Sociologie et didactique du curriculum
Définition du concept curriculum
Le concept de curriculum a été introduit dans la recherche française par Forquin (1996) à partir des travaux de « la nouvelle sociologie anglaise » des années 1970. Il le définit comme « un ensemble des situations d’apprentissages auxquelles un individu s’est trouvé exposé au cours d’une période donnée dans le cadre d’une institution d’éducation formelle » (Forquin, 1996, p.23). Le curriculum englobe donc les intentions et objectifs de l’enseignement, l’organisation des programmes et du cursus scolaire, les contenus d’enseignement, les connaissances, les méthodes et les compétences attendues des apprenants. Roegiers (2000) le définit comme l’ensemble des contenus d’enseignement et la structuration pédagogique du système éducatif. Il y inclut le programme d’enseignement, les finalités et les méthodes pédagogiques, les modalités d’évaluation, l’organisation et la gestion des apprentissages. On peut trouver deux catégories de curriculums dans cette approche, celui qui définit les intentions et les instructions accompagnant le programme scolaire (curriculum formel) et celui qui définit les pratiques de classe, d’évaluation, de formation des enseignants. Allant dans se sens, Perrenoud (1994) scinde ce concept en deux catégories : d’une part, la représentation institutionnelle du parcours de formation des apprenants (curriculum prescrit) et, d’autre part, le parcours effectif suivi par ces derniers (curriculum réel). En résumé le curriculum peut se définir comme un programme d’action qui intègre les valeurs de la société, les directives pédagogiques, les processus didactiques d’enseignement et d’apprentissages (Dameuse, Stauven & Roegiers, 2006, p.11 cité par Olivier, 2010, p.3). Il s’organise autour de trois axes : les apprentissages visés, les processus didactiques mis en œuvre pour les atteindre et les situations d’évaluations (Olivier, id) Nous retiendrons donc dans cette étude que le curriculum est un dispositif de formation conçu et organisé en fonction de besoins spécifiques qui organise et programme les activités d’enseignement et d’apprentissage. C’est un ensemble constitué par de multiples éléments tels que les finalités, les contenus, les activités, les démarches d’enseignement, les modalités et les moyens d’évaluations des acquis des élèves. Il apparaît sous deux formes : le prescrit (curriculum officiel), et le réel (curriculum effectivement mis en œuvre par les enseignants).
Analyse du curriculum
L’analyse du curriculum s’inscrit dans le contexte théorique de la sociologie et de la didactique du curriculum. La première approche, l’approche sociologique (Forquin, 1996, 2008) intègre la notion de culture scolaire comme transmission formalisée par l’école d’un ensemble de connaissances, de compétences, de références et de valeurs. Sont étudiés alors les contenus prescrits et systématiquement enseignés et la mise en forme spécifiquement scolaire à travers la codification didactique de ces contenus (notamment dans les programmes et les documents d’accompagnement). Pour cet auteur « la culture scolaire est un ensemble de connaissances, de compétences, de références ou des valeurs qui font l’objet d’une transmission délibérée dans le cadre de programmes d’études formellement prescrites », (Forquin, 2008, p.17). L’autre approche, la didactique du curriculum, prend de la distance avec les savoirs académiques. Elle considère aussi bien les enseignements des champs disciplinaires classiques que les nouvelles formes de disciplines scolaires sortant du cadre strict des disciplines académiques (éducations à la santé, à l’environnement et au développement durable, etc.). On peut alors citer les travaux de Martinand (1981, 2003) qui introduit la notion de pratique de référence. Pour aborder l’étude ou les problèmes de la construction de curriculum et expliciter la signification des choix curriculaires, cet auteur prend en compte tous leurs aspects : valeurs, savoirs, cultures, etc. « Le curriculum est lié à l’évolution de la société, donc sa refonte est par conséquent jugée nécessaire lorsque les contenus, les méthodes et les structures de l’éducation scolaire ne semblent pas répondre aux demandes sociales nouvelles induites par les changements culturels, politiques, économiques et technologiques qui président aux perceptions nouvelles » (Tawil, 1999, p.2). L’étude du curriculum s’inscrit dans une