intervenants doivent avoir confiance en leurs compétences et exercer leur jugement clinique (Stahmer et al. , 20 15). Ainsi, soutenir le développement des habiletés professionnelles et du sentiment de compétence de ces intervenants est nécessaire (Metz, Halle, Bartley et Blasberg, 20 13). Pour ces raisons, les besoins de formation et d’accompagnement professionnel seraient plus importants pour ce type de PPI (Stahmer et al. , 2015). Un autre élément pouvant affecter l’ implantation est la validité sociale (Luze et Peterson, 2004; Thomas et Marvin, 2016; Trivette et Dunst, 2013 ; Wenz-Gross et Upshur, 2012; Zucker, Solari, Landry et Swank, 2013). La validité sociale réfère à la croyance des parties prenantes en la pertinence et en l’ utilité de l’ intervention (Luze et Peterson, 2004; Trivette et Dunst, 2013). Or, lorsque des intervenants considèrent le PPI à implanter pertinent et utile, des niveaux de fidélité d’ implantation plus élevés s’ observent dans les études (Trivette et Dunst, 2013 ; Zucker et al., 2013). Prendre en compte ces défis associés à l’ implantation de PPI est important en raison de leur incidence sur les effets de l’ intervention (Thomas et Marvin, 2016). En effet, en intervention précoce, plusieurs études (Clements et Sarama, 2008; Guo et al., 2016; Hamre et al., 2010; Huang et al. , 2014; Kaiser et Hemmeter, 2013) tendent à montrer qu’une implantation fidèle de PP] se lie à des effets positifs sur le développement des enfants. De plus, si le PPI n’ est pas mis en oeuvre comme prévu, le mettre en relation avec les résultats développementaux n’a aucun sens (Luze et Peterson, 2004). 1\ importe donc de s ‘ attarder à la réussite de l’ implantation de PP] en intervention précoce.
Les éléments à considérer pour une implantation réussie
Plusieurs écrits (Duda, Fixsen et Blase, 2013 ; Franks et Schroeder, 2013 ; Metz et al., 2013 ; Ocak, 2011 ; Sutherland et al., 2013 ; Trivette et Dunst, 2013 ; Webster-Stratton, 2006) s’attardent spécifiquement aux conditions et facteurs clés à prendre en compte pour une implantation efficace de PPI visant à soutenir le développement des jeunes enfants. De prime abord, les auteurs (Franks et Schroeder, 2013; Metz et al. , 2013; Ocak, 2011) relèvent un besoin de structure, de balises lors de l’ implantation de PP!. Ces balises serviront à garder le cap, à visualiser la démarche tout en considérant les caractéristiques non linéaires et itératives de l’ implantation de même que les facteurs contextuels (Franks et Schroeder, 2013). Ainsi, une démarche d’ implantation doit revêtir un caractère systématique en s’ appuyant sur un cadre conceptuel (Duda et al. , 2013; Metz et al. , 2013). Différents cadres conceptuels sont utilisés dans les études visant l’implantation de PPI en petite enfance. Trois cadres ressortent plus fréquemment dans les écrits, soit : 1) Fixsen, Naoom, Blase, Friedman et Wallace (2005) ; 2) Dane et Schneider (1998); et 3) Dunst et al. (2013). À travers la présentation de ces trois cadres, la prochaine section s’ attarde aux conditions et aux facteurs clés pour une implantation réussie. L’ apport d’ autres auteurs (Caron, Bérubé et Paquet, 2017; Domitrovich, Gest, Jones, Gill et DeRousie, 2010; Metz et al. , 2013 ; Ocak, 2011) quant aux éléments à considérer pour réussir l’ implantation de PPI bonifie les informations issues de ces trois cadres. Le premier cadre abordé, Implementation stages and drivers (Fixsen, Blase, Metz et Dyke, 2013 ; Fixsen et al. , 2015; Fixsen et al. , 2005) s’ est développé afin de répondre spécifiquement aux différents contextes de l’éducation en petite enfance (National Implementation Research Network, 2017).
