Somme de fréquence et choix du cristal non linéaire

Le laser à Argon

Pour les laseristes, 1964 est l’année où Nicolas Basov, Aleksandr Prokhorov et Charles Townes ont reçu le prix Nobel de physique pour l’invention du maser et du laser. Mais c’est également l’année de l’invention du laser à Argon par William Bridges [Bridges 64]. Le principe (cf. figure I-1) est de créer une décharge dans un tube d’Argon afin, dans un premier temps, d’ioniser le gaz, puis d’exciter les ions Ar+. En se relaxant les ions produisent une émission bleue-verte. Plusieurs raies d’émission de 454.5 nm à 528.7 nm peuvent être obtenues (figure I-2), mais les deux plus intenses et plus utilisées sont à 514.5 nm et 488.0 nm. Les applications de ce laser sont nombreuses et variées, du pompage d’autres lasers, tels que les lasers à base de cristaux de saphir dopés au Titane, à la microscopie de fluorescence, en passant par les communications sous-marines et la création de spectacles et shows laser. Un des grands domaines d’applications reste la médecine. En effet, l’eau possède une fenêtre de transparence pour des longueurs d’onde inférieures à 500 nm. Au contraire, l’hémoglobine est absorbante pour cette gamme de longueur d’onde. Le laser à Argon permet ainsi de photocoaguler le sang sans abîmer les cellules alentour.

Cette technique, permettant d’offrir au patient un plus grand confort, est utilisée aussi bien pour la chirurgie de l’oeil que pour la chirurgie dentaire. La raie à 488 nm est également utilisée pour le séquençage du génome. Ainsi le laser à Argon, de part le nombre de ces applications, a envahi grand nombre de laboratoires et de cabinets médicaux. Il possède cependant un inconvénient majeur : son efficacité électrique/optique est faible (environ 0.1 %). Ceci entraîne naturellement une forte consommation électrique mais également la nécessité d’un refroidissement performant. On trouve ainsi dans le commerce deux types de lasers à Argon. Les lasers à forte puissance (5-10 W à 488 nm [Coherent]) sont refroidis par eau et peu compacts. Mais il existe également des lasers à plus faible puissance (150 mW à 488 nm [Melles Griot]), dont le refroidissement par air permet un conditionnement plus compact. Cependant, les vibrations provenant du système de refroidissement limitent la stabilité du faisceau laser, voire même parfois de l’ensemble de l’expérience autour du laser à Argon. Ces dernières années, de nombreuses recherches ont été entreprises pour proposer des sources solides, plus efficaces et plus compactes que des sources à gaz, alternatives au laser à Argon. Des études ont montré que pour la plupart des applications dans le vert, ce laser pouvait être remplacé par une source émettant à 532 nm [Mosier 87] [Moncorgé 88]. La conception de sources efficaces à 1064 nm étant maîtrisée, des solutions performantes à base de sources infrarouges doublées en fréquence ont ainsi déjà adoptées [Dmitriev 81] [Bai 04]. En revanche, la conception de sources bleues à 488 nm est plus délicate. Nous nous proposons de faire un état de l’art non exhaustif de ces sources.

Sources à émission directe autour de 488 nm Diodes laser

Le développement des diodes laser bleues est motivé principalement par les applications de stockage de données, telles que par exemple la gravure de DVD. Malheureusement, la longueur d’onde visée pour de telles applications est autour de 400 nm, loin des longueurs d’onde du laser à Argon. Nichia propose ainsi des diodes laser à 400 nm offrant 60 mW [Nichia]. Ils proposent également des diodes laser à 478 nm mais la puissance à cette longueur d’onde n’est plus que de 20 mW. Aucune diode laser n’est proposée à 488 nm, la puissance à cette longueur d’onde n’étant probablement pas encore suffisamment importante. Lasers à upconversion Les ions Thulium et Praséodyme possèdent des raies d’émission autour de 488 nm. La difficulté consiste alors dans le pompage de cristaux ou de fibres dopés avec ces ions. En effet, la pompe doit être de longueur d’onde plus basse que la longueur d’onde d’émission et, comme nous l’avons vu dans le paragraphe précédant, il n’existe pas de diodes laser de puissance dans le bleu. Richter et al. ont tout de même réussi à obtenir un effet laser à 488 nm dans un cristal de Pr:YLF pompé à 444 nm par un laser … [Richter 04]. Une autre solution est « l’upconversion », principe basé sur une absorption multiphotonique. Le matériau pompé peut être dopé par un seul type d’ion terre rare ou co-dopé. Dans le premier cas (figure I-3 (a)), un premier photon de pompe permet d’exciter l’ion dopant dans un premier niveau d’énergie. Si un deuxième photon de pompe est absorbé avant que l’ion ne se soit désexcité, celui-ci vient peupler un niveau d’énergie encore plus élevé. La désexcitation à partir de ce dernier niveau produit ainsi un photon de longueur d’onde plus basse que la longueur d’onde des photons de pompe.

