SOUS LE SIGNE DE LA NOSTALGIE 1856 – 1863

SOUS LE SIGNE DE LA NOSTALGIE 1856 – 1863

Aussi difficile que fût le retour de Tourguéniev au pays natal, son effet bénéfique en termes de sa régénération identitaire est incontestable : après une période de réadaptation à la vie russe, il put construire une nouvelle relation avec son pays et ses compatriotes. Il se rapprocha de ses racines et tenta de reconstruire sa vie sur le sol russe. Le processus ne fut pas facile et il passa par plusieurs étapes, allant, au début, du rejet de la réalité russe, passant par une redécouverte amusée du pays et des Russes, pour enfin aboutir à un renouveau du sentiment de la patrie. Cette nouvelle évolution identitaire eut un prix : une prise de distance avec l’univers occidental et une perte de contact avec la famille Viardot. La représentation de l’Autre s’en trouva forcément modifiée dans les œuvres de l’écrivain de 1850-1856, où celui-ci jette un regard quelque peu désapprobateur sur les Européens, en particuliers les Français, à travers plusieurs figures d’étrangers parmi ses personnages de l’époque. Le retour en Russie apporta aussi un souffle nouveau au talent littéraire de Tourguéniev qui, entre 1850 et 1856, chercha à renouveler sa méthode créatrice et chercha à formuler, à travers une série de portraits d’« homme de trop », sa compréhension des causes sous-jacentes de l’incapacité inhérente à la quasi-totalité de ses pairs de se montrer à la hauteur des défis auxquels la société russe de l’époque était confrontée. Aussi, tout au long des années 1850- 1856, Tourguéniev s’employa à élaborer ce même type appartenant au passé et qui devait donc y demeurer : un Russe ne connaissant pas son propre pays et donc en perte de repères culturels. Il s’agit d’un exercice littéraire complexe et qui traduisait une connaissance exemplaire de la mentalité de ces Russes de la génération de transition, celle des « hommes de trop », majoritaires dans la société russe de l’époque. Tourguéniev appartenait lui-même, dans un certain sens, à la génération de Roudine. Aussi, sa représentation de ce type de Russe bien particulier, contrastée et faite avec beaucoup de recul, témoigne-t-elle du degré de connaissance élevé de ses propres qualités et travers.

Vers la fin de son long séjour en Russie, en 1856, Tourguéniev semble bien à l’aise avec sa russité, ainsi que nous l’avons vu, mais il n’en a pas fini avec les fluctuations identitaires. Dans les pages qui suivront, nous aurons l’occasion d’observer de nouveaux rebondissements tant du point de vue du sentiment d’appartenance de l’écrivain que de celui de sa perception de l’altérité, dans les conditions d’un retour brutal et prolongé en Europe qui eut lieu en juillet 1856. Sa situation en Russie n’était plus à faire en cette année 1856. Âgé de trente-huit ans, Tourguéniev était désormais bien établi dans son pays natal. Il était l’auteur de plusieurs œuvres importantes, dont un roman, et sa réputation d’écrivain était assez bien établie. Son indépendance financière lui procurait le confort de vie et de travail suffisant pour ne pas avoir à aspirer à d’autres horizons. Mais le plus important est que, après avoir eu beaucoup de mal à se réadapter à la vie en Russie après son retour de l’étranger en 1850, il finit par retrouver ses repères, par redéfinir son sentiment d’appartenance, par reconstruire son identité culturelle. Faire ses bagages et repartir en France, une des adversaires de la Russie dans la récente et humiliante guerre de surcroît, se présentait comme une perspective peu réjouissante à ses yeux, alors qu’il venait de venait de prendre la pleine conscience de son patriotisme jusqu’alors demeuré latent.

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De plus, le séjour en Europe s’annonçait long. Premièrement, Tourguéniev devait retrouver en France sa fille Paulinette, après six ans de séparation. Le temps était venu pour le père et la fille de faire plus ample connaissance : en 1850, lorsque Tourguéniev avait découvert l’existence de Paulinette, il s’était dépêché d’organiser le départ de cette dernière pour la faire échapper à la fausse position dans laquelle elle se trouvait en Russie, dans la maison de Varvara Tourguénieva. Paulinette avait à présent quatorze ans et avait d’autant plus besoin de la présence et de la sollicitude de son père que l’intégration de la fillette dans la famille Viardot avait été un échec. Loin de partager l’admiration de son père pour la cantatrice, Paulinette s’entendait de moins en moins bien avec elle au fur et à mesure qu’elle grandissait, si bien qu’il fallut la placer dans un pensionnat pour mieux encadrer son éducation et limiter le temps qu’elle passait dans la maison des Viardot.

 

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