L’importance d’évaluer la fidélité d’implantation
L’ évaluation de la fidélité d’ implantation revêt un caractère essentiel pour différentes raisons. De prime abord, il importe d’évaluer la fidélité d’ implantation afin de vérifier si les intervenants mettent en oeuvre le PP[ adéquatement, soit comme prévu par les développeurs (Century et al. , 2010; Dane et Schneider, 1998). Cette démarche évaluative permet de dégager des informations sur la manière dont les intervenants utilisent le nouveau PPI (Dusenbury, Brannigan, Falco et Hansen, 2003). Ces informations apportent un éclairage nécessaire à la compréhension des défis ou des éléments facilitateurs rencontrés par les intervenants quant à l’implantation fidèle du PPI (Dusenbury et al. , 2003; Knoche, Sheridan, Edwards et Osborn, 2010). D’ ailleurs, lorsque l’ évaluation de la fidélité d’ implantation se réalise durant le processus, les données recueillies permettent des ajustements afin d’améliorer en continu l’actualisation du PPI (Fixsen et al., 2013; Franks et Schroeder, 2013 ; Luze et Peterson, 2004). De plus, ces données sur la mise en oeuvre comme prévu sont utiles pour déterminer les besoins de formation des intervenants selon les difficultés rencontrées (Ledford et Wolery, 2013). L’ évaluation de la fidélité d’ implantation permet aussi de faire la lumière sur les raisons et les facteurs pouvant expliquer la présence ou l’absence d’ effets de l’ intervention (Dusenbury et al. , 2003). Pour Dusenbury et al. (2003), cette évaluation de la fidélité peut identifier, entre autres, les modifications dans l’ utilisation du PP! et comment cela affecte les effets. La façon dont les intervenants appl iquent l’ intervention en termes de quantité (fréquence ou dosage) ou de qualité (selon un idéal théorique) peut influencer les effets (Lieberman-Betz, Vail et Chai, 2013).
Ainsi , sans des données liées à la mise en oeuvre d’ un PP!, interpréter adéquatement des effets d’ intervention est irréaliste (Durlak et DuPre, 2008; Luze et Peterson, 2004). Le lien fidélité et effets positifs de l’ intervention est aussi un aspect expliquant l’ importance d ‘évaluer la fidélité d’ implantation. Notamment, Durlak et DuPre (2008) ont réalisé une revue de littérature des études traitant de l’ implantation de PP! en prévention/promotion de la santé ou pour soutenir le développement des enfants et des adolescents. Cette revue inclut 543 articles, dont 483 issus de 5 méta-analyses. Durlak et DuPre notent une taille d’ effet de 2 à 3 fois supérieure pour les PP! avec une fidélité d’implantation élevée comparativement à ceux avec une fidélité faible. Plus spécifiquement en intervention précoce, plusieurs études (Guo et al. , 2016; Hamre et al. , 2010; Lambert, Gallagher et Abbott-Shim, 2015; Ruble, McGrew et Toland, 2013; Strain et Bovey, 2011) tendent à montrer qu ‘une implantation fidèle de PPI efficace se lie à des effets positifs sur le développement des enfants. Par exemple, Guo et al. (2016) associent la fidélité d’ implantation de pratiques d’ intervention en littératie émergente (éveil à la lecture et à l’écriture) à des effets positifs sur l’ amélioration des compétences dans ce domaine chez de jeunes enfants présentant des incapacités. Également, Hamre et al. (2010) lient la quaI ité de l’ intervention en alphabétisation dispensée par des enseignants au préscolaire à des meilleurs gains développementaux sur le plan des habiletés émergentes en littératie, dont la conscience de l’écrit pour les enfants. Pour leur part, Strain et Bovey (2011) montrent qu ‘un niveau élevé de fidélité d’implantation de pratiques éducatives inclusives au préscolaire s’associe à des meilleurs effets développementaux pour des enfants avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA
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