Dans le cas d’un matériau co-dopé (figure I-3 (b)), les deux ions dopants absorbent chacun un photon de pompe. En se désexcitant, l’ion co-dopant émet un photon qui est immédiatement absorbé par l’ion actif déjà dans un niveau excité. Si cette absorption a lieu avant que l’ion actif se soit désexcité, celui-ci peut alors peupler un niveau encore plus énergétique. Il y a ainsi transfert d’énergie entre les deux ions. Comme dans le premier cas, la désexcitation de l’ion actif produit un photon plus énergétique que les photons de pompe, donc de longueur d’onde plus basse. Contrairement au pompage classique où l’on observe un transfert d’énergie vers les longueurs d’onde plus élevées, l’upconversion permet d’obtenir une émission visible à partir de photons de pompe infrarouge. Toutefois, compte tenu de la complexité des processus mis en jeu, la probabilité que le cycle se déroule entièrement est relativement peu élevée et le rendement de tels lasers reste faible.

Ainsi, une puissance de seulement 70 μW à 486 nm a été obtenue dans un cristal de Tm:YAG refroidi à 10 K et pompé à la fois par un laser à Ti:saphir (340 mW à 785 nm) et par un laser à colorant (100 mW à 638 nm) [Scott 93]. Pour améliorer le rendement, les cristaux ont cédé la place aux fibres optiques, permettant des densités de pompe plus importantes et des longueurs d’interaction plus grandes. Habituellement, les fibres utilisées sont en ZBLAN (fluorure de zircon, baryum, lanthane, aluminium et sodium). Une de ces fibres dopées au Praséodyme a ainsi produit 1 mW à 491 nm pour une puissance de pompe de 200 mW à 835 nm et 280 mW à 1.01 μm [Smart 91]. Une autre fibre, dopée au Thulium, a permis d’obtenir une puissance de 240 mW à 480 nm pour une puissance de pompe absorbée à 1108 nm de 3 W [Faucher 04]. Les systèmes laser à upconversion commercialisés aujourd’hui sont basés sur des fibres co-dopées Ytterbium et Praséodyme, offrant 10 mW à 491 nm [Linos] [Unique Mode]. Le principe a été démontré en 1999 par Zellmer et al.. Ils ont obtenu une puissance de 165 mW à 491 nm grâce à une fibre de ZBLAN co-dopée Ytterbium et Praséodyme pompée par un laser à Ti:saphir fournissant une puissance de 1.6 W à 840 nm [Zellmer 99].

Lasers à base de matériaux semiconducteurs

Les concurrents directs des matériaux dopés aux ions terre rare sont les matériaux semiconducteurs. Ces matériaux sont obtenus par croissance cristalline de couches semiconductrices constituées de différents matériaux. En choisissant judicieusement ces matériaux, il est possible de concevoir des sources émettant à une longueur d’onde voulue. Pour obtenir une émission autour de 976 nm, on utilise des semiconducteurs III-V, tels que l’indium, le gallium ou l’arsenic, sous forme binaire (GaAs) ou ternaire (InGaAs, AlGaAs, …). On trouve des sources à base de matériaux semiconducteurs sous différentes formes : diodes laser, lasers à cavité verticale émettant par la surface (VCSEL : Vertical-Cavity Surface-Emitting Lasers) et semiconducteurs pompés optiquement. Sources à base de diodes laser Les diodes laser autour de 976 nm ont deux applications principales : le pompage des amplificateurs dopés à l’Erbium et le pompage de matériaux dopés à l’Ytterbium. Elles ont ainsi bénéficié du développement de la technologie des télécommunications, ce qui également permis le développement de sources à base de matériaux dopés Ytterbium. Ces sources restent néanmoins peu brillantes.