vision globale s’appuyant sur la notion de référence pour aboutir à un plan d’apprentissage intégrant une approche interdisciplinaire de la notion de compétence. Ce contexte plus large permet de souligner les liens qui relient les choix en matière de politique éducative aux décisions relevant de leur mise en œuvre sur le terrain. « La problématique de la référence cherche à élucider les relations entre les activités scolaires et les pratiques sociales, et à éclairer les décisions de la construction de curriculum qui dépendent directement des choix sur ces relations et sur les domaines de référence » (Martinand, 2003, p.1). La notion de pratique de référence apparaît en 1981. Cette idée forte de Martinand introduit une conception d’ensemble, concernant la construction et l’étude des curriculums d’éducation scientifique et technologique (problématique de la référence curriculaire). Selon l’auteur (idem, p.3), cette pratique de référence consiste à : « prendre en compte les savoirs en jeu, les objets, les instruments, les problèmes et les tâches, les contextes et les rôles sociaux ; penser et analyser les écarts entre activités scolaires prescrites et les pratiques mises en œuvre ; faire apparaître les choix de pratiques de référence (prise en compte des savoirs en jeu, des objets, des instruments, des problèmes et des tâches, les contextes et les rôles sociaux), leurs sens politiques et social ; comprendre les conditions de cohérence pour les activités scolaires, entre tâches, savoirs et rôles ; repenser la formation des enseignants comme acquisition d’une double compétence dans une ou plusieurs pratiques de références et dans la pratique enseignante sur les disciplines scolaires ». La notion de compétence (Perrenoud, 1998, cité par Depover. et al., 2005, p.156) désigne 12 « l’aptitude à mettre en œuvre un ensemble organisé de savoirs, de savoir-faire et d’attitudes permettant d’accomplir un certain nombre de tâches ». Chacune de ces trois composantes peut se définir par rapport à un référentiel, autrement dit à un rôle, à une tâche. Une telle approche doit s’appuyer sur une situation réelle issue de la vie quotidienne. Établir un curriculum avec une telle approche dans l’enseignement scientifique général n’est pas chose simple. Comme le dit Forquin (1996, p.8) : « On ne sait plus ce qui mérite véritablement d’être enseigné au titre d’études générales ». Qu’est-ce que l’apprenant doit maitriser à l’issue de sa formation générale ? Un savoir ? Un savoir-faire ? Des attitudes ? « Il n’y a pas de critère intrinsèque qui permette de hiérarchiser les activités et les œuvres humaines et de préférer certains à d’autres. Il fallait un choix arbitraire socialement et culturellement justifiable » (Forquin, 1996, p.164). Il faut enseigner quelque chose qui a un sens et qui contribue à la formation et au développement de l’esprit. La question fondamentale est de savoir quelles valeurs une société désire transmettre à ses sujets et quel genre d’adultes elle veut qu’ils deviennent. Il faut adapter les institutions, les programmes scolaires aux besoins ou aux demandes de la société en mutation. « L’éducation doit évoluer en même temps que les emplois, la vie familiale… » (Forquin, 1996, p.83) car la mission essentielle de toute éducation est de préparer les jeunes aux rôles qu’ils auront à tenir une fois adultes. Des changements dans le curriculum sont rendus inévitables par les mutations technologiques du monde dans lequel nous vivons. Le renouvellement du curriculum doit donc être posé dans le cadre des changements scientifiques et techniques rapides et l’existence d’une élévation de qualification de la main d’œuvre qui constituent les caractéristiques fondamentales du monde moderne. Peut-on miser sur des objectifs cognitifs ou utilitaires dans la formation ? Les choix à faire doivent prendre en compte de nombreuses variables : le contexte, les ressources disponibles, les besoins sociaux, les demandes des usagers, les traditions culturelles et pédagogiques. D’une part, les décideurs doivent choisir leurs orientations en tenant compte de ces variables, et d’autre part, les concepteurs des programmes scolaires et les enseignants ont à faire leurs choix dans ces champs de contraintes pour des raisons fondamentales correspondant aux réalités du pays, de sa population et de son économie et non pour des questions d’opportunités dictées à l’extérieur sans tenir compte de leur faisabilité.