Pour obtenir une puissance suffisante après doublement de fréquence, une solution consiste à utiliser un cristal non linéaire particulièrement efficace, tels que par exemple le niobate de potassium (KNbO3), ou les matériaux périodiquement polarisés : le PPLN, le PPKTP ou encore le PPLT (tantale de lithium périodiquement polarisé). L’adéquation entre le spectre d’émission des diodes laser et l’acceptance spectrale de tels cristaux peut cependant limiter le rendement de conversion [Birkin 00]. En amplifiant une diode laser dans une structure de type taper et en effectuant un doublement de fréquence dans un cristal de KNbO3, Fluck et al. ont obtenu une puissance de 10 mW à 488 nm [Fluck 96]. En utilisant trois cristaux de KNbO3 en cascade, 35 mW ont même été produits [Fluck 98]. Le laser Cyan© de Picarro produisant une puissance de 40 mW à 488 nm est composé d’une diode laser dont le spectre est affiné et stabilisé par une cavité externe et d’un cristal non linéaire efficace placé extra-cavité [Picarro]. Sources à base de VCSEL Un VCSEL est composé de puits quantiques, réalisant le rôle de milieu amplificateur, et de deux miroirs de Bragg fermant la cavité (cf Figure I-4). Le pompage est électrique. Les puits quantiques et les miroirs de Bragg sont conçus pour une longueur d’onde d’émission précise. Toute la structure est épitaxiée sur un substrat, ce qui rend la réalisation assez simple et collective.

Un VCSEL produit un faisceau sans astigmatisme, contrairement aux diodes laser, et l’émission peut être monomode longitudinale. Son point faible vient de la montée en puissance du pompage, limitée par les effets thermiques dans la structure. Typiquement, la puissance en sortie d’un VCSEL est de l’ordre de quelques milliwatts (7 mW [Zhou 02]). Les effets thermiques peuvent être diminués en agrandissant le mode fondamental de la cavité. C’est ainsi que des structures ont été conçues en remplaçant un des deux miroirs de Bragg par un miroir concave placé à l’extérieur de la structure. On parle alors de laser à cavité verticale étendue émettant par la surface (VECSEL : Vertical-Extended-Cavity Surface-Emitting Laser). Novalux propose des VECSEL émettant une puissance de 500 mW en faisceau monomode transverse et 1 W en faisceau multimode à 980 nm [Novalux]. En utilisant un VECSEL émettant 550 mW à 980 nm et en insérant un cristal de PPKTP dans la cavité (cf. Figure I.5), des chercheurs ont mesuré plus de 42 mW à 489 nm [Rafailov 03]. Une autre configuration utilise une structure réalisant un affinement du spectre et un cristal non linéaire en KNbO3 [McInerney 03]. La puissance disponible est alors de 40 mW à 488 nm [Novalux].

Table des matières

Introduction générale
Chapitre I : Etat de l’art et problématique des sources autour de 488 nm
I. Etat de l’art et problématique des sources autour de 488 nm
I.1. Le laser à Argon
I.2. Etat de l’art des sources solides autour de 488 nm
I.2.a. Sources à émission directe autour de 488 nm
I.2.b. Sources à base de génération de second harmonique
I.2.b.i. Lasers à base de matériaux dopés Ytterbium
I.2.b.ii. Lasers à base de matériaux semiconducteurs
I.2.c. Sources à base de somme de fréquence
I.3. Solution proposée
I.3.a. Concept
I.3.b. Somme de fréquence et choix du cristal non linéaire
I.3.c. Conclusion
Chapitre II : Choix des cristaux laser
II. Choix des cristaux laser
II.1. Spectroscopie de l’ion Néodyme
II.1.a. Emission autour de 1060 nm
II.1.b. Emission autour de 910 nm
II.2. Candidats possibles
II.3. Comparaison des performances laser des cristaux de Nd:YVO4 et de Nd:GdVO4 sur la transition 4F3/2-4I9/2
II.3.a. Cadre de l’étude
II.3.b. Absorption de la pompe
II.3.c. Etude de l’amplification d’émission spontanée
II.3.d. Mesure de l’élévation de température dans les cristaux
II.3.e. Comparaison des performances laser des cristaux de YVO4 et GdVO4 dopés néodyme en régime continu vers 912 nm – 914 nm
II.3.e.i. Etude expérimentale
II.3.e.ii. Modélisation d’un laser à quasi-trois dans l’ion Néodyme
II.3.f. Performances laser en régime déclenché
II.3.g. Conclusion
II.4. Conclusion
Chapitre III : Sources continues à 491 nm
III. Sources continues à 491 nm
III.1. Laser bi-longueur d’onde avec un seul cristal laser
III.1.a. Lasers bi-longueur d’onde
III.1.a.i. Laser bi-longueur d’onde fonctionnant sur la même transition laser
III.1.a.ii. Laser bi-longueur d’onde fonctionnant sur deux transitions laser à quatre niveaux
III.1.a.iii. Laser bi-longueur d’onde fonctionnant sur une transition laser à quatre niveaux et une transition laser à quasi-trois niveaux
III.1.b. Modélisation d’un laser bi-longueur d’onde fonctionnant sur des transitions à quasi-trois et quatre niveaux
III.1.b.i. Introduction
III.1.b.ii. Equations de base
III.1.c. Réalisations expérimentales
III.1.c.i. Dispositif expérimental
III.1.c.ii. Etude de la compétition de gain
III.1.c.iii. Réalisation d’un laser bleu basé sur un laser bi-longueur d’onde émettant à 912 nm et 1063 nm
III.2. Source à base de laser bi-longueur d’onde à deux cristaux laser
III.2.a. Choix du second cristal laser pour la transition laser à quatre niveaux
III.2.b. Réalisation expérimentale
III.3. Source à base de deux lasers à cavités imbriquées
III.3.a. Principe de la source
III.3.b. Réalisation expérimentale
III.4. Source basée sur un laser émettant à 1064 nm pompé intracavité par un laser à 912 nm
III.4.a. Principe de la source
III.4.b. Etude théorique
III.4.c. Réalisations expérimentales
III.5. Conclusion
Chapitre IV : Source impulsionnelle à 491 nm
IV. Source impulsionnelle à 491 nm
IV.1. Quelle configuration choisir pour la conversion non linéaire
IV.1.a. Somme de fréquence extracavité
IV.1.b. Somme de fréquence intracavité
IV.2. Principe du « non linearcavity dumping
IV.2.a. Description du concept
IV.2.b. Avantages
IV.2.c. Comment choisir la longueur de la cavité à 912 nm
IV.2.c.i. Cas simplifié : impulsions de forme carrée et conversion non linéaire totale
IV.2.c.ii. Cas réel : impulsions de forme gaussienne et conversion non linéaire partielle
IV.3. Réalisations expérimentales
IV.3.a. Source à 1063 nm
IV.3.b. Source à 912 nm
IV.3.c. Conversion non linéaire
IV.4. Conclusion
Chapitre V : Vers des sources bleues de longueur d’onde inférieure à 450 nm
V. Vers des sources bleues de longueur d’onde inférieure à 450 nm
V.1. Introduction et problématique
V.1.a. Motivations : un effet laser inattendu
V.1.b. Cadre de l’étude
V.2. Etude théorique
V.2.a. Fonctionnement d’un laser à trois niveaux – Comparaison avec un laser à quasi-trois niveaux
V.2.b. Présentation du modèle
V.2.b.i. Introduction
V.2.b.ii. Equations de base
V.2.c. Etude du gain au seuil
V.2.d. Etude de la puissance intracavité
V.2.e. Conclusion
V.3. Réalisations expérimentales
V.3.a. Emissions laser à 880 nm dans un cristal de Nd:YVO4
V.3.a.i. Configuration expérimentale
V.3.a.ii. Résultats expérimentaux
V.3.a.iii. Conclusion
V.3.b. Emission laser à 879 nm dans un cristal de Nd:GdVO4
V.3.b.i. Résultats expérimentaux en régime continu
V.3.b.ii. Résultats expérimentaux en régime impulsionnel
V.3.b.iii. Conclusion
V.3.c. Emission laser en dessous de 900 nm dans un cristal de Nd:YAG
V.3.c.i. Dispositif expérimental
V.3.c.ii. Résultats expérimentaux dans l’infrarouge
V.3.c.iii. Résultats expérimentaux à 449.5 nm
V.3.c.iv. Conclusion
V.3.d. Conclusion
V.3.d.i. Emission dans l’infrarouge
V.3.d.ii. Emission dans le bleu
Conclusion générale
Annexes
Annexe A : Source impulsionnelle à 481 nm
Annexe B : Etude de la transition 4F3/2-4I9/2 dans un cristal de Nd:GdVO4
Liste des publications et conférences de l’auteur sur ces travaux de thèse
Bibliographie

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