Activités, tâches et rôle
Selon Martinand (2003), les activités scolaires renvoient à des activités professionnelles, domestiques, sociales et la mission de l’école est de rechercher à développer chez les élèves des savoirs, des habitudes, des capacités qui leurs permettent de participer à ces activités. Dans le contexte scolaire, nous sommes amenés à séparer les deux termes « tâche » et « activité ». Le terme activité désigne ce qui se fait réellement et concrètement dans les classes, ce que l’on fait vraiment pour atteindre au plus près les objectifs fixés par l’enseignant ou prescrits par un curriculum. Pour Lebahar (2007) c’est quelque chose de culturellement identifiable réalisé par un sujet : un apprentissage, un objet technique, une hypothèse, etc. Il s’agit d’un compromis entre les contraintes, les attentes institutionnelles et sociales et les choix personnels et privés (Chatoney, 2008). Pour Moukani (2008), elle est 14 une unité des dispositifs d’apprentissages. Selon Laisney (2008), en s’appuyant sur la psychologie soviétique, l’activité se caractérise par l’intentionnalité ; elle est associée à un motif, une action, un but et une opération à des conditions nécessaires à son exécution. De même pour Armand-Cheneval (2008), l’activité est comme le point de départ de la constitution d’un savoir. Pour ces derniers auteurs, d’une façon générale, tâches et activités sont des thèmes fondamentaux de leur recherche. Ils privilégient l’articulation tâche-activité comme catalyseur des situations didactiques. Ils définissent la tâche, comme « celle que l’élève doit réaliser ou celle qui est confiée à l’enseignant. Elle est significative de processus de transposition didactique par l’organisation spécifique des savoirs qu’elle exhibe, de leur organisation et de leur transposition à des fins d’enseignement et de la perception par l’institution d’enseignement des modes d’acquisitions de ces savoirs ». Quant à l’activité, « elle relève de l’étude de la mise en œuvre de la tâche par le sujet »(Equipe Gestepro, Ginestié). Dans une approche ergonomique, l’activité est la mise en rapport de divers objets qui conduit le sujet à composer avec lui- même. Il s’agit du style propre du professeur, de sa réalisation personnelle (Amigues & Lataillade, 2007, p.8). La tâche est définie par l’enseignant ou par des concepteurs de programmes et de manuels ; c’est un outil de travail de l’enseignant (Reynol & Rieunier, 1997). Elle vise à matérialiser l’objet d’enseignement pour permettre des apprentissages. Selon Leplat et Hoc (1983), elle consiste en un problème à résoudre pour l’élève. Elle est circonscrite dans l’espace et dans le temps. Elle vise un but spécifique qui se traduit par un résultat ou un produit qui font l’objet d’une évaluation ou d’une validation. Elle engage l’enseignant et l’élève dans un contrat didactique. Elle se situe donc du côté de la prescription, de ce que l’enseignant estime qu’il faut faire faire à l’élève pour respecter les programmes, les instructions officielles qui opérationnalisent la demande sociale vis-à-vis de l’école et les attentes institutionnelles. La tâche est prévue par l’enseignant et concerne l’élève. Elle est inscrite dans un contexte constitué par du matériel, des consignes, des conditions de travail, des savoirs et savoir faire sensés être déjà maitrisés, etc. La tâche correspond aux prescriptions, aux consignes qui permettent d’atteindre un objectif précis (Chatoney, 2008 pas en biblio). Selon Chabaud (1990 pas en biblio) cité par Hélène Armand-Cheneval (2008) « la tâche correspond à tout ce que l’encadrement attend des exécutants ». On peut noter les consignes, les instructions, …Elle est « une activité donnée à accomplir dans des conditions déterminées » (Develay, 1993, p.38). La tâche construite et proposée à l’élève n’est pas forcément comprise et perçue par celui-ci dans les termes attendus par l’enseignant. L’activité réelle de l’élève peut donner des indications sur l’écart entre la tâche prescrite (les intentions de l’enseignant) et la tâche interprétée (comprise par l’élève) pilotant son activité. L’on peut étudier la pratique enseignante avec un regard analogue. La tâche est alors la concrétisation des prescriptions institutionnelles et l’activité de l’enseignant ce qu’il met réellement en place dans ses classes. L’écart entre activité et tâche révèle alors l’espace d’autonomie pédagogique de l’enseignant, sa latitude pour traduire et interpréter les prescriptions et la situation. Dans cet espace, l’enseignant décide et agit. Le travail de l’enseignant passe par « l’organisation du travail des élèves qui constitue la source de l’activité effectivement mise en œuvre » (Caroti, 2008). L’articulation entre la tâche prescrite et l’activité des élèves selon Caroti « éclaire l’étude des processus de transmission appropriation …, le travail de l’enseignant se focalise dans l’espace entre tâche et activité, dans cette zone, les intentions didactiques des professeurs se traduisent dans les tâches confiées aux apprenants et leur manière d’enseigner. Brandt-Pomares et Boilevin (2008, 2009) ont montré comment des ordinateurs portables distribués aux élèves pouvaient être mis en œuvre dans l’activité enseignante. Ainsi, pour définir un référentiel de formation, on s’inspire d’une approche par les tâches qui correspondent à des activités. Pour identifier les tâches, il faut une référence aux situations, 15 au contexte dans lequel ces tâches devront être exercées. En particulier, elle devra préparer l’individu au rôle qu’il sera amené à assumer dans sa vie sociale, culturelle, familiale. L’architecture du curriculum reflète un ensemble complexe articulant des notions diverses comme compétences, connaissances, références, valeurs, programmes d’apprentissage, finalités, objectifs (généraux et spécifiques). Il est censé prévoir ce qu’il y a à enseigner, à quels individus cet enseignement est destiné et dans quelle société ils doivent agir. La conception du curriculum est déterminée par l’état de la société, par les changements sociaux jugés souhaitables et les adaptations nécessaires aux demandes nouvelles de la société (Forquin, 1984, 1989 ; Martinand, 1985, 2003).